Cette année, nous avons la chance d’avoir une rentrée théâtrale très précoce. En effet, la première de la saison « Cosmétique de l’ennemi » va être jouée à l’Institut Français de Phnom Penh les jeudi 8 et vendredi 9 septembre prochains.
Il s’agit d’une adaptation du roman éponyme d’Amélie Nothomb.
Un homme coincé dans un aéroport par le retard de son avion est abordé par un personnage exaspérant qui lui impose sa conversation. Aucune esquive n’est possible face à sa détermination. Aucune loi n’interdit aux gens de parler…
Lepetitjournal.com est allé à la rencontre des deux acteurs…
Comment est née l’idée de cette pièce ?
Raphaël Ferry : C’est comme souvent, une histoire de rencontre. Rencontre avec un texte d’abord, car quand j’ai lu ce roman, il y a longtemps maintenant, l’idée d’en tirer une adaptation théâtrale m’est venue tout de suite. Puis la rencontre avec Eric. La pièce est en fait un huis clos avec seulement deux personnages, complètement différents. Quand j’ai joué avec Eric sur “Bubbles from Babel” (Common Sole) l’année dernière, et que j’ai vu sa façon d'appréhender la scène, de s’y mouvoir, j’ai réalisé qu’il était le partenaire que j’attendais. Il n’a pas été long à convaincre. Le texte est puissant.
Quel est votre rapport au théâtre, à la scène et au jeu ?
Eric Ellul : Nos expériences et formations théâtrales sont assez différentes : je viens d’un théâtre très classique à la base et suis allé vers des formes de travail contemporain radicales, entre autres la performance, dans sa dimension rituelle et spirituelle. Raphaël est un amoureux des dialogues savoureux et des intrigues à rebondissements : l’énergie du plaisir du jeu est son guide. Nos tempéraments respectifs nous portent, l’un à la comédie existentielle, l’autre à la tragédie métaphysique : un beau pari donc que celui de jouer cette tragi-comédie nothombienne !
Il n’y a pas de metteur en scène, d'où vient ce choix ?
Eric Ellul : C’est une réalité, pas un choix. L’absence de metteur en scène m’a paru étrange tout d’abord, et parfois très embarrassante, car son rôle, celui de « garde-fou » me semble nécessaire : il est celui qui empêche l’enfermement dans le cabotinage ou les automatismes, il ouvre des chemins inédits à l’acteur, qu’il lui aurait été difficile, voire impossible de trouver par lui-même. Il aide à faire entendre le texte différemment.
En fait, nous avons fait confiance en l'alchimie de notre duo : la mise en scène de cette pièce est le fruit de propositions et explorations mutuelles.
Elle est aussi imprégnée de nos frictions, qui n’ont pas manqué de surgir naturellement : nos légers conflits d'egos ainsi que nos méthodes de création divergentes, loin d’être des obstacles, sont devenus un appui essentiel pour comprendre les enjeux de la pièce.
Ça tombait bien qu’on se prenne la tête ensemble : le texte de Nothomb traite précisément de cette question d’une émancipation impossible, lorsqu’on s’enferme dans une relation duelle, sans la médiation d’un tiers. L’autre devient un ennemi, un obstacle à notre liberté d’action, de pensée et de mouvement. Dans un duo, comme dans un couple, il y a toujours le risque que ça tourne en rond, soit que le regard de l’autre nous devienne insupportable, pour la raison qu’il nous renvoie – en miroir - au regard qu’on porte sur soi-même, soit qu’on réalise qu’il s’agit d’un piège dans lequel chacun s’enferme “à l’insu de son plein gré”. Aucune issue possible parfois : pas de reconnaissance d’un « Autre » transcendant dans la rencontre avec l’autre. C’est la guerre donc : toute forme de violence peut se déchaîner impunément, vous le verrez dans la pièce. Quand il y avait des frictions entre nous, le rapport avec les personnages était évident : je relisais le texte pour mieux comprendre ce qui se passait. Le “texte” était notre médiateur en quelque sorte.
Cette pièce a-t-elle été difficile à monter ?
Raphaël Ferry : Oui et non...
Sur le plan émotionnel, créer une pièce est toujours quelque chose de très fort. En tant qu’amateur je monte sur les planches seulement mû par la passion. A chaque fois c’est mes tripes que j’expose au public. Monter sur les planches c’est se mettre en danger. Alors oui, c’est parfois difficile. Surtout avec un texte aussi bien ciselé qui traite de sujets intimes.
Sur le plan matériel en revanche, tout a été d’une facilité absolue. Nous avons eu la chance de bénéficier du soutien de Valentin Rodriguez, le directeur de L’institut Français, qui nous a ouvert ses portes et mis à notre disposition son équipe : Marion Nollet, Borin Kor, Chivorn Then, Chealy Lors et Vannak Chhuon, qui sont d’une gentillesse et d’un professionnalisme remarquables.
Et Eléonore Sok, en plus de nous donner de précieux retours, a pris en charge la vision et la recherche des costumes.
Quelle va être la suite ?
Eric Ellul : les romans d’Amélie Nothomb sont fréquemment lus et/ou étudiés en collège et lycée. Nous aimerions jouer cette pièce devant un public scolaire.
Raphaël Ferry. Nous aimerions jouer cette pièce partout. Il n’y a que deux personnages, le décor est très simple. Nous pouvons la présenter facilement presque n'importe où, à Siem Reap, Battambang ou même chez des particuliers qui le veulent. Nous sommes déjà en discussion pour aller la jouer à Kep. Nous sommes ouverts à toutes les propositions.
Une dernière question : quelle est la signification du titre « Cosmétique de l'ennemi » ?
Les deux : C’est expliqué dans la pièce…
Une citation tirée de la pièce alors ?
C'est drôle ce besoin qu'ont les gens d'accuser les autres d'avoir gâché leur existence. Alors qu'ils y parviennent si bien eux-mêmes, sans l'aide de quiconque.
Cosmétique de l’ennemi sera jouée les jeudi 8 et vendredi 9 septembre prochain à 19h30 à l’institut Français de Phnom Penh. Possibilité d’acheter les billets sur place en avance. tarif unique 10 $.
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À bientôt.