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INSOLITE – Leçon de conduite à la cambodgienne

Écrit par Lepetitjournal Cambodge
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 8 février 2018

"Ne t'occupe pas du code de la route, utilise juste le klaxon !" S'assoir à l'arrière d'une voiture auto-école donne un premier aperçu du processus, plus ou moins rigoureux, d'obtention du permis de conduire au Cambodge.

Le chaos du trafic phnompenhois (Bloomberg / Robert James Elliott)

Eang Sokden n'a encore jamais essayé, mais il essaye de la jouer tranquille. Feignant le désintérêt, il grimpe avec nonchalance dans la camionette Hyundai, et met la clef sur le contact. Tout dans la nonchalance, tout dans l'attitude. Mais cela ne dure pas, et bientôt Eang Sokden ne peut cacher la vérité. "J'ai très peur" avoue le profeseur de physique de 34 ans, "Je n'ai jamais conduit.""Effrayé?"éclate de rire Phoa Sok Khourn, le moniteur corpulent et loquace qui se tient à ses côtés, "Mais non tu n'es pas effrayé." Et Phoa Sok Khourn de rire encore, provoquant un sourire chez Eang Sokden, la Hyundai peut enfin partir, sorte de voyage de noces de Eang Sokden, sa première leçon de conduite à l'école 'Day Nimet' [main magique].

En m'asseyant à l'arrière, je me rends vite compte de l'absence de ceinture de sécurité. Mais aussi du déréglement du compteur de vitesse. Les peurs de l'élève Eang Sokden sont peut être justifiées ! Statistiquement le Cambodge compte parmi les pires conducteurs de l'Asie du Sud-est. L'an dernier 15 personnes sont mortes pour 10.000 véhicules enregistrés ? le taux le plus élevé de la zone ASEAN à en croire le système d'information des accidents de la route du Cambodge. Et le problème prend de l'ampleur. En 1998, les routes cambodgiennes accueillaient près de 280.000 véhicules enregistrés, ce chiffre dépasse désormais le million avec un taux annuel de croissance proche de 20% depuis 2004.

Et Eang Sokden s'apprête à rejoindre cette course contre la mort quotidienne. Pour le moment, il se contente d'être bon dernier, laissant passer voitures et motos pressées de se rendre à leur destination. Le bruit de la circulation est très impressionnant. Les klaxons résonnent, et il est clair que les silencieux ne sont pas de cours dans le Royaume. "Klaxonne! Klaxonne! Klaxonne!", le moniteur Phoa Sok Khourn le répète à l'envie, soucieux de ne pas rester à l'écart du tintamarre ambiant, il fait signe à son élève de s'y mettre, et d'appuyer sur le klaxon, "Ils pourraient ne pas se rendre compte que nous sommes derrière eux." Et même si la camionnette d'une tonne et demie ne passe pas vraiment inaperçue, Sokden se rend à la logique de son instructeur, et fait retentir une sonnerie des plus curieuses : honk hnk hnk... honk ? Phoa Sok Khourn est content, son klaxon sonne bien ! Et la camionnette accélère alors que son conducteur prend de l'assurance. Le moniteur continue de bavarder comme si de rien n'était, alors que le véhicule s'engage sur la nationale 6, une route connue comme une des plus dangereuses.

Chaque candidat cambodgien au permis de conduire doit passer un examen écrit, puis un test de conduite. Ce dernier est effectué sur une piste privée gérée par le ministère des Travaux Publics et des Transports, il coute 28 dollars, quasiment tout le monde le réussit. Les leçons de conduite, comme celles entreprises par Eang Sokden, ne sont pas obligatoires. Et bien que ce soit improbable, il est possible au Cambodge que quelqu'un passe le permis, et l'obtienne sans n'avoir jamais conduit auparavant. Selon Ryan Duly, un conseiller technique à la sécurité routière d'Handicap International Belgique, les insuffisances des examens à la conduite relèvent surtout du manque de moyens, "C'est très simple, ils ne peuvent tout simplement pas faire plus technique. Tout dépend du financement, des capacités des moniteurs, et des systèmes d'assurance. En cas d'accident et de blessure, qui est responsable?"

Un peu plus tard, lors d'une leçon de conduite menée par un autre moniteur, les élèves ont été soumis à une sorte de test de confiance alors qu'ils conduisaient. Le moniteur avait réajusté le rétroviseur intérieur afin qu'il puisse seul voir ce qui se passait derrière la voiture. et peut être aussi, vanité oblige, afin qu'il puisse s'admirer en plein cours de conduite. Et les élèves de devoir compter sur le seul moniteur pour décrire ce qui se déroulait derrière eux. Traduction : La confiance d'abord. La maîtrise du trafic vient après.

La leçon est finie, Eang Sokden traine devant l'école de conduite. Il a le sourire. "Aujourd'hui c'était vraiment l'angoisse. Mais après plusieurs heures de conduite cela ne devrait plus être aussi angoissant." Plus aussi angoissant ? Récapitulons. Près de 26.000 personnes ont été tuées sur les routes du Cambodge depuis 2006. Près de 100% de ces accidents sont dûs à des erreurs humaines. Le Royaume est le numéro un du nombre de tués par véhicule enregistré dans la région. Après tout rester un petit peu angoissé n'est pas peut être pas une mauvaise idée !

Terry McCoy de notre partenaire The Phnom Penh Post
Traduit par SK (www.lepetitjournal.com/cambodge.html) jeudi 7 janvier 2010

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Publié le 7 janvier 2010, mis à jour le 8 février 2018

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