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Chum Pesey, la montagnarde venue d’un pays plat

Chum Pesey Phnom Tumpor Cambodge randonnéeChum Pesey Phnom Tumpor Cambodge randonnée
Au sommet du Phnom Tumpor, le troisième plus haut sommet cambodgien. Photo fournie
Écrit par François Camps
Publié le 19 mai 2019, mis à jour le 19 mai 2019

A 31 ans, cette Cambodgienne est l’une des premières femmes montagnardes du royaume. En février, elle bouclait l’ascension du Phnom Samkos, le second plus haut sommet du pays, culminant à 1 717 mètres d’altitude. Elle devient ainsi l’une des rares femmes à avoir gravi les trois plus hautes montagnes cambodgiennes, après ses ascensions du Phnom Aoral (1 813 m) en 2017 et du Phnom Tumpor (1 515 m) en janvier dernier. Aujourd’hui, elle souhaite poursuivre son parcours hors des sentiers battus, sur des chemins toujours plus hauts et escarpés, portant un message d’émancipation auprès des jeunes Cambodgiennes. Rencontre.

Lepetitjournal.com Cambodge : Chum Pesey, vous faites partie du cercle restreint des femmes cambodgiennes pratiquant des sports outdoor. Comment vous est venue cette passion pour la montagne, surtout dans un pays aussi peu escarpé que le Cambodge ?

Chum Pesey : Quand j’étais petite, je me rendais souvent dans le village natal de mon père, dans la province de Kampong Cham, à côté duquel il y avait quelques pitons rocheux. Avec mes cousins, on faisait souvent le mur pour s’amuser en pleine nature et parcourir ces petites montagnes. Mais en grandissant à Phnom Penh j’ai progressivement perdu ce rapport à la nature…

C’est pendant une année d’étude en Nouvelle-Zélande que j’ai découvert la randonnée. J’avais le mal du pays et ma famille me manquait. Des amis m’ont alors proposé d’aller en montagne avec eux pour me changer les idées. J’ai accepté… et j’ai tout simplement détesté ça ! (rires) C’était beaucoup trop dur, beaucoup trop long et je n’ai pas arrêté de me plaindre !

Vous avez quand même persévéré. Pourquoi ?

Finalement, en arrivant au sommet, j’ai compris l’intérêt de la randonnée : les paysages incroyables, la proximité avec la nature… et ce sentiment d’accomplissement, cette petite phrase dans la tête : « Moi aussi je peux le faire ».

Ces valeurs restent encore méconnues dans le Cambodge d’aujourd’hui. Pour moi cette première randonnée m’a redonné un peu de la confiance en moi qui me faisait défaut à cette époque. Donc les semaines suivantes j’ai rechaussé mes baskets et suis repartie dans la nature, sur des chemins plus adaptés à mon petit niveau d’alors. Et quatre ans plus tard, je ne peux plus m’arrêter.

Comment vous organisez-vous pour partir randonner au Cambodge ?

Aujourd’hui nous sommes un groupe d’une vingtaine de Cambodgiens, parmi lesquels trois femmes, à marcher très régulièrement ensemble. Nous faisons un peu de tout : de la marche en montagne, des treks dans les plaines, et parfois un peu d’escalade. Au niveau de la sécurité, c’est beaucoup mieux d’être en groupe car nous devons souvent bivouaquer en pleine nature.

La principale différence entre la Nouvelle-Zélande, où tout a commencé pour moi, et le Cambodge, c’est le manque d'infrastructures. Nous essayons de sortir des sentiers battus et touristiques… donc nous devons très souvent trouver nos propres voies à travers la jungle, en croisant les informations des GPS et les explications des habitants des environs, qui restent une véritable mine de savoirs. A dire vrai, au Cambodge, la machette reste notre principal outil de randonnée, plus que les chaussures, pour se frayer un chemin dans la jungle !

Est-ce difficile d’exister en tant que femme sportive au Cambodge ?

Dans le monde de l’outdoor, être une femme reste encore une exception. Il n’y a pas une seule randonnée où les locaux ne sont pas étonnés de voir une, deux, ou trois femmes dans le groupe. Très souvent, ils se moquent et nous disent qu’on n’arrivera pas au sommet. On préfère ne pas répondre car nous savons que les faire changer d’avis est quasiment impossible. C’est le principal problème aujourd’hui : beaucoup de personnes pensent encore que les femmes ne peuvent pas faire aussi bien que les hommes.

Dénoncez-vous cet état de fait ?

A ma manière oui. En tant que fonctionnaire il m’est difficile de m’engager publiquement. Mais je pense que les femmes peuvent accomplir beaucoup plus que ce que la société actuelle attend d’elles.

A chaque randonnée, au Cambodge, au Vietnam, en Thaïlande, au Laos ou ailleurs, je poste des photos sur les réseaux sociaux pour dire aux femmes qu’elles peuvent devenir ce qu’elles rêvent de devenir, qu’il faut qu’elles croient davantage en elles-mêmes. J’aime profondément ma culture cambodgienne, mais sur les questions d’égalité entre les sexes, je la trouve encore trop traditionnelle.

 

Sommets laotiens dans la région de Nong Khiaw, province de Luang Prabang
Sommets laotiens dans la région de Nong Khiaw, province de Luang Prabang. Photo fournie

 

D'un point de vue environnemental, voyez-vous la pollution, même en dehors des sentiers battus ?

C’est inévitable. Même si peu de personnes passent là où nous passons, nous trouvons toujours des bouteilles en plastique, des canettes, des sacs …  Dans notre groupe de marcheurs on aime la nature, donc on la protège. On ne laisse jamais rien derrière nous. Souvent, nous ramassons ce que nous pouvons et faisons de la médiation dans les villages pour expliquer que les déchets qu’ils laissent ne partiront pas tout seuls si personne ne les ramasse.

Je crois que la démocratisation à venir des activités d’extérieur au Cambodge pourra être bénéfique pour la protection de l’environnement. Parfois, nous louons les services d’un guide local pour nos randonnées. Comme nous sommes nombreux, nous pouvons les rémunérer bien plus que ce dont ils ont l’habitude de gagner. Donc s’ils prennent conscience qu’une véritable économie de l’écotourisme peut naître dans leur village, ils commenceront à préserver leur environnement. C’est tout ce que je souhaite.

Quels sont vos prochains objectifs ?

J’ai deux objectifs principaux. Le premier est le mont Kinabalu en Malaisie. C’est le point culminant du pays, à 4 095 mètres. Je suis très enthousiaste car ce serait la première fois que je monte à une telle altitude.

Le second objectif est le camp de base du mont Everest, au Népal, situé à 5 364 mètres d'altitude. C’est donc plus haut que le Kinabalu et je ne suis pas habituée aux conditions météorologiques enneigées… mais j’ai bon espoir d’y parvenir l’année prochaine !

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Publié le 19 mai 2019, mis à jour le 19 mai 2019

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