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Interview avec Thierry Chantha Bin

Thierry Chantha Bin-Football-Cambodge-Phnom PenhThierry Chantha Bin-Football-Cambodge-Phnom Penh
Écrit par Thibault Bourru
Publié le 7 novembre 2017, mis à jour le 18 février 2021

Rencontre avec Thierry Chantha Bin, footballeur Franco-Khmer et international cambodgien. Nous sommes revenus avec lui sur ses débuts en France, son arrivée au Cambodge, sa vision du football ici, ses matches qualificatifs pour la Coupe du Monde...

Tu as grandi à Aulnay-sous-Bois (93), c'est d'ailleurs le premier club dans lequel tu as joué...

J'ai connu le foot avec mes amis dans la rue, on jouait comme ça pour s'amuser. Je me suis inscrit en club vers 11 ans. À la base j'étais pas à fond pour entrer dans un club. Mais quand je suis arrivé au collège, mes potes jouaient tous en club. C'est eux qui m'ont dit de venir, c'est comme ça que j'ai commencé.

Très jeune tu as d'ailleurs connu une expérience chez les Bleus, en Équipe de France U16...

J'ai joué à Strasbourg entre 14 et 18 ans. J'ai fait le centre de formation là-bas, c'est comme ça que je me suis fait repérer en équipe nationale.On jouait en U16, U17, U19 nationaux. J'ai joué contre la Turquie et l'Allemagne.

C'est à ce moment-là que tu te dis que tu veux vivre du foot...

Je me suis dit qu'il y avait beaucoup de chances que je passe pro. La première année (à Strasbourg), j'ai vraiment été sérieux. Mais les années d'après, on va dire que j'ai levé le pied...

Tu découvres alors le football au Cambodge, ton pays d'origine...

Oui c'est à partir de 20, 21 ans, j'étais à Aubervilliers. On avait une équipe de Cambodgiens-Français qu'un ancien professionnel a monté en France. Elle réunit tous les Cambodgiens de France de Lyon, Paris, Nantes, etc. On est allé faire des matches amicaux au Cambodge. C'est comme ça qu'on s'est fait repérer. Mais après moi, j'ai voulu essayer parce que je voulais partir de la France d'un côté, j'en avais un peu marre. Je voulais tenter l'aventure, je me suis dit pourquoi pas...

C'est à ce moment-là que tu te fais repérer à Phnom Penh...

On a donc fait cette tournée où on a fait des matches amicaux (au Cambodge). Notamment contre le club où l'on jouait Dani (Kouch), Boris (Kok), et moi : le Phnom Penh Crown. J'ai marqué et c'est comme ça qu'ils m'ont repéré. Après la tournée, je suis rentré en France, mais on m'a rappelé pour signer. J'attendais que ça de trouver un club ici.

Toi qui es aux premières loges depuis 6 ans maintenant, comment évalues-tu l'évolution du foot au Cambodge ?

On va dire que ça se développe. Les clubs mettent les moyens, certains ont des stades maintenant alors que ce n'était pas le cas avant. Les infrastructures sont "un peu meilleures". Mais il n'y a pas une grosse différence entre le moment où je suis arrivé et maintenant. Il y a d'autres pays (en Asie du Sud-Est) où c'est plus développé comme la Thaïlande, la Malaisie, l'Indonésie.

Sur quoi faut-il accentuer pour vraiment faire décoller ce sport ici ?

Au niveau du développement des joueurs. Après là, ça se fait petit à petit. Ils préparent déjà le futur, il y a des académies, etc. Je pense que ça va venir petit à petit, mais c'est ça qui manquait. Il n'y a pas beaucoup de joueurs au Cambodge. Il n'y a que 12 équipes au sein de la Ligue. Avant il n'y avait "qu'une cinquantaine de joueurs sélectionnables ou qui avaient le niveau". C'est dur d'avoir un gros vivier de joueurs où tu as vraiment le choix. Maintenant il y a "un centre pour l'équipe nationale", qui héberge les jeunes joueurs pour le futur. Et chaque club a son académie. Les jeunes s'y entraînent deux, trois fois par semaine. Ça dépend des boss aussi. Leur but c'est d'aider et de développer le football au Cambodge, donc ils établissent des équipes U13, U16, etc. Faut juste voir l'équipe nationale. Tout l'engouement, tous les moyens que les gens donnent pour l'équipe nationale, ce serait magique qu'ils donnent la moitié pour les clubs.

Tu choisis très vite de jouer pour l'équipe nationale du Cambodge...

