

John Burgess est encore un jeune journaliste quand il découvre un ancien temple khmer, Sdok Kok Thom, en Thaïlande. Dedans, une pierre, unique, qui relate l'Empire khmer, traduite en 1883 par le Français Etienne d'Aymonier. Une histoire que nous livre l'écrivain américain dans son livre Stories in Stone. Rencontre avec un passionné
Racontez-nous votre découverte ?
En 1979, je courais en tant que journaliste l'exode des réfugiés khmers vers la Thaïlande. Du camp 007 où je réalisais des entretiens, je suis partie faire une randonnée dans la forêt avoisinante. Et quelques minutes plus tard, je me suis retrouvé face à un très ancien temple, envahi par la végétation et totalement désert. Personne ne m'en avait parlé, j'étais surpris et y suis revenu plusieurs fois.
Plusieurs années plus tard, j'ai appris que le temple contenait une inscription, gravée sur un monolithe en grès, qui retraçait toute l'histoire de l'Empire khmer. C'était le plus long récit jamais trouvé sur cette période avec 340 lignes, et seuls les universitaires et les historiens en connaissaient l'existence. L'auteur en est un prêtre brahmique nommé Sadashiva au XIe siècle. Il raconte l'histoire de sa famille et ses deux siècles et demi de service aux Rois khmers, et à travers elle celle de l'Empire. C'est comme être assis à côté de quelqu'un qui a vécu cette période. J'ai donc décidé d'écrire cette histoire, très attachante et qui porte sur une des plus grandes civilisations au monde.
Pourquoi ce temple est-il particulier ?
Il n'est pas particulier ni par sa taille ni par son architecture, puisqu'il est comparable à un petit temple de province, et non à un grand temple construit pour un Roi. Mais c'est un des plus intéressants, grâce à cette fameuse inscription qui, par son caractère unique, prend une place très spéciale dans l'histoire khmère. C'est grâce à elle, et donc grâce à ce temple, que l'on connaît mieux l'Empire khmer.
Qu'apprend-on sur l'histoire de l'Empire khmer ?
Enormément de choses ! La généalogie des Rois khmers, les périodes clés de la première moitié de l'Empire -succession des rois, déménagement de la capitale, construction des temples- les rituels religieux de l'époque, etc. C'est comme une fenêtre ouverte sur cette période, on voyage dans le passé. Dans mon livre, seul le dernier chapitre parle de la période récente. Le temple a été sérieusement endommagé par les pillages dans les années 1960. Puis la décennie suivante, il est devenu une forteresse pour les réfugiés.
Quel rôle les Français ont-ils joué dans cette découverte ?
Un très grand rôle ! Sous le protectorat, les Français étaient très enthousiastes par l'histoire de la grande civilisation d'Angkor. Celle-ci avait été presque complètement oubliée. Dans le temple, ils ont trouvé près de 1.000 gravures. Mon livre relate le travail de "détective" d'Etienne Aymonier et de ses collègues pour copier, traduire et comprendre les inscriptions, écrites en sanskrit et en vieux khmer, et retracer l'histoire. Et c'est Aymonier qui fut le premier à comprendre l'ancienne langue khmère. Pour cela, il a passé trois ans et demi à voyager dans tout le Cambodge et ses pays voisins pour recueillir des indices.
Parlez-nous de vos recherches?
J'ai contacté le Dr. Chhany Sak-Humphry de l'université d'Hawaii qui a fait la traduction que j'ai utilisée. Elle a gentiment accepté que je m'en serve pour mon livre. J'ai aussi lu des livres d'universitaires français, interviewé les gens qui vivaient aux alentours du temple, l'architecte qui le restaure et des Cambodgiens qui vivaient dans le camp de réfugiés entre 1970 et 1980. Mais surtout, j'ai visité la bibliothèque nationale à Paris pour voir les estampes du temple qu'a faites Aymonier en 1883. J'ai d'ailleurs contacté ses descendants et je suis allé voir son petit-neveu, M. Bernard Kessler, en France. Il a gardé les lettres d'Aymonier, ses photographies et des documents.
Justement, quelle a été la réaction du petit-neveu d'Etienne d'Aymonier, quand vous lui avez fait part de ce livre qui rend hommage à son ascendant ?
Monsieur Kessler a été très hospitalier, et d'une grande aide pour mes recherches. Il semble assez fier de son ascendant, qui est mort l'année de sa naissance. Ils ne se sont donc jamais rencontrés. Il m'a accueilli chez lui en France, lors du voyage que j'ai fait avec ma fille pour retrouver tous les documents laissés par Aymonier sur le temple. C'était un privilège de voir tous ces travaux qui n'ont jamais été publiés !
Le temple Sdok Kok Thom est khmer mais est situé en Thaïlande, non loin de la frontière avec le Cambodge. Pensez-vous que ce temple puisse devenir l'objet d'un conflit entre les deux pays, comme celui de Preah Vihear ?
Ce temple est un héritage de l'Empire khmer. La frontière près de l'endroit où il se trouve a été décidée entre le Siam et la France en 1907. Il n'y a pas de démarcation naturelle, mais seulement des bornes installées par les deux pays. Le temple se trouvait alors côté Siam. En 2003, les médias thaïlandais ont rapporté que le gouvernement cambodgien avait réclamé le temple dans une lettre au ministre des Affaires étrangères thaï, les Thaïlandais ont alors organisé une manifestation. La dispute toutefois a vite été enterrée. De ce que je sais, les Cambodgiens n'ont jamais officiellement demandé la restitution du temple. En revanche pour tous les Cambodgiens qui le connaissent, et en particulier les réfugiés du camp 007, le temple est bel et bien en territoire cambodgien, et a donc été annexé par la Thaïlande.
Anna Villechenon (www.lepetitjournal.com/cambodge.html) jeudi 23 septembre 2010
Stories in stone, de John Burgess. Points de vente : Monument Books.









































