Édition internationale

La Water Tower de Phnom Penh, un manifeste du réemploi

Entre ingénierie, écologie et hôtellerie de loisirs, Alexis de Suremain signe la Water Tower, un projet qui prolonge sa réflexion sur la reconversion des structures métalliques et le réemploi architectural.

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Photo fournie
Écrit par Raphaël FERRY
Publié le 8 novembre 2025, mis à jour le 9 novembre 2025

Depuis ses débuts, Alexis de Suremain entretient une relation particulière avec la matière métallique. Dans les années 1980, il effectue un stage dans un atelier spécialisé dans les châssis tubulaires pour motos. Cette expérience l’ancre durablement dans une esthétique industrielle.

Il explique que cette fascination n’est pas qu’esthétique : les structures en acier représentent pour lui une forme de liberté constructive. Leur légèreté, leur précision et leur potentiel de transformation ouvrent, selon lui, un champ de création plus vaste que celui du béton ou de la pierre. Cette approche technique et sensible deviendra le fil rouge de sa carrière.

Ponts, patrimoine et frustrations

À Sully-sur-Loire, il propose de reconstituer la « seconde cage » d’un pont métallique du XIXe siècle pour en faire un hôtel. Le projet se heurte aux autorités locales.
« Je voulais faire le premier hôtel-pont d’Europe. L’endroit est magnifique, mais ça s’est très mal passé avec les mairies. »
Même destin à Bordeaux, autour du pont Eiffel de la gare Saint-Jean, finalement classé. Au Portugal, il conçoit encore un dossier de reconversion d’un pont du Douro, avec des archives d’époque et des équipes d’architectes. Les discussions se prolongent.

 

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La passerelle Eiffel à Bordeaux en juin 2009 Photo Langladure CC BY-SA 3.0

Naissance de la Water Tower

Ainsi, après plusieurs projets avortés en Europe, c’est au Cambodge qu’Alexis de Suremain parvient enfin à concrétiser son ambition de reconversion. Lorsque la cuve d’un ancien château d’eau sur Koh Pich devient obsolète, il saisit l’occasion d’en faire un espace habitable.

 

Water Tower

 

Il imagine alors une chambre unique, suspendue au-dessus du sol, avec un bassin privatif et une vue panoramique sur le Mékong. Le lieu, à la fois intime et spectaculaire, traduit son désir d’explorer une autre manière de concevoir l’hospitalité : un lieu à vivre temporairement, comme une expérience.
Pour lui, l’hôtellerie permet d’expérimenter des formes architecturales que le résidentiel interdirait. Le confort domestique n’est plus la norme absolue : l’essentiel est de provoquer une émotion, un souvenir, un décalage.
« Les hôtels de loisirs, dit-il, sont des laboratoires où l’on peut faire vivre des espaces atypiques, que les gens acceptent précisément parce qu’ils n’y vivent pas au quotidien. »

Le sens du réemploi

En plus de s’inscrire dans une réflexion écologique de réemploi et de mieux appréhender les problèmes d’urbanisme, la Water Tower ne contribue pas à l’îlot de chaleur urbain, un des fléaux des villes tropicales, du fait qu’elle est transparente à la circulation du vent.

Le projet s’inscrit dans une réflexion plus large sur la durabilité et la responsabilité du secteur touristique. Construire à partir de l’existant, explique-t-il, permet non seulement de préserver la mémoire des lieux, mais aussi de réduire l’empreinte carbone.

 

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Alexis distingue deux types d’énergie consommée par un bâtiment : l’« énergie grise », liée à sa fabrication, et l’énergie d’exploitation, celle nécessaire à son fonctionnement. Le béton, très énergivore, cumule les deux. Le réemploi, au contraire, prolonge la vie des matériaux sans relancer une production lourde. Cette approche ne relève pas seulement d’une conscience écologique, mais d’une logique de cohérence. Dans un pays où l’on reconstruit sans cesse, il plaide pour une continuité entre passé et présent.
« Conserver un bâtiment, c’est aussi conserver une histoire », rappelle-t-il, soulignant le paradoxe d’une société qui valorise la préservation des temples d’Angkor tout en détruisant volontiers son patrimoine moderne.

Le conteneur, un objet de recherche

Depuis plus de quinze ans, Alexis explore une autre forme d’architecture de réemploi : celle des conteneurs maritimes. Ces structures métalliques, conçues pour résister aux chocs et aux intempéries, sont selon lui d’une robustesse inégalée. Leur modularité, leur caractère autoportant et leur transportabilité en font un matériau idéal pour une architecture adaptable.

Mais leur principal défi est d’en faire des espaces désirables. Il mène depuis des années un travail de recherche pour transformer ces « boîtes d’acier » en volumes agréables à habiter, sans altérer leur intégrité structurelle.

Son équipe vient d’entamer la construction d’un prototype au Cambodge, reposant sur des fondations en pneus remplis de gravier. Le système, entièrement réversible et sans béton, illustre sa vision d’une architecture légère, mobile et évolutive. À terme, il espère qu’un futur resort composé à 80 % de matériaux recyclés prouvera la viabilité de cette approche.

 

Container sur une rivière

 

Une innovation thermique inspirée du climat

Dans la continuité de cette démarche, Alexis a développé, avec ses partenaires, une solution de climatisation solaire sans batterie ni raccordement électrique. Récompensée par le WWF, cette technologie utilise la conductivité du métal pour réguler la température de manière naturelle.

Là où beaucoup voient dans le conteneur un piège à chaleur, il y voit au contraire une opportunité : sa fine paroi métallique permet de conduire le froid ou la chaleur avec une efficacité inédite. En combinant isolation sélective et bassins de toiture, il imagine des systèmes capables de capter, stocker et diffuser l’énergie thermique selon les besoins. Une approche expérimentale qu’il décrit comme un « thermoscaping », ou aménagement thermique du bâti.

Le Cambodge comme terrain d’expérimentation

Appliquer ces principes dans un pays en pleine construction n’est pas évident. Les bâtiments anciens à réhabiliter restent rares, et la culture du neuf domine. Pourtant, Alexis estime que le Cambodge offre un terrain favorable : les matériaux à recycler y sont nombreux, des conteneurs abandonnés dans les ports aux pneus de voiture utilisés comme fondations.

Il sait aussi que l’obstacle n’est pas seulement matériel mais culturel. Le neuf reste ici un symbole d’ascension sociale. Travailler dans un bureau climatisé d’une tour moderne vaut parfois plus, en termes de prestige, qu’occuper un espace naturel et ventilé.

Mais il préfère voir ces contraintes comme des défis. Son objectif n’est pas de convaincre la majorité, mais de démontrer qu’une autre voie est possible : une architecture tropicale, sobre, réversible et créative.

Une architecture qui raconte

Avec la Water Tower, Alexis de Suremain réalise une synthèse entre technique, imagination et conscience écologique. En transformant un château d’eau en suite de charme, il prouve qu’un lieu peut à la fois conserver son âme industrielle et offrir une expérience contemporaine.

 

water tower

 

Pour lui, le futur de l’architecture ne réside pas seulement dans la construction neuve, mais dans la capacité à transformer, à réinventer, à raconter. Son hôtel devient ainsi une métaphore de cette philosophie : un manifeste d’ingéniosité et de mesure, suspendu entre héritage et invention.

Site de la Water Tower : https://maadest.asia/

 

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