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L'ecstasy, la malédiction khmère du camphrier de Martaban

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Siu Lek Yuen Wikipedia
Écrit par Pascal Médeville
Publié le 20 août 2021

« Camphrier de Martaban » est la traduction française de « Martaban camphor wood », nom anglais d’une espèce connue sous le nom binomial de Cinnamomum parthenoxylon. Au Cambodge, cette espèce est utilisée en pharmacopée, mais elle est aussi au centre d’activités hautement lucratives et tout à fait illégales.

 

Cinnamomum parthenoxylon (syn. C. porrectum) est une lauracée d’Asie du Sud-Est, dont l’aire s’étend de la Chine du Sud à l’Indonésie, en passant par le Laos, la Birmanie, la Thaïlande, le Cambodge, le Vietnam et la Malaisie. En Chine, l’espèce est connue sous de nombreux noms, notamment celui de « camphrier jaune » (黄樟 [huángzhāng]) ; on la trouve dans les provinces du Yunnan, du Guangxi, du Fujian, du Jiangxi, du Sichuan, du Hunan et du Guizhou.

Il s’agit d’un arbre à feuillage persistant qui peut atteindre une taille de vingt mètres, poussant principalement jusqu’à une altitude de 1500 mètres (jusqu’à 2000 mètres selon l’IUCN).

 

L’écorce est de gris à brun ; les feuilles sont ovales, avec un apex apiculé. Comme chez de nombreuses plantes des lauracées, les feuilles, lorsqu’elles sont froissées, émettent un parfum camphré puissant. Le fruit presque à maturité a une odeur qui ressemble à celle du clou de girofle. Les fleurs forment des grappes et les fruits sont des drupes noirâtres.

 

En Chine, ce « camphrier jaune » a de multiples utilisations : les feuilles peuvent servir de nourriture à la larve de la saturnie du chêne du Japon (Antheraea yamamai), qui produit une soie, dite soie tussah, utilisée pour fabriquer du fil pour canne à pêche, des cordes d’instruments de musique, des brosses à vêtements. Une analyse primaire de la composition des feuilles a montré qu’elles contenaient 3,1 % de glucides et 1,9 % de lipides.

 

A partir des feuilles, des racines, de l’écorce et du bois, on extrait de l’huile de camphre et du camphre. L’huile de camphre est une matière première essentielle pour l’industrie des parfums, et le camphre connaît de multiples usages pour l’industrie pharmaceutique. Le noyau du fruit est riche en huile (jusqu’à 60 %), huile qui peut être utilisée pour la fabrication de savon.

Le bois lui-même est d’excellente qualité, avec un grain très fin et très régulier, et une bonne solidité. Il est employé dans des domaines aussi divers que la construction (poutres, colonnes, chambranles de fenêtres…), la construction navale, la construction de ponts. Son parfum puissant permettrait de repousser les moustiques, aussi dans le sud de la Chine aime-t-on utiliser des planches de cette espèce pour fabriquer des sommiers.

 

Le bois de C. parthenoxylon est utilisé aussi en ébénisterie de luxe. L’odeur dégagée par le bois du tronc et des branches perdure pendant de nombreuses années.

 

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Tronc de Cinnamomum parthenoxylon (photo : WikipediaEmillo1212, CC BY-SA 4.0 via Wikimedia Commons)

 

Étrangement, ni le Dictionnaire des Plantes utilisées au Cambodge de Pauline Dy Phon, ni la Flore photographique du Cambodge de Mathieu Leti et al. ne parlent de ce camphrier. Il est pourtant bien connu au Cambodge pour ses propriétés médicinales. Le troisième volume de la série Plantes médicinales du Cambodge, publiée en 2014 par le Ministère cambodgien de la Santé, contient une entrée présentant cette espèce (p. 66). Cet ouvrage donne pour synonyme de C. parthenoxylon le nom de Sassafras parthenoxylon.

En khmer, l’espèce est connue sous deux noms : « tepiru preng » (ទេព្វិរូប្រេង, « camphrier à huile ») et « mréah-prov phnom »  (ម្រះព្រៅភ្នំ). En pharmacopée cambodgienne sont utilisés la racine, le tronc, les feuilles et les fruits de l’espèce. L’huile est utilisée en friction pour soigner les douleurs osseuses et celles des articulations des bras et des jambes. La racine et le tronc sont utilisés pour soigner la grippe, la digestion difficile, les maux d’estomac, les inflammations articulaires, la coqueluche. Les fruits servent à soigner les fièvres. En décoction, l’espèce est utilisée comme fortifiant, notamment pour les parturientes. Enfin, pilées, les feuilles sont appliquées en cataplasme sur les articulations douloureuses ou sur les blessures.

 

 

Cependant, ce qui fait le malheur de cette espèce, dont l’abattage est pourtant interdit au Cambodge depuis 2004, c’est le fait que l’on peut extraire du bois de l’arbre d’importantes quantités de safrole, phénylpropène connu aussi sous le nom de shikimol, indispensable pour la synthèse du MDMA, ou ecstasy.

Des braconniers écument les forêts de la chaîne des Cardamomes (ouest du Cambodge), pour abattre des arbres pluri-centenaires et, dans de véritables usines clandestines, récolter l’huile du camphrier de Martaban à partir de laquelle sera extrait le safrole. Le raffinage de l’huile nécessite l’utilisation de grandes quantités de bois, car elle se fait, à la vapeur, dans de grands chaudrons. Les conséquences de ces opérations sont non seulement la destruction des camphriers, mais aussi celle des arbres qui se trouvent à proximité, qui sont abattus pour fournir du bois de chauffage. Comme le procédé d’extraction nécessite aussi d’importantes quantités d’eau, pour l’extraction et le refroidissement de l’huile, les ateliers clandestins sont installés à côté de cours d’eau qui se retrouvent ensuite pollués. Enfin, les personnes qui travaillent dans ces ateliers demeurent sur place, et chassent tous les animaux présents pour se nourrir, ce qui bien entendu porte atteinte à la faune locale.

Un documentaire de 2009, intitulé Forest of Ecstacy, illustre le travail des rangers cambodgiens qui ont pour mission de trouver et de détruire les ateliers clandestins, voir ci-dessous (le film est en anglais, sous-titré en portugais) :

 

Pour de plus amples informations concernant cette espèce, je vous invite à lire, en plus de l’article en anglais, assez succinct, que lui consacre Wikipedia, l’article en anglais sur la version électronique de la Flore de la République Populaire de Chine, ou, mieux encore, la version en chinois, plus complète, de ce même article.

 

cet article a été initialement publié sur Tella Botanica

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