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Controverse sur le micro-crédit au Cambodge

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Credit : Alexander Mils
Écrit par Raphaël FERRY
Publié le 5 juillet 2021

Un rapport, intitulé "Right to Relief", rédigé par le groupe de défense des droits Licadho et l'ONG de défense du droit au logement Equitable Cambodia, présente les expériences de 14 communautés confrontées à des dettes croissantes.

Ce nouveau rapport a suscité de nouvelles objections de la part de l'industrie locale de micro-finance. Certains nient les problèmes, d’autres sont ouverts à certains changements mais tous insistent sur la nécessité pour les cambodgiens d’accéder au crédit pour se développer.

 

"Je suis heureux que notre tristesse soit enfin rendue publique. Nous l'avons cachée pendant si longtemps. La façon dont les institutions de micro-finance (les IMF) agissent est à l'opposé de la façon dont elles parlent. L'endettement est le plus grand problème auquel sont confrontées les communautés dans tout le pays",

aurait déclaré une personne interrogée dans le rapport.

Le rapport met en évidence des comportements présumés contraires à l'éthique de la part des agents de crédit, tels que des pratiques de recouvrement agressives, des ventes de terrains sous pression et des menaces ; et les conséquences négatives des micro-crédits, notamment la diminution de la nourriture, la vente de biens et le travail des enfants.

 

 

 

Un surendettement généralisé 

 

On peut y lire qu’ « en décembre 2020, il y avait 2,8 millions de prêts au Cambodge suivis par la Cambodian Micro-finance Association (CMA), pour un total de 11,8 milliards de dollars. Il s'agit des prêts des IMF enregistrées ainsi que du "petit" portefeuille de plusieurs banques cambodgiennes.

Parmi ces « micro-crédits", le montant moyen d'un prêt était de 4 280 dollars - un chiffre stupéfiant qui est supérieur à 95 % du revenu annuel des Cambodgiens ».

 

Cette croissance inconsidérée a entraîné un surendettement généralisé, et une grande partie de ce portefeuille est garantie par les titres fonciers des emprunteurs. Comme l'ont montré des recherches antérieures menées par des ONG locales de défense des droits de l'homme, les IMF cambodgiennes pratiquent des taux d'intérêt élevés, exigent des titres fonciers comme garantie et ciblent les clients pauvres, vulnérables à la perte de leurs terres. Ces pratiques prédatrices ont permis aux IMF et à leurs partenaires de prêt étrangers de réaliser d'immenses profits et ont eu un impact négatif sur la sécurité foncière des Cambodgiens, notamment des communautés vulnérables. »

 

"Sans le droit à l'allègement, les emprunteurs continueront à être confrontés à la faim, au travail des enfants, à la migration, à la vente forcée de terres et à de nombreuses autres violations des droits de l'homme liées à la dette", indique le rapport.

 

La Licadho a produit une série de rapports depuis août 2019 sur les violations présumées des droits humains dans le secteur - une série qui a été accueillie avec une hostilité apparente de la part de l’industrie.

 

L'Association cambodgienne de micro-finance critique le rapport 

 

VOD rapporte que Kaing Tongngy, le porte-parole de l'Association cambodgienne de micro-finance a déclaré l'année dernière "Ces rapports sans fondement et incomplets donnent l'occasion à certaines personnes mal intentionnées de profiter de cette occasion pour publier et partager de manière incitative, provoquant le chaos social et affecte la réputation et la dignité des institutions financières, qui est l'épine dorsale de l'économie nationale »,

 

L'expression "inciter à la manière, provoquer le chaos social" semble faire écho à l'accusation pénale d'incitation à perturber la sécurité sociale", qui a été utilisée contre des dizaines de critiques du gouvernement ces dernières années et qui est passible d'une peine de prison de six mois à deux ans.

 

Tongngy a déclaré lundi que l'association s'interroge toujours sur les "véritables motifs et l'intégrité" des ONG.

 

ATM
Credit : Eduardo Soares

 

Le recours à l’endettement, un outil de développement 

 

VOD rapporte aussi les propos des différents acteurs du secteur.

 

Sandra Bergsteijn, porte-parole de Triodos Investment Management, actionnaire d’Acleda  qui a déclaré " que les violations des droits de l'homme "ne devraient bien sûr jamais être le cas" dans le secteur, et que Triodos examinerait comment les investisseurs internationaux pourraient contribuer à améliorer la situation locale " 

 

Néanmoins, la position de la société n'a pas changé : l'accès au financement est "vital pour le développement économique et social, ainsi que pour le développement personnel", a-t-elle déclaré.

 

 

La banque publique de développement allemande KfW a déclaré que la collecte de données et une étude "sont sur le point d'aboutir" et pourraient conduire à des changements potentiels dans les politiques.

 

La KfW a déclaré qu'elle "ne peut pas faire de commentaires" sur l'opportunité d'une action en justice contre les chercheurs de l'ONG, "car cela concerne les discussions en cours entre les institutions cambodgiennes, auxquelles la KfW ne participe pas".

 

La KfW continue de penser que "la micro-finance et sa contribution à l'éducation financière et à la finance responsable sont bénéfiques pour les Cambodgiens", et a ajouté que les questions de rentabilité ne s'appliquent pas à la KfW car "la KfW agit en tant qu'agence de mise en œuvre au nom du gouvernement allemand, et n'est pas axée sur la rentabilité."

 

La question de la dette est également apparue dans d'autres enquêtes récentes, dans le contexte des pertes de revenus des ménages dues aux perturbations de la Covid-19. 

 

Une enquête de World Vision réalisée au début de l'année a révélé que seulement 28 % des personnes interrogées déclaraient pouvoir couvrir leurs remboursements de prêts et que 37 % d'entre elles déclaraient s'endetter davantage en raison de la perte de revenus.

 

Ce problème de la dette est quelque fois accru par les emprunteurs qui peuvent mentir sur leur revenu afin d’avoir plus de prêt. 

Le directeur d'une école nous confiait avant la crise covid : « Avec la plupart de mes employés cambodgiens, dès qu’ils avaient fini leur période d’essai, ils me demandaient une attestation de salaire pour avoir recours à un crédit. Dans la plupart des cas, ils me demandaient de mentir et de déclarer un salaire supérieur à ce qu’ils percevaient ».

 

La Licadho a aussi pointé du doigt le manque de vérification des IFM qui met les familles en difficulté. 

 

Peu instruites, mal informées bien souvent, elles n’ont pas une idée claire de la charge de la dette sur leur budget mensuel. 

 

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