« Nous n'avons jamais eu de difficultés à tirer notre subsistance quotidienne de la forêt et de la rivière. Nous avions des légumes, des champignons, du poisson et de la viande en abondance. Je me souviens aussi très bien que ma famille et mes proches appréciaient les rassemblements et événements traditionnels dans notre ancien village, mais malheureusement, tout a disparu lorsque le barrage a submergé nos terres », a déclaré Srang Lanh en évoquant ses souvenirs dans l'ancien village de Kbal Romeas la construction du barrage hydroélectrique Lower Sesan 2.
Il y a plus de dix ans, Srang Lanh et les membres des communautés indigènes Bunong de Kbal Romeas ont exprimé leurs inquiétudes concernant la mise en œuvre du projet hydroélectrique Lower Sesan 2, d’une puissance de 400 mégawatts.
Les communautés concernées ont alors écrit au gouvernement cambodgien, aux maîtres d'ouvrage et à divers investisseurs, dont des banques chinoises, pour demander l'ouverture d'un dialogue constructif et l'examen de solutions potentielles. Cependant, aucune solution n'a encore été trouvée, et les communautés ont été laissées dans l'ignorance.
Au début de la construction du barrage, les communautés indigènes Bunong n'ont pas reçu d'informations complètes. Il n'y a pas eu non plus de véritables consultations communautaires, ce qui constitue une violation flagrante du droit des peuples autochtones au consentement libre, préalable et éclairé et à l'autodétermination. Les membres de la communauté qui ont fait part de leurs inquiétudes concernant les impacts humains et environnementaux du projet ont été pris pour cible par des poursuites pénales, ce qui les a réduits au silence.
Malgré les préjudices infligés aux communautés autochtones, les promoteurs et les financeurs du projet sont restés déterminés à inonder les vastes territoires des communautés Bunong. Ces communautés, dont la vie et la survie sont profondément ancrées dans les terres qu'elles cultivent, ont du subir l'expulsion forcée.
Emprunter cette route non pavée prendrait environ 2 à 3 heures en moto selon les conditions météorologiques pour atteindre Old Kbal Romeas.
Chaque fois qu'elle raconte les histoires et les luttes contre le barrage, elle ne peut s'empêcher de pleurer, surtout après avoir vu que tout ce qu'ils avaient construit ensemble a été détruit.
Avant que le barrage n'inonde leur territoire, les autochtones avaient l'habitude de récolter différents types de champignons, de fruits et de plantes médicinales. Aujourd'hui, il est devenu difficile de trouver ces ressources car le barrage a submergé d'importantes zones forestières.
Pour les membres de la communauté, le fait d'avoir été témoin de la façon dont le barrage a noyé leur village, endommagé les sites sacrés et les tombes a été une expérience traumatisante. Les Bunongs sont connus pour pratiquer des rituels et des cérémonies dans leurs lieux sacrés afin de demander conseil aux esprits de leurs ancêtres.
Lorsque le barrage a inondé le village, il n'a pas seulement emporté les maisons, l'école, le centre de santé et la pagode. L’eau a érodé le tissu socioculturel des communautés Bunong.
La plupart des habitants souhaitent encore que l'eau du barrage disparaisse pour qu'ils puissent retourner sur leurs terres et retrouver leur vie.
Les membres indigènes Bunong, qui sont nés et ont grandi dans le village, ont lutté avec acharnement. Avant que le réservoir du barrage ne l’inonde, ils ont peint leurs maisons avec l'inscription « No LS2 » pour montrer leur opposition. Ils craignaient de perdre leur identité une fois leurs territoires ancestraux inondés.
Les animaux sauvages et les oiseaux sont introuvables, et les arbres n'ont pas survécu à l'inondation.
Comme les Bunong de Kbal Romeas, les villageois de Srekor ont été furieux et découragés par la perte de leurs sites sacrés, de leurs forêts et de leurs terres agricoles. Ils ne peuvent plus organiser des cérémonies sur les lieux de sépulture de leurs ancêtres.
Ils ont vendu leurs buffles, leurs cochons et leurs poulets pour acheter des matériaux de construction. L'accessibilité aux produits de première nécessité, tels que la nourriture et l'eau, est devenue un combat quotidien. Ils peinent à assurer leur survie quotidienne.
Sur le site de réinstallation, plusieurs logements restent inoccupés. Selon certaines, cette zone est plus chaude et humide et l'eau potable est un problème majeur. Elle est également éloignée des sources de nourriture, tandis que les possibilités de subsistance sont limitées ou que les compétences professionnelles ne correspondent pas aux besoins. La plupart des familles ont eu du mal à s'adapter à ce nouvel environnement et à cette culture différente, si bien que certaines d'entre elles sont parties s'installer dans d'autres villages.
La communauté a pu mobiliser le soutien de partenaires et d'alliés pour mettre en place cette structure importante qui symbolise la tradition et leur culture. Il constitue une affirmation de leur identité et de leurs droits en tant que peuple indigène.
Dans le cadre d'un projet collectif, la communauté est responsable de son nettoyage et de son entretien réguliers. Il sert de salle polyvalente pour les réunions et les rassemblements culturels. Lors de la plupart des réunions au centre culturel, les générations plus âgées des indigènes Bunong rappellent à leurs enfants leur origine, leur culture et leur lutte. Ils espèrent tirer des enseignements de leur expérience et de leur histoire pour faire face à divers défis, en particulier depuis que des projets de développement plus agressifs prévoient de pénétrer dans leur nouveau village.
Ecrit par Carlo Manalansan.
Carlo Manalansan est philippin, il est chercheur et un agent de développement qui se concentre sur les peuples indigènes. Il est organisateur communautaire à l'International Accountability Project pour la région de l'Asie du Sud-Est.
Ce reportage photo a été fourni par l'International Accountability Project.
Source : Cambodianess