ThmeyThmey occupe une place particulière dans le paysage médiatique du royaume : il fut le premier journal en ligne créé et géré entièrement par des Cambodgiens d’une part et ses fondateurs, tous francophones, tous issus du vivier de Cambodge Soir d'autre part.
Cambodge Soir, rappelons-le, était un quotidien francophone de presse écrite publié dans le Royaume de 1995 à 2007.
Ce lien avec la francophonie et cette volonté de fournir une perpective khmère de l’actualité a incité Le Petit Journal du Cambodge à établir une collaboration avec sa rédaction.
Ky Soklim, un des fondateurs, actuel directeur de publication nous explique son parcours et les ambitions qui l'animent pour son journal.
Comment en êtes-vous venu à apprendre le français ?
J'ai entrepris une licence de français en 1992. Auparavant j’avais commencé à l'apprendre auprès de vieux professeurs qui savaient le lire mais ne le parlaient pas.
Ces professeurs dispensaient leur savoir dans de petits cours privés à coté de chez moi. A cette époque il n'y avait pas d'école officielle, formelle.
Ainsi, j’ai commencé avec une méthode très traditionnelle qui consistait à réciter par coeur, à partir d’un livre . Je lisais le français mais ne le parlais pas.
J’ai entrepris cette licence en littérature française au département d'étude francophone à l'université royale de Phnom Penh. Je l'ai complétée avec deux options, une en journalisme et une en professorat.
Dans les années 90 le français dominait l’enseignement supérieur au Cambodge. Il régnait sur les facultés de médecine, de droit, à l'institut de technologie, à la fac de langues, au département d’études francophones à l'université royale de Phnom Penh ou sur l'université de l'agriculture.
J’ai obtenu ma licence en 1997 et j’ai ensuite donné des cours à l'Alliance Française, j’ai continué à apprendre et j’ai obtenu le diplôme supérieur de français des affaires de par la chambre de commerce et d’industrie de Paris.
En 1998 j’ai rejoint Cambodge Soir. C’est là que j'ai commencé ma carrière journalistique.
Que retenez-vous de l'aventure de Cambodge Soir ?
Cambodge Soir c’était comme une maison. J'y étais même plus qu'à la maison. J'y arrivais le matin et n'en partais que le soir. Et toujours dans un univers francophone comme si nous étions en France.
Le département d’études francophones nous avait formés à la théorie de la langue, à la littérature française. Cambodge soir fut pour nous une école de pratique. Pour être journaliste il faut pratiquer la langue. Nous échangions sans cesse nos avis avec les Français, les Européens.
Cambodge Soir m'a permis de découvrir la vie sociale, la vie professionnelle, a forgé mon expérience, ce qui m’a permis ensuite de fonder ThmeyThmey.
Cambodge Soir a également ouvert mon esprit sur le monde. C'est-à-dire qu’il m'a permis de connaître les événements extérieurs au Cambodge. A l'époque il n'y avait pas les moyens de communication que nous connaissons aujourd'hui (réseaux sociaux). Celui qui n'était pas journaliste recevait moins d’information.
J'y suis resté jusqu'en 2008 puis j'ai intégré Radio France Internationale en tant que correspondant et je rédigeais des articles pour des journaux anglo-saxons.
Racontez-nous la fondation de ThmeyThmey
En 2012 avec des collègues et anciens de Cambodge soir; Leang Delux et Pen Bona (qui est maintenant rédacteur en chef de la chaine de télé PNN), nous avons décidé de créer ThmeyThmey qui signifie Nouveau-Nouveau. C'était le début d'internet au Cambodge et nous nous sommes dit que c'était le bon moment pour lancer un journal en ligne.
Nous nous sommes demandé "pourquoi tous les journaux de bonne qualité présents au Cambodge, que ce soit, en khmer ou en anglais, appartiennent-ils ou sont-ils gérés par des étrangers ?"
Nous étions mus par une ambition : nous savions écrire, manager une entreprise médiatique, gérer des journalistes (ce qui n’est pas aussi simple que de gérer d'autres personnels), faire fonctionner une rédaction. Nous voulions créer un média cambodgien géré par des cambodgiens.
Travailler à Cambodge Soir m’avait appris les parties rédactionnelles, commerciales et la gestion du personnel.
