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Choum-choum khmer : distillation artisanale de l’alcool de riz au Cambodge

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« Alambic » de l’atelier de distillation du village de Banteay Chmar, province de Banteay Meanchey crédit : Pascal Médeville)
Écrit par Pascal Médeville
Publié le 21 novembre 2021

Le choum-choum, nom français de l’alcool de riz distillé en Indochine, est encore aujourd’hui fabriqué de façon artisanale dans la campagne cambodgienne. C’est cette activité que je vous propose de découvrir ici.

 

« Tu ne sais pas ce qu’il me rappelle ? C’t’espèce de drôlerie qu’on buvait dans une petite taule de Biên Hòa, pas tellement loin de Saïgon. Les volets rouges et la taulière, une blonde comaque. Comment qu’elle s’appelait nom de dieu ? » Peut-être vous souvenez-vous de cette réplique de Raoul Volfoni, alias Bernard Blier, dans la scène inénarrable de beuverie du très classique et succulent film de Georges Lautner, Les Tontons flingueurs (dialogues de Michel Audiard…)  Peut-être que « c’t’espèce de drôlerie » qu’on buvait à l’époque héroïque chez Lulu la Nantaise, la « blonde comaque », n’était autre que ce que les amateurs appelaient le « choum-choum », nom prétendument vietnamien de l’alcool de riz distillé, souvent évoqué dans les souvenirs émus des anciens d’Indochine !

 

Sachez que ce tord-boyaux, aussi redoutable que foudroyant, même s’il a cédé l’essentiel de ses parts de marché aux bières et autres cognacs et whiskies qui ont aujourd’hui la faveur des Cambodgiens assoiffés, continue d’être fabriqué dans les campagnes khmères !

 

La distillerie artisanale cambodgienne.

 

La fabrication de l’alcool distillé de riz, ou « alcool blanc » (ស្រាស [sra sâ]), activité qui se déroule de façon presque exclusive dans des ateliers familiaux, ne fait au Cambodge pas l’objet d’une véritable règlementation, et les autorités locales semblent se désintéresser quelque peu du sujet. Cependant, il arrive assez souvent que l’on signale des cas d’intoxication grave, voire de décès, par suite de la consommation d’alcool de riz mal distillé ou frelaté, contenant du méthanol, produit généré lors d’une distillation déficiente (voir par exemple ici un article de Radio Free Asia, qui évoque l’un de ces malheureux faits divers, ou ici dans nos colonnes, 31 personnes ayant sucombées à l'ingestion d'alcool frélaté)

On ne peut donc qu’inviter ceux qui seraient tentés de se risquer à goûter cet alcool à la plus grande prudence.

 

« Alambic » de l’atelier de distillation du village de Banteay Chmar, province de Banteay Meanchey (Photographie : Pascal Médeville)
« Alambic » de l’atelier de distillation du village de Banteay Chmar, province de Banteay Meanchey (Photographie : Pascal Médeville)

 

Les ateliers artisanaux de distillation de l’alcool de riz, dont la zone de chalandise n’excède guère le village où l’atelier se trouve ou, tout au plus, les villages environnants, ont une production des plus modestes. De plus, il ne s’agit le plus souvent que d’une activité complémentaire permettant d’apporter un revenu d’appoint aux familles paysannes, qui sont principalement occupées à la riziculture ou aux cultures maraîchères. Lorsque les volumes produits excèdent les besoins du marché local, le surplus de la production est vendu à des grossistes qui se chargent de la distribution.

 

Au Cambodge, le riz utilisé pour cette production est du riz dit « dur » (អង្កររឹង [âng-kâ reung »), c’est-à-dire du riz non glutineux. (Dans le royaume, le riz glutineux sert à produire de petites quantités d’alcool fermenté.)

 

Le processus de fabrication du l'alcool de riz

 

Le processus de fabrication est le suivant : le riz est d’abord cuit, puis étalé sur une natte et laissé à refroidir. On y mélange ensuite de la levure réduite en poudre, avant de laisser le riz macérer, le plus souvent dans un grand pot de terre cuite, pendant deux nuits.

Après deux nuits, le mélange laisse échapper de l’eau. On ajoute alors de l’eau fraîche, on mélange bien, et on laisse macérer deux nuits de plus. D’autres producteurs ajoutent en même temps la levure et l’eau au riz refroidi, et laissent macérer l’ensemble cinq jours, comme dans la vidéo d’illustration donnée à la fin de cet article.

