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Rencontre avec la fondatrice de Herculane Project visant à restaurer Baile Herculane

Baile Herculane ou les Bains d’Hercule, la plus ancienne station balnéaire de Roumanie, semblent vivre une métamorphose et renaître de leurs cendres, à l’image des dieux grecs ou d’Hercule lui-même, qui a donné son nom à la station. Ayant existé pendant plus de deux millénaires et connu un essor au XIXe siècle, les Bains ont été presque effacés de l’histoire au cours des dernières décennies. Mais, en 2017, Oana Chirilă, fraîchement diplômée de l’Université d’Architecture de Timișoara, y fit un voyage qui allait changer à la fois sa vie et le destin des Bains. Ceci est le témoignage d’une femme qui a lutté contre les injustices de l’État dans le but de sauver un joyau du patrimoine roumain.

Projet restauration des bains Baile HerculaneProjet restauration des bains Baile Herculane
Photo: Archive HP
Écrit par Mateea Olaru
Publié le 24 juin 2025, mis à jour le 2 juillet 2025

Mateea Olaru : Depuis votre première visite à Băile Herculane en 2017, vous êtes tombée amoureuse de cet endroit et avez fondé l'association Locus pour contribuer à la sauvegarde d'une de ses parties, Băile Neptun. Quel est l'état actuel des Bains ?

Oana Chirilă : Les Bains sont malheureusement dans une phase de pré-effondrement. Trois secteurs du bâtiment sont gravement endommagés du point de vue structurel. Nous avons réalisé des travaux en 2019, 2020, puis en 2022, et depuis, nous menons une campagne de financement en permanence. À présent, nous allons lancer un projet ciblant ces trois secteurs et je peux vous annoncer en exclusivité que ce sera le dernier projet que nous organiserons à Neptun. Désormais, la mairie de Băile Herculane, propriétaire du bâtiment, en assurera la gestion.

 

Pourquoi les bains de Baile Herculane sont-ils uniques en Europe et quelle est l’histoire derrière la ville d’Herculane, autrefois surnommée la “Perle de l’Europe” ?

Personnellement, je trouve que les Bains sont uniques par leur fusion d’éléments absolument spectaculaires : les ressources naturelles, notamment les eaux aux propriétés miraculeuses, le paysage de la vallée de la Cerna (au cœur du parc naturel Domogled, dans l’ancienne région historique du Banat), ainsi que les traces historiques et le patrimoine culturel d’une valeur universelle.

Documentée pour la première fois en l’an 153 apr. J.-C. sous l’Empire romain, puis successivement sous domination hongroise, ottomane et austro-hongroise, la station a connu un essor sans précédent au XIXe siècle, en combinant sa fonction de centre de soins médicaux avec celles de centre culturel et de loisirs. Le village était fréquenté par de grandes personnalités de l’époque, dont l’empereur François-Joseph, qui considérait les Bains comme « la plus belle station balnéaire du continent », et son épouse l’impératrice Élisabeth d’Autriche, dite Sissi, qui possédait une propriété sur place, la « Vila Elisabeta », encore existante aujourd’hui.

L’existence millénaire des Bains a été rendue possible par l’efficacité reconnue de ses sources thermales et par son emplacement pittoresque, dans une vallée protégée par des montagnes d’une beauté remarquable. La zone est aujourd’hui classée au patrimoine naturel Natura 2000.

Baile Herculane Valee Cernea Roumanie
Photo: Petru Cojocaru

Au départ, vous estimiez que les travaux de réhabilitation prendraient environ six mois, mais huit ans se sont écoulés. Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés ?

Nous avions estimé qu’il nous faudrait six mois pour sécuriser le périmètre, en supposant que la municipalité, propriétaire des lieux, financerait les travaux. Malheureusement, cela ne s’est pas du tout passé comme prévu. Notre chance, et celle des Bains de Neptun, a été de pouvoir compter sur une communauté nombreuse qui nous a soutenus financièrement. Tout ce que nous avons accompli ici l’a été grâce aux dons et à la seule bonne volonté de ceux qui croient au projet. Une restauration complète, aux normes européennes, prendra environ cinq ans dans le contexte actuel, sans compter les phases de conception, d’homologation et d’autorisation.