J'ai été sélectionné avec les U23 cambodgiens pour faire les Jeux Olympiques d'Asie du Sud-Est à la fin de ma première saison ici. Et après, à partir de là, ça a continué en équipe A, tout le temps. J'ai été capitaine une dizaine de fois.

Comment est vécu le football par les supporters ici, entre l'équipe nationale et les clubs ?

Ici c'est la folie. Mais c'est le jour et la nuit entre la Ligue et l'équipe nationale. Pour l'équipe nationale il y a toujours 45.000, 50.000 supporters, et ça c'est depuis 2, 3 ans. Oui il y a beaucoup beaucoup de fans, de gens qui suivent l'équipe nationale. Les clubs ? En fans ? Il y a 200, 300 fans à tout casser. Et encore... Les gens, ils s'en foutent. Des derbys ? Il n'y a que 2, 3 matches, sinon le reste c'est nada. Même en province tu as plus de monde qu'à Phnom Penh. Parce que ce sont vraiment des petites provinces donc les gens dès qu'ils entendent qu'il y a un match de foot, ils vont venir direct. Mais ici, si c'est pas l'équipe nationale, c'est mort.

Tu es donc vite passé au statut d'international A, ce qui implique des responsabilités...

J'ai joué au début quand il n'y avait pas beaucoup de supporters. Et je rejoue maintenant avec tout l'engouement qu'il y a, ça donne la chair de poule. On ne peut pas faire n'importe quoi dans la vie de tous les jours, parce que ça peut se répercuter sur notre image. On fait attention à tout ça. Mais j'ai eu l'habitude de jouer en France, ou il faut toujours être professionnel sur le terrain ou à l'extérieur. Je fais ce que j'aime, c'est une bonne pression, ça donne envie de donner le meilleur de soi-même. Ça fait plaisir et ça donne envie de tout donner.

Vous avez joué une phase de groupe pour la qualification à la Coupe du Monde 2018 en Russie, et c'était compliqué (0 point)...

C'est sûr mais on est tombé contre des gros pays : le Japon, la Syrie, l'Afghanistan, Singapour...

Tu as d'ailleurs pu affronter des grandes stars du football international, notamment face au Japon...

Oui il y avait Kagawa (Borussia Dortmund), Honda (ex AC Milan), Nagatomo (Inter Milan), Sakaï (Olympique de Marseille), c'est un délire (sourires). Tu joues contre eux, tu les regardes les mecs. Tu sens la différence, tu sens que les gars, c'est du haut niveau.

Qu'est-ce qui vous différencie d'une équipe comme Singapour ? La seule contre laquelle vous avez marqué durant cette phase de groupe. 

C'est pas plus fort que nous. On les a battus une fois, à domicile, c'est pas plus fort... C'est 50-50 on va dire. Après, eux, ils sont beaucoup plus développés, les clubs sont plus développés, même s'ils n'ont pas beaucoup de fans. Ils ont des infrastructures très développées. On va des fois là-bas s'entraîner, ou faire des matches amicaux. On se croirait en Europe en fait. Les stades sont magnifiques, il y a beaucoup de terrains d'entraînement, mais c'est quasiment vide.

Expérience incroyable, vous avez donc joué contre la Syrie durant cette phase de groupe, un pays pourtant dévasté...

Oui, bah nous on connait que ça, ce qu'on entend à la télé, les problèmes qu'ils ont, les guerres, etc. Mais je ne connaissais pas leur niveau. Franchement j'étais étonné parce qu'il y a vraiment de bons joueurs. Ce n'est pas pour rien qu'ils ont "loupé" de peu la qualification à la Coupe du Monde. Franchement, ils ont du niveau. C'est comme l'Afghanistan (pour leurs matches à domicile), ils jouent dans des pays aux alentours, en Asie. On était allé jouer contre eux à Oman, et on s'était pris une raclée là-bas, et même aller-retour (6-0, 0-6). Les mecs sont forts. Ils sont pas connus, tu vois les maillots qu'ils ont, ils n'ont pas énormément de moyens, mais les mecs sur le terrain ce sont des tueurs. Ils ont la hargne, ils sont balèzes, ils sont forts techniquement. Je pense qu'il y en a beaucoup qui jouent dans les pays européens en club, ça aide beaucoup. C'est comme l'Afghanistan, ils ont beaucoup de joueurs qui jouent aux Pays-Bas, en Allemagne, etc. Ce qui fait que leur équipe nationale est vraiment forte.

Thibault Bourru
Publié le 7 novembre 2017, mis à jour le 18 février 2021

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