 

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Riz cuit à distiller mis à refroidir, village de Banteay Chmar, province de Banteay Meanchey (Photographie : Pascal Médeville)

 

La mixture obtenue est placée dans un chaudron placé sur un foyer alimenté par du bois ou du son de riz. Le chaudron est fermé à l’aide d’un couvercle percé d’un trou dans lequel est fiché un tube de métal. Un tuyau, souvent flexible, est relié au tube de métal. Ce deuxième tuyau passe dans un récipient d’eau froide qui permet la condensation des vapeurs d’alcool, et l’alcool distillé est recueilli dans un bidon.

 

Il y a quelques points qui nécessitent une attention particulière. Le récipient de terre cuite dans lequel le riz est mis à macérer doit être parfaitement sec au début du processus, faute de quoi l’alcool obtenu aura une saveur aigre. Le couvercle posé sur le chaudron doit être fermé de façon hermétique ; pour garantir l’étanchéité, la jointure entre le chaudron et le couvercle est fermée à l’aide soit d’argile, soit de riz cuit mélangé avec de la cendre tamisée ; tous les points du système où il existe un risque de fuite de vapeur sont étanchéifiés de la même façon.

 

La levure utilisée pour la massération du riz

 

La qualité de l’alcool est déterminée par la qualité de la levure (ដំបែ [dâm-baé], ou មេដំបែ [mé dâm-baé], ou tout simplement មេ [mé]) employée. (Notons pour l’anecdote que le mot « mé » មេ signifie « mère », comme notre « mère de vinaigre ».)

Certains producteurs utilisent de la levure chimique prête à l’emploi, généralement importée du Vietnam. Cette levure est de qualité médiocre, mais elle a l’avantage d’être peu onéreuse et simple d’utilisation. Les connaisseurs expliquent que l’alcool produit avec ce genre de levure chimique génère effets secondaires plus marqués (maux de tête et autres effets indésirables).

 

Mais traditionnellement, les exploitants fabriquent eux-mêmes leur levure à partir de végétaux disponibles dans leur voisinage immédiat. Dans un article en khmer consacré à la distillation de l’alcool blanc, l’ethnologue cambodgien Ang Chulean explique par exemple que la levure d’un atelier familial de distillation qu’il a visité dans un village de la province de Siemreap, contenait, entre autres ingrédients, des feuilles et du bois, réduits en poudre, des espèces Diospyros bejaudii, Polyalthia evecta, Lepisanthes rubiginosa, Micromelum minutum, Suregada multiflora (voir ici l’article de Ang Chulean). Certaines familles se spécialisent dans la production de galettes de levure qu’elles vendent aux ateliers de distillation.

 

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Galette de levure artisanale, village de Banteay Chmar, province de Banteay Meanchey (Photographie : Pascal Médeville)

 

Des producteurs agrémentent leur levure d’ingrédients aromatiques et médicinaux. Un producteur de Battambang, auquel j’ai eu l’occasion de rendre visite en avril 2016, ajoutait ainsi dans sa levure du poivre long de Java (Piper retrofractum), des grains de poivre noir (Piper nigrum), des « graines » de coriandre, de l’anis étoilé et des graines de cardamome (de gauche à droite sur la photo ci-dessous).

 

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Ingrédients entrant dans la composition de la levure utilisée pour la distillation dans un atelier des faubourgs de Battambang (Photographie : Pascal Médeville)

Un dollar pour un litre d'alcool à 40°

Un kilogramme de riz permet de produire plus ou moins un litre d’alcool. Au début de la distillation, l’alcool titre à 60°, mais le titrage baisse progressivement, et on obtient finalement un alcool titrant à 40° ; un simple alcoomètre permet de vérifier la teneur en alcool à la fin du processus. Le litre d’alcool est généralement vendu au prix modique de 4000 riels (env. 1 dollar américain). Cet alcool peut être consommé directement, ou encore servir de base pour la préparation d’alcools médicinaux (des plantes médicinales sont mises à macérer dans l’alcool) ou, plus rarement, d’alcools aromatisés aux fruits.

Le riz qui reste à l’issue du processus de distillation sert à alimenter les porcs. Il est courant que les producteurs d’alcool de riz élèvent aussi des cochons qu’ils nourrissent avec les restes de riz. Sinon, ce riz, appelé « riz à alcool » (បាយស្រា [bay sra]), est vendu à des éleveurs.

Dans la vidéo ci-dessous, un journaliste de l’excellent site d’information cambodgien Thmey Thmey interroge une productrice d’alcool de la province de Tbong Khmum (ouest du Cambodge) (le sous-titrage a été réalisé par l’auteur de cet article, avec l’aimable autorisation de Thmey Thmey) :

 

 

Artcile precédemment paru sur Tella Botanica

 

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