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Jacques Pellet Ambassadeur au Cambodge : "Nos relations politiques sont excellentes."

Le 14 octobre 2024, lepetitjournal.com a eu l’honneur d’être reçu par l’ambassadeur de France au Cambodge, M. Jacques Pellet. Au cours de cet entretien, des sujets essentiels tels que le rôle de la Francophonie dans le pays, l'état de la communauté française et la coopération bilatérale ont été abordés. L'ambassadeur a partagé ses réflexions sur les défis rencontrés par la société civile cambodgienne. Cette discussion a également porté sur l'importance du dialogue constructif entre la France et le Cambodge.

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Écrit par Raphaël FERRY
Publié le 17 octobre 2024

Le Petit journal : M L’ambassadeur, je vous remercie de nous accueillir. Quel est l’état de la communauté française au Cambodge ? Combien sommes-nous ? A-t-elle évolué ?

Jacques Pellet : Le nombre de compatriotes enregistrés au consulat est stable, autour de 5 000. Il y a bien sûr des départs et des arrivées, mais on ne note ni augmentation spectaculaire ni diminution. À cela s'ajoutent les Français non-inscrits, que l’on estime à environ 2 000 personnes. Donc, au total, nous serions autour de 7 000.

La communauté française au Cambodge est très diverse. Il y a des expatriés dans de grandes entreprises, des enseignants, des chercheurs, des retraités… Les secteurs d'activité où les Français sont représentés incluent donc le tourisme, l’agriculture, la construction, des secteurs qui peuvent être actuellement touchés par un certain ralentissement, ce qui rend la situation parfois difficile pour nos compatriotes impliqués dans l’économie locale.

Le 7 décembre prochain l’ambassade ouvrira ses portes pour le marché français organisé par la chambre de commerce et d’industrie France Cambodge. 75 stands montreront la diversité des entreprises françaises dans le Royaume, que ce soit dans l’agriculture avec le poivre, la vanille, le miel, dans le tourisme, ou encore dans d’autres secteurs comme les scooters électriques.… J'encourage vivement nos compatriotes, notamment les nouveaux arrivants, à venir découvrir ce marché. L'année dernière, nous avons accueilli plus de 13 000 visiteurs en une journée, ce qui a été un grand succès, notamment auprès des Cambodgiens.

Je profite de votre venue pour souligner un point très important : il est essentiel que nos compatriotes, surtout ceux qui vivent ici de façon permanente, soient assurés. Nous avons encore trop de Français qui vivent sans assurance médicale, et c’est un véritable problème. En cas de souci de santé sérieux, un rapatriement sanitaire coûte extrêmement cher. Souvent, les familles, même en France, ne peuvent pas subvenir à ces frais.  Il existe pourtant des assurances abordables et qui sont une véritable garantie. Il est donc crucial de se prémunir contre ces difficultés.

 

LPJ L’année dernière, nous avons assisté à un rapprochement des relations franco-cambodgiennes au plus haut niveau, avec notamment des visites importantes et la construction du monument aux morts. Récemment, le roi du Cambodge a été reçu à Villers-Cotterêts pour le Sommet de la Francophonie. Quel est l'état actuel des relations entre nos pays ?

JP : Les relations politiques sont excellentes. Vous avez mentionné la visite de Sa Majesté pour le Sommet de la Francophonie, il a également été reçu à l'Élysée. Il y a un véritable intérêt de la part du Président de la République pour le Cambodge. Il n’est un secret pour personne que 2026 sera une année importante, avec la perspective de sa venue au Royaume à l’occasion du Sommet de la Francophonie, la première visite d'un président français au Cambodge depuis 1993.

En parallèle, la deuxième édition des consultations politiques entre nos deux pays, qui se tiennent au niveau des hauts fonctionnaires, a eu lieu le 7 octobre. Ces consultations permettent d’aborder l’ensemble de notre relation : coopération économique, défense, mais aussi enjeux globaux.

Le Cambodge montre un engagement croissant dans les initiatives multilatérales. Par exemple, fin novembre, un sommet se tiendra à Siem Reap sur la Convention d’Ottawa concernant l’élimination des mines antipersonnel. Nous cherchons à collaborer avec le Cambodge au-delà de notre relation bilatérale, pour travailler ensemble sur la scène internationale sur des sujets où nos positions convergent : la santé mondiale, le déminage, la lutte contre la pollution plastique…

L’année prochaine, une grande conférence des Nations Unies sur les océans se tiendra en France. Nous sommes déjà en contact étroit avec le ministère de l’Environnement cambodgien pour que le Cambodge et la France s’accordent sur leurs positions.

