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ON Y ETAIT - Rencontre avec l’écrivain Leïla Slimani

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Leïla Slimani ©Joel Saget/AFP/Getty Images
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 30 octobre 2017, mis à jour le 30 octobre 2017

Prix Goncourt 2016 pour son roman "Chanson douce", Leïla Slimani était à Bucarest pour présider le jury du Prix Goncourt roumain 2017 qui a été attribué à François-Henry Désérable pour son troisième roman publié chez Gallimard, « Un certain M. Piekielny». C’est à l’Institut Français, dans la salle «Elvire Popesco» que Leïla Slimani a répondu aux questions du journaliste, Marius Constantinescu. LePetitJournal.com de Bucarest a couvert l’évènement pour ses lecteurs. Voici quelques extraits choisis de ce débat.

 

 

Marius Constantinescu: Avant de recevoir le prix Goncourt pour votre livre «Chanson douce», comment avez-vous réagi en apprenant que vous étiez sur la liste pour concourir?

Leïla Slimani: Quand les éditeurs choisissent de faire sortir votre livre en septembre pour la rentrée littéraire, on sait à l’avance que le livre sera en compétition pour différents prix littéraires. Le système est fait ainsi et nous devons ou non l'accepter. L’accueil du public a été très chaleureux dès sa sortie, je me suis donc surtout concentrée là-dessus, sur ma rencontre avec mon public. En tant qu’écrivain on passe beaucoup de temps seul, enfermé, donc pour moi, aller à la rencontre des gens ça a été un vrai bonheur. Je n’ai pas voulu me mettre la pression, penser à ce prix, pour garder le plaisir de revoir enfin mes amis après un long isolement volontaire, de sortir à nouveau. J’étais en plus enceinte de quelques mois à ce moment, j’étais très sereine, et très calme pour envisager la suite. De plus, la course au prix est quelque chose qui peut être très cruel, très décevant, pour celui qui a des attentes, j’ai donc pris l’habitude de ne m’attendre à rien, comme ça je ne suis jamais déçue.

 


Avez-vous des conseils à donner à de jeunes auteurs qui aimeraient, comme vous, être publiés par une maison d’édition aussi prestigieuse?

Avant d'être publiée par les éditions Gallimard, j’avais un premier roman que j’ai proposé aux éditions du Seuil et qui a été refusé car il était très mauvais. Je l'ai abandonné depuis. Cet échec m'a aidée d'une certaine manière car je me suis rendue compte que quand on écrit, il faut être jusqu’au-boutiste, il faut aller aussi loin que l’on peut aller, il faut dire tout ce que l’on a à dire. Se libérer complétement, se mettre vraiment aucune limite, aucune barrière, ni morale, ni avoir peur de la manière dont ça va être compris. A partir de ce moment où je me suis totalement libérée, ont surgi des personnages qui m’ont fascinée et avec qui j’ai eu envie de vivre plusieurs mois. Mais au-delà de ces personnages, la chose la plus importante est de faire entendre sa voix. Il faut aussi s'isoler pour pouvoir y parvenir.

 

 

Que représente pour vous l’engagement de l’écrivain?

La notion d’engagement est très importante pour moi, c’est un héritage d’une histoire, notamment en France, avec la figure de l’intellectuel engagé, déjà du temps des Lumières, ça continue donc de résonner en moi. Mais le simple fait d’écrire, c’est déjà un engagement parce que décider d’écrire, c’est décider d’être dans un rapport à la vérité, non pas la vérité avec un grand V, mais sa vérité, être dans une sincérité, dans un absolu aussi qui ne se met pas de limites, c’est refuser la tiédeur, c’est refuser les idéologies, c’est refuser d’être récupéré, d’appartenir à des groupes, à des clans, c’est finalement s’engager dans une forme d’absolu. On me décrit souvent comme une écrivain engagée car de nombreuses causes m’importent aujourd’hui, briser le silence dans lequel un certain nombre de minorités sont maintenues, dans lequel un certain nombre de femmes sont maintenues. Je pense aussi aux pays du Magreb où l’on n'a pas toujours élevé les gens dans l’amour de l’esprit critique, dans l'exercice d’une réflexion sur le réel, où malheureusement on enferme beaucoup d’esprits à cause des phrase de type "c’est comme ça", "il ne faut pas remettre en cause", "il ne faut pas critiquer", en gros il ne faut pas dire que c’est différent de l’espèce d’image ou d’apparence qu’on t’a servie. Donc je crois que l’intellectuel est là pour briser ces discours. Je crois à cette phrase de Sartre qui dit que "l’intellectuel c’est celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas", c’est donc ça mon travail, me mêler de ce qui ne me regarde pas. Mon père par exemple a grandi dans la médina de Fez dans les années 40, avec une éducation machiste et des valeurs plutôt patriarcales. Un jour il m'a disputée pour quelque chose car je lui avais répondu. Il m'a dit "on ne répond pas à son père" et je lui ai rétorqué "c'est ma bouche et je dis ce que je veux". Mon père m'a regardée et m'a dit "et bien n'oublie jamais ça, et avec ta bouche dis ce que tu veux".