A ThmeyThmey, nous travaillons dans une bonne harmonie, une bonne ambiance.
90 % des gens, présents lors de la création du journal ,y sont encore aujourd’hui. J’en suis très content. Tous les leaders sont les mêmes.
Si les gens nous sont fidèles c'est parce que nous respectons le code du travail, les congés, la vie privée.
Depuis la création du journal, je suis directeur de publication, mais puisque l'année prochaine nous allons célébrer notre dixième anniversaire, je vais laisser ce poste à Leang Delux, l’actuel CEO de l’entreprise?
Je pourrai alors me consacrer à mon métier de journaliste. J'aime être sur le terrain. Même actuellement à mon poste de directeur de publication, je continue à écrire des articles et à interroger les gens dans la rue.
et Cambodianess ?
A la suite de ThmeyThmey nous avons fondé ThmeyThmey 25 qui fournit une information locale pour chacune des 25 provinces du pays.
Nous avions aussi l’ambition de fournir un site d'informations multi-langues. Editer ThmeyThmey en dix langues : français, japonais, chinois, vietnamien.... Nous avons même eu un investisseur japonais mais ça n’a pas fonctionné.
Nous avions le besoin d’ouvrir une fenêtre sur l'étranger, vers l’international. Nous avons alors créé Cambodianess qui est un journal anglophone.
Deux idées principales ont présidé à sa création :
La première était de créer un journal avec des Cambodgiens, pour des lecteurs étrangers afin de leur apporter un point de vue, des perspectives cambodgiennes sur l’actualité.
Dans les années 90, les journaux étaient créés par des étrangers. Une fois que les étrangers possédaient des journaux, ils y transposaient leurs idées : des idées d’étrangers sur le Cambodge. Nous voulions exposer les nôtres. Cambodianess veut exprimer les perpectives cambodgiennes. Je ne dis pas qu’elles sont meilleures, je dis juste que, certes les étrangers connaissent le Cambodge mais ils le connaissent moins bien que nous, cambodgiens. En tant que cambodgiens nous connaissons le fond de la société, la culture, l’histoire. Les étrangers ne peuvent pas connaitre le Cambodge aussi profondément que nous.
La deuxième idée qui a présidé à la création de Cambodianess était de vouloir montrer le potentiel du Cambodge : ses ressources culturelles, touristiques, sa gastronomie, notre style de vie.
Les journaux étrangers ont tendance à ne parler que des Khmers rouges, des mines,…
Cambondianess veut rendre le Cambodge plus populaire aux étrangers.
Comment voyez-vous l'avenir de la profession de journaliste ?
Je pense que la profession de journaliste va dans le bon sens.
Il y a vingt ans, il n'y avait pas beaucoup de journalistes professionnels. Maintenant on en trouve beaucoup et de qualité. Ils savent écrire, produire des documentaires longs, des vidéos, et sont aptes à mener des enquêtes.
Il y a vingt ans, il n'y avait que des journalistes étrangers.
En ce qui concerne la liberté de la presse, c'est plus ouvert qu'avant. On peut s'exprimer facilement sur les réseaux sociaux, on peut publier des articles sur des journaux en ligne. Auparavant, il n’y avait que la télé, les journaux, mais maintenant chacun peut faire ce qu'il veut.
A ceux qui disent que la liberté d'expression est plus limitée qu'avant, je répondrais que je vois les choses différemment.
Il n'y a pas de censure. ThmeyThmey peut publier ce qu’il veut, du moment que nous respectons la loi sur la presse. Un journal a un côté plus officiel qu’un simple particulier qui publie n’importe quoi sur Facebook. Nous devons faire attention à ne pas publier de fausses informations.
Voilà 20 ans que je travaille sans problème.
Aujourd’hui ThmeyThmey compte, 600 000 pages vues quotidiennement en moyenne, une page Facebook et un canal YouTube. C’est aussi un groupe avec Thmeythmey25 sur l’actualité régionale et Cambodianess pour les anglophones.
Merci Soklim. Lepetitjournal.com est heureux de commencer une collaboration avec ThmeyThmey en vue d’apporter aux lecteurs francophones une information plus diversifiée tant en terme de contenu que de point de vue.