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Armand Desbat : "Au Cambodge, la céramique est le témoin des sociétés anciennes"

Le céramologue français Armand Desbat revient d’une campagne de fouilles archéologiques au Phnom Borei, au sud de Phnom Penh, où il a exhumé 800 kg de fragments de céramique datés de l’époque du Funan. Un corpus exceptionnel qui éclaire les débuts de l’influence indienne en Asie du Sud-Est et la complexité des échanges anciens.

Armand Besnat !Armand Besnat !
Écrit par Raphaël FERRY
Publié le 27 juillet 2025

« On devient céramologue parce qu’en fouille, on ne trouve pratiquement que ça », résume d’entrée Armand Desbat. Ancien archéologue spécialisé dans le monde romain, il s’est peu à peu tourné vers la céramique, matériau quasi indestructible dont les fragments constituent entre 90 et 99 % des vestiges retrouvés sur les sites anciens.

« On fabriquait en terre cuite ce que l’on fait aujourd’hui en plastique », explique-t-il. De plus, les décors, formes et usages de ces objets – culinaires, rituels ou de stockage – permettent d’éclairer de nombreuses facettes des civilisations passées.

Au Phnom Borei, sur les traces du Funan

La dernière mission d’Armand Desbat s’est déroulée au Phnom Borei (près d’Angkor Borei), dans une région associée au royaume du Funan. Ce royaume nous est surtout connu grâce aux ambassadeurs chinois qui, dès le IIIe siècle, décrivaient cette société du bas Mékong. Mais sur le terrain, les fouilles apportent des données bien plus concrètes.

Guidé par Chea Socheat, conservateur du musée de Phnom Penh, Armand Desbat et son équipe – en collaboration avec le ministère cambodgien de la Culture et sous la direction scientifique de Dominique Soutif (EFEO)– ont mis au jour un impressionnant ensemble de céramiques. « En quatre sondages de deux mètres carrés sur un mètre de profondeur, nous avons récolté 800 kg de matériel », note-t-il.

 

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800 kg de morceaux de poterie ont été collectés lors de la dernière campagne

Un site de production encore méconnu

L’objectif ? Vérifier s’il s’agissait d’un site de production. « Dès la prospection, nous avions vu affleurer des fragments partout », se souvient-il. L’analyse stratigraphique a permis d’identifier plusieurs phases d’occupation, et une chronologie relative. « À ce stade, nous ne pouvons pas donner de datation absolue. On est probablement entre le IIe siècle avant et le Ier siècle après J.-C., dans ce que l’on appelle le pré-Funan ou le début du Funan. »

Plus de 5 000 bords de céramique ont été inventoriés et quelque 100 formes typologiques identifiées. Un travail titanesque mené avec l’aide du dessinateur Sey Pisith et amorcé en janvier 2025. « Nous en voyons le bout. »

 

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Sey Pisith

Une influence indienne très ancienne

Les formes relevées au Phnom Borei témoignent de techniques différentes de celles observées à l’époque préangkorienne et angkorienne. « On trouve des vernis argileux, noirs ou rouges, que l’on connaît bien en Inde. Cela montre que des influences indiennes existaient bien avant le processus d’indianisation formelle, qui commence vers le au centre siècle. »

Cette constatation fait écho à l’expérience d’Armand Desbat dans le domaine méditerranéen. « On retrouve ici le même passage des vernis noirs aux vernis rouges que dans la céramique grecque et romaine. »

Des ports, des échanges, et une rupture

Comment expliquer la disparition du Funan ? Pour Desbat, la réponse est peut-être à chercher du côté de la géographie : « Le système portuaire d’Oc Eo, à l’origine de la richesse du Funan, s’est peut-être ensablé. Le commerce entre la Chine et l’Inde s’est alors déplacé vers Java. » Une rupture qui pourrait expliquer un hiatus entre le Funan et l’époque préangkorienne.

 

​  800 kg de morceaux de poterie ont été collectés lors de la dernière campagne  ​
détail touchant, parfois les poteries ont gardé les empruntes des ouvriers-ères qui les ont confectionnées

Le Cambodge manque encore de repères chronologiques fiables. « Il n’y a pas de Pompéi ici. Les inscriptions sont rares et peu précises. »

L’archéologie expérimentale au service de la compréhension

Armand Desbat pratique aussi l’archéologie expérimentale. Depuis 2014, il s’est essayé à reproduire des fours anciens, au centre de l’Ecole Française de l’Extrême-Orient de Siem Reap, notamment pour tester la cuisson de grès à partir d’argiles locales. Résultat ? « On arrive à vitrifier certaines pâtes à moins de 1 100°C. Mais il faudrait beaucoup plus de temps et de moyens pour reproduire les glaçures des grès angkoriens avec exactitude. »

 

four experimemtal
le four expérimental de 2014

Une tradition potière qui perdure

Certaines techniques anciennes se retrouvent encore dans les villages cambodgiens, comme à Kompong Chhnang. Les méthodes de façonnage sont restées proches, même si les matériaux ont évolué. « Les formes tournées cohabitent avec du modelage traditionnel. »

Un corpus inédit… et encore beaucoup de questions

La campagne de fouilles 2025 pourrait être suivie d’une nouvelle mission, mais Armand Desbat reste prudent. « Chaque sondage peut générer des centaines de kilos de matériel. Et même avec toute la rigueur possible, l’interprétation reste difficile. »

Il espère cependant étoffer les données sur les phases les plus anciennes du site, affiner la chronologie relative, et mieux comprendre les échanges avec les ports de l’isthme malaisien ou de la côte indienne.

« On est encore au début. Ce corpus est exceptionnel, mais il soulève plus de questions qu’il n’en résout. »

 

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Armand Desbat

 

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