 

 

Dans votre livre «Chanson douce» vous parlez d’une femme, d'une nounou, qui un jour craque et tue les enfants qu'elle était censée protéger. En tant que mère, comment avez-vous réussi à vous confronter à cette horreur justement?

Et bien c’est la plus grande peur d’une mère, il n'y a rien de plus terrible. Je crois que j'ai voulu justement me confronter à mes peurs pour les occulter. Je suis contente d’avoir transféré mon cauchemar sur mes lecteurs pour m’en débarrasser (rires). Je les remercie pour cela.

 

 

Vous dites également qu'un jour les parents seront libérés de leurs enfants. Le croyez-vous vraiment?

Je ne sais pas si cela vous est arrivé mais pour moi, la première fois que j’ai regardé un bébé, j’ai été prise d’une immense angoisse, celle de me dire, mais qu’est-ce qu’il ferait sans moi. Et lors de cette espèce de prise de conscience du fait que, pour la première fois, il y a quelqu’un qui a immensément besoin de vous, on arrête d’être un enfant pour devenir un parent et on vit avec l'idée que quelqu’un a besoin de vous et que l’on doit être là. Le fait aussi que le corps de l’enfant ne soit pas totalement autonome, qu’il faut le nourrir, qu’il faut le laver et le protéger, c'est une très grande responsabilité. Nous sommes d'ailleurs dans une société qui valorise beaucoup l’autonomie, notamment l’autonomie du corps, il faut être indépendant, il faut être fort. Toutes les personnes âgées, comme les enfants, ce sont un peu des êtres dont nos sociétés parlent peu, car elles sont sans doute un peu mal à l’aise avec ces corps dépendants des autres. J’avais donc envie d’exprimer ce sentiment vertigineux, d’un coup nous ne sommes plus seuls. Quand on n'a pas d’enfants on n’a de comptes à rendre à personne, et à partir du moment où l’on devient parent on est attendu. Quelqu’un attend quelque chose de nous. C'est très beau mais c'est aussi très effrayant.

 

 

Vous dites aussi que les enfants peuvent être insupportables, méchants, cruels...

Oui car j'ai toujours détesté cette vision édulcorée qui consiste à ne parler que de l'innocence des enfants, se contenter de dire qu'ils sont purs et qu'ils ne se rendent pas compte de la psychologie des adultes, des rapports de force qui existent entre eux. Moi je pense au contraire que les enfants ont une psychologie extrêmement complexe. Il y a des enfants dans tous mes romans car je m'intéresse à leur spontanéité, à leur violence, ils sont purs et cruels à la fois dans leurs sentiments. Ils vous aiment violemment comme ils peuvent vous détester violemment. Voilà pourquoi ils me fascinent en tant que personnages littéraires. Ils comprennent les adultes et peuvent même utiliser cela à leur avantage. Lorsque l'enfant dit à sa mère "ma nounou me manque" il sait qu'il remet en question son autorité et vice versa quand il dit à sa nounou "maman me manque", la personne se sent désinvestie de son pouvoir. Les enfants en sont parfaitement conscients, il ne faut donc pas être dans la caricature car ce n'est pas leur rendre justice, et c'est passer à côté de leur immense complexité.

 

Leila Slimani

 

Grégory Rateau

 

 

 

 

 

grégory rateau
Publié le 30 octobre 2017, mis à jour le 30 octobre 2017

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