

Nous sommes au début des années 1990, dans un Cambodge encore égaré, titubant, où les âmes errantes des morts hantent les nuits et les jours des vivants. La guerre n'est plus, ou presque, mais les plaies dans le c?ur des hommes, dans les rizières, dans les forêts restent béantes.
C'est dans ce Cambodge-là que les trois récits qui composent Le Bouddha de bronze prennent vie.
Le voyage commence à bord du Chenla, « lourd et vieux bateau de bois aux formes pleines », qui défie le Mékong, puissant, capricieux, et ses berges d'où fusent parfois des flèches meurtrières ou des balles d'AK 47.
Plus tard, nous serons à Sen Monorom, suspendus aux lèvres d'un homme des hauts-plateaux qui parle avec les arbres.
Entre-temps, nous aurons survolé Angkor Wat, aux côtés d'un académicien magnifiquement toqué, échappé d'un album de Tintin, qui rêve tout haut à de magnifiques et dominantes princesses.
D'une plume alerte, brillante, nourrie d'une connaissance à la fois érudite et intime du pays, Romel, l'auteur, puise dans ses souvenirs pour nous emmener, et c'est heureux, bien au-delà du pittoresque.
Romel n'est pas Narcisse qui se serait servi d'un Cambodge exotique pour se faire plus beau sur la scène de la vie.
Avec humilité, il nous dit d'abord ce que le Cambodge lui a appris, comment ce petit pays, son immense histoire, sa culture millénaire, ses croyances et ses traditions, l'ont transformé. Comment les sourires, les silences, les frayeurs, les terreurs des Cambodgiens qu'il a croisés l'ont questionné, enrichi. Comment aussi ce petit royaume à la fascinante destinée, ce minuscule bout d'Asie sensuel et magnétique, attire, charme des êtres de tous horizons et permet d'improbables rencontres qui marquent une vie.
Au passage, Romel, dont le pseudonyme masque celui qui fut le conseiller d'un Premier ministre, éclaire avec sagacité les coulisses de l'histoire politique récente du royaume, auxquelles les grandes puissances et de prétendues bonnes âmes de tout poil n'ont rien épargné, ou si peu.
« Nous virons sur bâbord et ma vie change de cap», nous dit d'emblée le narrateur que berce le Chenla tel un nouveau-né, tel un homme qui va renaître.
Heureux qui, comme Romel, a fait un aussi beau voyage qu'il nous raconte avec tant de grâce et de bonheur.
Pierre Gillette - Mercredi 23 janvier 2014
Le Bouddha de bronze et autres récits. Romel. Arconce Editions.
En vente à la librairie Carnets d'Asie









































