Kampot, carrefour effacé de l’histoire cambodgienne
Longtemps au cœur de l’histoire du Cambodge, Kampot peine à retrouver son statut. Un regard historique éclaire les enjeux actuels d’une province aux multiples richesses.
Une province centrale dans l’histoire cambodgienne
Si le nom de Kampot résonne aujourd’hui grâce à son poivre reconnu par les plus grands chefs du monde, la province reste dans l’ombre d’autres hauts lieux du patrimoine cambodgien comme Siem Reap ou Phnom Penh. Pourtant, son passé témoigne d’un rôle majeur dans l’histoire du royaume.
Dans son ouvrage Kampot, miroir du Cambodge, promenade historique, touristique et littéraire, Luc Mogenet, spécialiste du développement et résident de longue date de la province, souligne : « Kampot, sauf à l’époque angkorienne, a été au centre de l’histoire du Cambodge, depuis ses origines (Funan) jusqu’à la période contemporaine. J’ai aussi été surpris d’apprendre que Kampot a inspiré de nombreux écrivains, a accueilli de grands voyageurs, et a été le point de départ de nombreuses carrières brillantes. »
Aux origines : Funan et les temples troglodytes
Selon certains historiens, la première grande civilisation du Cambodge - Funan (Ier-IVe siècles) - se serait développée autour de Kampot. Certains vont jusqu’à situer la capitale de Funan dans la province. Les vestiges archéologiques de cette époque sont cependant rares.
L’anthropologue Jean-Michel Filippi, quant à lui, réévalue l’importance des temples troglodytes de la région. Il écrit : « Ces temples ne sont en rien secondaires, contrairement à ce qu’a pu écrire Lunet de la Jonquière. L’importance du temple de Phnom Toteung n’est plus à démontrer. »
Il ajoute : « À travers le thème de “la montagne qui est un temple”, visible uniquement dans la région de Kampot, on peut sans doute identifier une phase majeure de la généalogie des temples-montagnes du Cambodge. »
Photo: Top Vannara
Un port stratégique
Éloignée du centre de gravité de l’empire angkorien, Kampot occupe une place stratégique à l’époque moderne. Ce fut longtemps le seul port du royaume, régulièrement convoité par les Siamois (Thaïlande actuelle) et les Annamites (Vietnam).
Sous le règne du roi Ang Duong (1841-1860), Kampot connaît un regain d’activité grâce à la construction d’une route reliant la ville à Oudong, alors capitale du royaume. Le port devient un outil clé pour le commerce. C’est également par cette route qu’Henri Mouhot rejoint Oudong avant de découvrir Angkor en 1859.
Adhémard Leclère, résident français à Kampot entre 1886 et 1890, écrit dans Histoire de Kampot et de la rébellion de cette province en 1885-1886 : « Kampot est aujourd’hui le seul port maritime du Cambodge. Pour cette seule raison, il mérite le paragraphe que je lui consacre. »
Il décrit des échanges commerciaux quotidiens entre les communautés chinoises et annamites de Kampot et les villes vietnamiennes de Phu Quoc, Chaudoc, voire Saïgon. Le commerce du poivre, produit phare de la région, est alors principalement exporté vers Saïgon via Ha Tien, avec quelques expéditions vers la Chine et Singapour.
Photo: Phoeurng Phearak
Du déclin au renouveau espéré
Mais à la fin du protectorat français, le commerce se détourne progressivement de Kampot. Les échanges passent par Saïgon, remontent le Mékong jusqu’à Phnom Penh, et le port de Sihanoukville prend le relais. « Cela marque le déclin de Kampot », explique Luc Mogenet.
Aujourd’hui, alors que Phnom Penh et Sihanoukville s’urbanisent à grande vitesse, Kampot, situé à 150 kilomètres de la capitale, conserve un charme paisible. Sa province offre une grande diversité de paysages : montagnes, rizières, marais salants, plantations de poivre, plages, îles et forêts.
« Le moment est venu pour Kampot de redevenir un “centre”, fidèle à sa mémoire » conclut Luc Mogenet.