 

LPJ : Vous évoquez la Francophonie, quelle est justement la situation actuelle de la Francophonie au Cambodge ? Siem Reap va accueillir le Sommet de la Francophonie en 2026 alors qu’on a plutôt l’impression qu’elle est sur le déclin dans la vie de tous les jours.

J.P : Effectivement, la Francophonie au Cambodge n’est pas très visible au quotidien. Elle est davantage présente au sein des élites, mais elle reste résiliente.

Le Lycée Français René Descartes en est l’un de ses principaux foyers. Nous avons également des écoles françaises à Siem Reap et Battambang, mais aussi des 16 classes bilingues dans des établissements publics cambodgiens, et nous travaillons actuellement sur le développement de fonds pour soutenir leur croissance, notamment par la formation des enseignants.

C’est une Francophonie discrète, mais elle est bien vivante. Environ 40 % des membres du gouvernement cambodgien sont francophones, ce qui est unique dans la région et confère une affinité particulière à notre relation. Nous sommes très heureux que le Cambodge ait pris l'initiative d'accueillir le Sommet de la Francophonie, le deuxième en Asie, le premier ayant eu lieu à Hanoï en 1997. 

J’espère que cette perspective encouragera le gouvernement cambodgien à s'impliquer davantage dans la promotion de la Francophonie. Bien sûr, nous ne reviendrons pas à la situation des années 50-60, où il y avait plus de 300 enseignants français dans tout le pays, mais l’objectif est de créer les conditions pour préserver cette spécificité francophone.

L'employabilité, le fait que le français soit une langue de commerce, de savoir et d'innovation, est de plus en plus mis en avant. La Francophonie est présente dans beaucoup de secteurs, par exemple les étudiants de l'Institut de Technologie du Cambodge (ITC) suivent des cours de français, et nous avons des programmes de formation de médecins en France. Nous voulons montrer que notre langue a une importance pour l'emploi.

Signalons que l’équipe cambodgienne et vietnamienne a remporté le concours d’éloquence sur des questions environnementales du festival « Refaire le monde » , en marge du sommet de la Francophonie. Et nous avons récemment célébré le 60e anniversaire de l'ITC, où le français tient une place importante, un bel exemple de la coopération France-Cambodge.

 

LPJ : Beaucoup d’ONG déplorent un affaiblissement de la démocratie et de la liberté de parole dans le pays, notamment avec de nouveau cadre encadrant la liberté de la presse, et l’emprisonnement du journaliste d’investigation Mech Dara. Quelle est la position de la France sur ces questions ?

JP : Nous avons abordé ces sujets lors de mes récents échanges avec les autorités cambodgiennes, y compris le ministre de l'Intérieur et le président du Sénat. Le partenariat entre la France et le Cambodge repose sur les principes établis par les accords de Paris, inscrits dans la Constitution cambodgienne. Cela inclut des valeurs fondamentales comme la démocratie et l'État de droit. Nous venons d’ailleurs d’assister à l’inauguration par Sa Majesté le Roi d’un monument symbolisant ces engagements.

Il est donc naturel que la France aborde ces questions, et nous avons parfois été très critiques, notamment lors des dernières élections. Nous observons avec inquiétude un rétrécissement de l'espace accordé à la société civile. C'est préoccupant, car les défis mondiaux comme le changement climatique, la biodiversité ou la santé ne peuvent être relevés qu'en partenariat avec la société civile. Cette dernière, bien qu’elle puisse être parfois critique ou impertinente, est essentielle au débat démocratique.

En ce qui concerne l’arrestation de Mech Dara, l’un des premiers journalistes à avoir dénoncé les centres d‘arnaques en ligne au Cambodge, nous avons évoqué son cas avec les autorités. Nous rappelons régulièrement l’importance d’une société jeune et critique pour le développement du Cambodge.

Malgré les difficultés rencontrées par certains acteurs de la société civile, il y a aussi des éléments très positifs qui se développent en lien avec la société civile. Par exemple, le Cambodge est un modèle dans la lutte contre le sida, en partie grâce au soutien de la France. Lors des récentes Journées de l'ANRS, la chercheuse et Prix Nobel Françoise Barré-Sinoussi et le directeur de l'ANRS, Monsieur Yazdan Yazdanpanah, ont souligné les progrès réalisés ici.

Le Cambodge investit également beaucoup dans la lutte contre les hépatites, étant le pays de la région qui fait le plus d'efforts dans ce domaine. Je souhaiterais que la France et le Cambodge œuvrent ensemble sur la scène multilatérale pour que les financements internationaux pour lutter contre les hépatites soient à la hauteur de l’enjeu.

 

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