Les Cambodgiens sont à juste titre fiers de leurs ressources naturelles, qu’il s’agisse d’oiseaux, de félins, de fleurs, de fruits ou d’arbres… Aussi n’est-il pas étonnant que les poètes khmers choisissent pour sujets de leurs odes les représentants les plus appréciés de la flore de leur pays. C’est le cas du poème présenté ici, qui est consacré à l’arbre emblème du Cambodge : le palmier à sucre.
Khun Srun (ឃុន ស្រ៊ុន, 1945-1978), enseignant, écrivain, journaliste, poète, fut une figure majeure parmi les intellectuels cambodgiens des années 1960-1970. Il fut emprisonné à deux reprises dans les geôles du maréchal Lon Nol, qui avait reversé Norodom Sihanouk par un coup d’État en 1970. Après son second emprisonnement, il décida en 1973 de fuir Phnom Penh pour rejoindre la guérilla khmère rouge. Il fut assassiné par les suppôts de Pol Pot, avec presque toute sa famille, dans la sinistre prison S-21 en décembre 1978, quelques jours à peine avant l’entrée des troupes vietnamiennes à Phnom Penh (janvier 1979).
Son poème « La vie du rônier » (ជីវិតដើមត្នោត) se trouve dans un recueil de textes intitulé La Beauté de la vie (សម្រស់ជីវិត), publié à Phnom Penh en 1971.
Dans « La vie du rônier », Khun Srun dresse en quelques traits un portrait tout à fait fidèle du palmier à sucre (appelé aussi rônier, ou encore borasse, Borassus flabellifer, en khmer ត្នោត [tnaot], qui a été choisi comme arbre symbole du Cambodge. Le poète parle de la façon dont ce palmier pousse, de sa rusticité, de sa silhouette élancée et reconnaissable entre toutes, omniprésente sur les diguettes de la campagne cambodgienne, de ce qu’il apporte aux hommes…
La traduction que je propose ci-dessous n’est pas littérale. J’ai plutôt tenté de rendre en français la poésie du texte khmer.
Khun Srun – La vie du rônier
On abandonne ses graines à la terre des rizières,
Il n’est pas surveillé comme les potagers,
Il n’est pas dorloté comme les fleurs des barrières,
Et il est pour cela de tous apprécié.
Il se dresse, solitaire, de nombreuses années,
De sa silhouette il marque les limites des champs,
Il ne plie ni ne rompt sous la force du vent,
Mais il n’ est pas l’objet des éloges des hommes.
Quand enfin il déploie sa svelte silhouette,
On lui coupe ses palmes et l’on cueille ses fruits,
On prélève sa sève le matin et le soir,
Le rônier est heureux d’offrir tout ce qu’il a.
Un rônier dont la taille dépasse les autres,
Se trouve à la merci de la foudre implacable,
Son grand corps décharné se dresse dans le vide,
Et il arrête alors de donner son nectar.
Et même s’il parvient à surpasser l’épreuve,
Quand la foudre a frappé mais qu’il survit encore,
Tous ceux qui l’aperçoivent tremblent en le voyant,
Disent qu’il porte malheur et ne l’approchent plus.
Article préalablement publié sur tella botanica.org
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