Treize femmes condamnées à deux ans et demi de prison, un bonze arrêté : l'exposition ''Boeung Kak was a lake'' de Jeff Perigois, présentée à la Meta House, tombe à point nommé dans l'actualité des évictions de Boeung Kak. Interrogé par le PetitJournal.com, le photographe revient sur son travail, premier du genre dans sa carrière d'artiste.
LePetitJournal.com : Après les récents heurts entre force de l'ordre et résidents du lac, votre exposition est de l'actu en images?
Jeff Perrigois : C'est une coincidence. L'exposition était programmée depuis janvier 2012. C'est la première fois que je traite d'un sujet aussi sensible. Je ne pensais vraiment pas qu'il se passerait toutes ces choses en l'espace de quelques semaines. Je suis d'ailleurs très inquiet de la tournure que prennent les événements. Mon exposition n'a pas pour but de défendre qui que ce soit dans ce conflit foncier. Je souhaite simplement faire un constat.
Avez-vous rencontré des difficultés pour prendre ces photos ?
A plusieurs reprises, j'ai eu le sentiment de ne pas être le bienvenu sur le site. "Circulez, il n'y a rien à voir" me disaient les policiers. J'essayais de discuter puis voyant que cela ne servait à rien, je repartais. Avec mon motodop, nous allions plus loin. Sur les 12 hectares, impossible pour les policiers d'être partout : ils ne sont qu'une poignée à surveiller Boeung Kak.
Qu'est-ce qui vous a poussé à faire cette exposition sur Boeung Kak ?
Je suis halluciné de voir qu'on détruit des vies et la nature par amour de l'argent. Cela ne me pose pas de problème que le pays évolue mais quand des gens sont amenés à être expulsés de chez eux et à vivre dans des conditions insalubres, je suis en colère. Je ne trouve pas ça très fairplay ni très propre de malmener de cette manière les résidents du lac.
Vous êtes donc militant et écolo ?
A travers mes photos, j'exprime mon engagement vers l'humain et l'environnement. On ne cesse de rabâcher qu'il faut préserver la nature et le résultat est devant nos yeux. L'un des derniers espaces verts de la capitale va être pris sous le bitume pour satisfaire les ambitions d'un promoteur immobilier, l'entreprise Shukaku qui a obtenu en 2007 la concession du site pour 99 ans afin d'y construire un quartier d'affaire.
Avez-vous eu l'occasion de rencontrer les derniers habitants?
J'en ai croisé certains oui. Pour la majorité, ils sont soit en colère soit dubitatifs. Beaucoup attendent la suite des événements. Ce qui m'a frappé, c'est le côté sévère et posé des derniers résidents de Boeung Kak.
Vous avez photographié à un an d'intervalle en avril 2011 et avril 2012, avez-vous vu des changements ?
Que la nature reprenait ses droits à Boeung Kak. Le remblai de sable commence à se recouvrir de végétation. Il faut dire que les travaux n'ont pas vraiment avancé. Les bulldozers sont là mais il doit y avoir cinq ouvriers sur l'ensemble du site. Le cas de la Mosquée est également grave. On l'a croyait à l'abri. Finalement elle va être rasée comme les maisons des 4.000 familles du lac. En 2011, il restait encore 10% de l'eau du lac. En 2012, elle a complétement disparu face à ce désert de sable.
Trois photos de l'expo commentées par l'auteur
No pasaran!, Avril 2011 ©Jeff Perigois
Cette photo est un clin d'?il aux Sandinistes du Nicaragua. Elle montre l'insouciance des enfants qui veulent se protéger avec des armes en plastique. Des moyens dérisoires face aux forces de police armées qui vont venir les déloger de leur maison. L'innocence de cette photo accentue la cruauté des expulsions et la main mise des terres du lac.
Desert Storm, Avril 2011 ©Jeff Perigois
Pris avec un grand angle, cette photo montre l'immensité ridicule de Boeung Kak. En arrière plan, Phnom Penh est minuscule. On a l'impression d'être sur une gigantesque plage. On a envie d'attendre la mer mais elle ne vient pas. Quelques personnes marchent ou sont sur une moto, ici l'homme est tout petit pour montrer à quel point l'humain n'est rien face à l'immensité.
Dust N' Sun, Avril 2012 ©Jeff Perigois
Cette photo est volontairement en couleur pour accentuer le côté farwest. Elle est très symbolique et conclut la série des 32 photos prises à l'occasion de cette exposition. On peut y voir des rails qui nous invite à un ailleurs. Le soleil couchant sur les cabanons évoque la fin d'une journée, d'un cycle. C'est une photo qui invite à réfléchir à un futur proche, meilleur ou non.
"Boeung Kak was a lake" de Jeff Perigois. Jusque dimanche 24 juin à la Meta House, 37 boulevard Sothearos, Phnom Penh. Entrée libre.
Pour plus d'infos: jeff-photographies.asia
Photographies disponible à la vente: 180$, format 60*40 (210$ avec cadre) et 55$, format 30*20 (70$ avec cadre). Série limitée à 10 exemplaires par photo.
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Julie Cassiau (www.lepetitjournal.com/cambodge.html) Mardi 5 Juin.