Lundi 26 janvier 2015, plus d'une centaine de personnes étaient présentes devant la Cour d'Appel de Phnom Penh pour assister au verdict dans le procès des militantes de la communauté de Boeung Kak. Ces dernières restent en prison et la justice cambodgienne est une nouvelle fois accusée d'impartialité.
« Le gouvernement du Cambodge a fait de ces militantes des boucs émissaires afin d'enrayer toute résistance à l'encontre de la corruption dont il fait preuve sur le site de Boeung Kak », Phil Robertson, le responsable du département Asie de l'organisation américaine Human Right Watch, a-t-il déclaré au Petit Journal en apprenant le verdict.
Depuis le 11 novembre 2014, sept militantes de la communauté de Boeung Kak sont derrière les barreaux, accusées d' « obstruction à la circulation ». Le lendemain, elles ont toutes reçu une condamnation à 1 an de prison et 500 dollars d'amende. Le verdict de l'appel ? qui s'est déroulé en quatre heures - a été rendu le 26 janvier. La plupart des peines sont réduites d'un an à 10 mois et toutes les amendes de 500 dollars à 375 dollars. Sauf pour la maintenant célèbre Tep Vanny, figure de proue du mouvement de protestation, dont la condamnation est restée la même.
Un autre verdict a été rendu le même jour concernant trois autres militants de Boeung Kak et le bonze, Seung Hai, accusés d' « obstruction aggravée aux agents publics » alors qu'ils manifestaient pour la libération des sept militantes.
Trente-sept organisations locales ont publié un communiqué le 26 janvier pour dénoncer ce verdict de la cour d'appel et une atteinte aux droits de l'homme en affirmant qu'une fois de plus, prouver son innocence ne suffit pas pour être libre.
La querelle entre les autorités et cette communauté remonte à 1999, quand le groupe Shukaku, détenu par le Sénateur CPP Kith Meng, s'est vu attribuer une concession économique de 99 ans par le gouvernement cambodgien, comprenant le lac Kak (Boeung Kak) et les neufs villages situés autour, mettant en péril 20 000 foyers d'après certains défenseurs de la cause. Près de 15 000 personnes ont été expulsées.
Entre héros et boucs émissaires
Les villageois ne se sont pas laissé faire et ont organisé des dizaines de manifestations pour garder leur terrain. Grâce au soutien des organisations locales de défense des droits de l'homme, telle que LICADHO, ainsi que le gel des crédits de la Banque Mondiale au gouvernement, plusieurs centaines de foyers ont reçu un titre de propriété dès fin 2011, montrant le bien-fondé de leur action.
C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles Chak Sopheap, la directrice du Centre cambodgien pour les droits de l'homme (CCHR), a confié au Petit Journal que, dans ce verdict, le public attendait que la Cour d'Appel retire les accusations dont les militantes sont victimes. « Cette décision confirme en réalité à quel point les tribunaux sont utilisés pour faire taire les critiques. Elle montre également la double victimisation dont les militantes font preuve pour faire valoir leur droit », puisqu'elles sont expulsables et en prison.
Phil Robertson va même jusqu'à dire que « le gouvernement lance ainsi un message de ?proteste si tu oses' car [?] si nous disons que vous êtes coupables, vous le serez devant nos tribunaux ».
Des lignes politiques floues
Les lignes sont souvent floues entre politique et défense des droits de l'homme. Dans un article publié par Al Jazeera le 20 janvier, Bov Sophea, l'une des militantes de Boeung Kak qui vit dans ce quartier depuis 1998 a confié : « à chaque fois que nous organisons une manifestation, nous sommes taxés de membres de l'opposition ». Pour John Vighjen qui travaille sur les questions de développement au Cambodge depuis l'UNTAC, le gouvernement cambodgien défend les droits de l'homme en public mais « il le fait par survie, afin de pouvoir montrer que le CPP n'est pas différent de l'opposition [sur ce point] lors des campagnes électorales ». Il s'agit là d'un conflit inévitable.
D'ailleurs, lors de sa conférence de presse donnée le 23 janvier dernier dans les locaux du bureau du Haut-Commissariat aux droits de l'homme des Nations Unies (OHCHR), le rapporteur spécial, Professeur Surya Subedi faisait déjà référence au fait que ce cas est « symptomatiques de la manière avec laquelle les tribunaux sont utilisés à des fins politiques ».
Et pour Janice Beanland, responsable de la campagne d'Amnesty International au Cambodge, il s'agit d'une mauvaise tactique de la part des autorités. « Cela n'a en rien dissuadé les familles de Boeung Kak dans le passé [?]. Les autorités devraient se focaliser sur la résolution de ce conflit pour les familles touchées par les expulsions forcées », a-t-elle déclaré à lepetitjournal.com.
Clothilde Le Coz - http://www.lepetitjournal.com/cambodge - mercredi 28 janvier 2015