Mercredi 14 novembre se tenait à l’hôtel Sokha une conférence du programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) sur la traite des déchets au Cambodge. Entre surproduction et absence de recyclage, l’ampleur de la situation inquiète profondément les défenseurs de l’environnement.
Une étude d’envergure a été menée dans tout le royaume par le PNUD pour tenter d’obtenir une image objective de la situation, de la production de déchets à leur traitement. L’étude a été menée grâce à des informations existantes, qui s’articulent autour de quatre sources principales : un rapport du PNUD sur la génération globale de déchets, les bases de données nationales concernant la population et le taux d’emploi, les caractéristiques particulières de chaque province du Cambodge et enfin un algorithme établissant des prédictions sur la future production de déchets à l’horizon 2050.
Les zones rurales les plus touchées par la surproduction de déchets
Les résultats de l’étude concluent à une concentration de la génération de déchets à Phnom Penh, constat facilement explicable par la concentration d’habitants, de commerces et d’industries dans la capitale. Mais les résultats les plus éloquents de l’étude sont ceux concernant les provinces du royaume. Car si la production de déchets est très inégale en fonction des régions et que de nombreux facteurs entrent en jeu dans cette distinction (présence d’industries polluantes, tourisme…), une conclusion se maintient dans le rapport final : dans toutes les provinces excepté Phnom Penh, la grande majorité des déchets sont produits en zone rurale.
Phnom Penh mise à part, il n’existe pas une province du Cambodge où la masse de déchets produites dans les zones urbaines excède celle produite dans les zones rurales. Si la production de déchets est très inégalitaires entre provinces, six d’entre elles dépassent allègrement les 150 000 tonnes produites par an. Les provinces de campagne entourant la capitale sont particulièrement productrices de déchets, principalement à cause de leur proximité avec Phnom Penh. Kampong Cham, Prey Veng et Takeo, respectivement au nord-ouest, à l’est et au sud de la capitale, atteignent toutes des records en matière de pollution plastique et organique, jusqu’à 200 000 tonnes par an dans les cas les plus extrêmes (chiffres de 2017), d’après l’étude menée par Darren Perrin, consultant auprès du PNUD.
Graphique du PNUD sur la répartitin des déchets entre zones rurales et urbaines par province. Sources : PNUD Report 2017
Un système de collecte inefficace
Or ces zones sont également les moins desservies en matière de service de collecte, ce qui empire la situation. Selon Bunrith Seng, également consultant auprès du PNUD, « le système de collecte et de transformation des déchets est trop irrégulier pour pouvoir être considéré comme efficace ». Le système présent dans de nombreuses municipalités est biaisé par les intermédiaires privés entre les autorités et les habitants. Le schéma classique est le suivant : la municipalité accorde un contrat à une société privée qui fournit le service de collecte des déchets, cette dernière reçoit ensuite une taxe de la part des habitants dont la collecte est assurée, et paie ensuite un impôt à la municipalité pour le droit d’opérer sur le territoire de celle-ci.
L’obstacle à surmonter dans ce processus est le manque de connaissance de la population de ces systèmes collectifs. Dans un contexte où l’individualisme prime souvent, beaucoup de Cambodgiens raisonnent selon un principe simple, où l’on paie uniquement pour ce que l’on consomme, ici le service de collecte. Par conséquent, de nombreux foyers, habitués à amener par eux-mêmes leurs déchets à la décharge ou bien dans des entrepôts à ciel ouvert, n’acceptent en aucun cas de devoir financer un service qu’ils n’estiment pas nécessaire. Ce manque à gagner pour les entreprises privées de collecte rend les relations qu’elles entretiennent avec les mairies difficiles et le service en pâtit grandement. L’opacité des accords fixés pour ce marché public rend impossible la mise en place d’un nouveau service de collecte plus efficace.
Par ailleurs, les conditions de travail des éboueurs cambodgiens sont alarmantes. Sans gants, souvent en chaussures ouvertes, ils arpentent les rues de la capitale et des communes du royaume derrière des camions à l’odeur pestilentielle sans la moindre protection pour leurs voies respiratoires. L’humidité du climat, la chaleur tropicale et l’irrégularité du passage des camions à ordures rendent le processus de pourrissement des déchets beaucoup plus rapide, et attire rats et autres rongeurs. Les risques de transmission d’infections par ces animaux s’ajoutent à la liste des dangers quotidiens auxquels s’exposent ces travailleurs de l’extrême.
Le recyclage, une utopie encore lointaine pour le royaume
Décharges à ciel ouvert, déchets mélangés sans prendre en compte leur degré de dangerosité... le Cambodge a encore une longue route à parcourir avant de prétendre être en mesure de recycler durablement ses déchets. Cependant, d’après Bunrith Seng, « Le problème profond n’est pas le manque de volonté des Cambodgiens, mais le manque de cadre légal et d’institutions en charge de ce traitement des déchets ». Les sites de traitement dont dirigés d’une manière tellement opaque qu’il est quasiment impossible pour les chercheurs d’estimer leur capacité de traitement.
Il existe certaines initiatives encourageant le recyclage des déchets. Mais encore une fois, celles-ci sont tellement informelles que leur élargissement ou bien leur soutien est difficile par les organismes internationaux de protection de l’environnement. les porteurs d’initiatives peinent, sans moyens, à mener à bien leurs projets. L’informalité de ces initiatives les laisse donc souvent à l’état de croquis sur papier. Certains projets décollent cependant plus que d’autres mais leur fiabilité reste questionnable. Bunrith Seng ajoute sur ce sujet : « Il existe un projet de génération d’électricité à partir d’incinération de déchets. Cependant, aucune étude n’a pu être menée sur les retombées du projet et sa dangerosité, ce qui est incompréhensible lorsqu’on sait que la technologie d’incinération n’est pas complètement maîtrisée dans ce pays ». L’informalité de ces initiatives les laisse donc souvent à l’état de croquis sur papier.