 

Comment avez-vous trouvé des collaborateurs et des volontaires les premières années?

Grâce à beaucoup de persuasion, mais aussi à une dose d’espoir et de courage. Il nous a fallu du cran pour porter cette cause, et une certaine naïveté propre à notre âge nous a aidés – nous étions ces jeunes étudiants confrontés à un système corrompu, à des obstacles juridiques, à des poursuites, mais aussi portés par une promesse de bien commun. Aujourd’hui, nous avons un regard plus pragmatique, mais la passion de l’équipe est restée intacte. Nous n’avons jamais abandonné l’émotion que nous ressentons quand nous parlons d’Herculane.

Restauration Baile Herculane
Photo: Alex Muntean

Selon vous, quand a commencé le déclin de la station ?

Le déclin a réellement commencé avec l’échec de la privatisation, les blocages juridiques et les procès toujours en cours. De nombreux sites sont sous séquestre et n’ont pas accès aux financements publics, comme c’est le cas des Bains de Neptun. Mais il y avait aussi un manque de vision touristique cohérente, d’initiatives de promotion… Cela dit, les choses s’améliorent ces dernières années, et nous espérons que cette tendance se poursuivra.

 

Outre la réhabilitation des Bains, vous cherchez à redonner vie à la ville.

La ville commence lentement à se revitaliser. Des projets privés de restauration sont en cours, comme ceux des hôtels Decebal et Traian. Plusieurs hôtels – Diana, Afrodita, Minerva – ont rouvert et disposent de spas. L’ancienne Vila Ștefania, devenue l’hôtel Versay, a également rouvert il y a cinq ans. Ces investissements, conjugués à ceux du secteur public, insufflent un vent de fraîcheur. Mais tout est encore loin d’être parfait. Notre stratégie vise à mener des projets de petite à moyenne envergure, réalisables sur un à deux ans, avec un impact local direct : revitalisation des berges de la Cerna, de la promenade Sissi, de la Source de la Comtesse… Ces projets créent des espaces verts, des zones de baignade naturelle, des sentiers de ressourcement. Notre vision est celle d’une ville durable, accessible à tous les âges, où le tourisme ne se limite pas à 3-4 mois par an mais s’étend sur toute l’année.

Les Bains Baile Herculane Roumanie
Photo: Heiko Probst

Malgré l’importance culturelle et historique des Bains, ils ne sont pas inscrits à l’UNESCO. Pourquoi ?

C’est vrai. Nous avons réclamé cette inscription en 2022. L’argument avancé était que la ville ne disposait pas de plan de gestion et que trop peu de sites avaient été restaurés. La valeur universelle est indéniable, mais sans développement, une inscription à la liste des Grandes stations thermales d’Europe pourrait être contre-productive. Des villes comme Baden-Baden, Bath, Vichy ou Karlovy Vary y figurent – nous ne pouvons pas encore rivaliser avec elles en matière d’investissement ou de promotion.

 

En 2021, votre association est devenue membre d’Europa Nostra. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Nous avons rejoint Europa Nostra parce que notre mission nécessite un soutien européen, et cette organisation nous permet de bénéficier de l’expertise de professionnels chevronnés. Grâce à elle, les Bains ont été inscrits en 2022 sur la liste des 7 sites patrimoniaux les plus menacés d’Europe.

Bains Herculane Roumanie
Photo: Heiko Probst

 

Les bains Baile Herculane Roumanie
Photo: Martin Neagoe

Avez-vous mis en place des projets pour sensibiliser les jeunes au patrimoine ?

À Timișoara, nous participons chaque année à des écoles d’été consacrées au patrimoine. Elles nous ont beaucoup aidés à lancer notre projet. À notre tour, nous organisons chaque été des camps et du bénévolat. Certains étudiants ont même initié des projets dans leurs propres communautés. Nous croyons à l’importance du terrain, de l’autonomisation des jeunes, de la communication directe et de la valorisation de leur curiosité.

 

Depuis les années 2000, les Bains se dégradent. L’État semble pris au piège. Comment expliquer cela ?

De nombreuses transactions immobilières ont été conclues puis violées, les monuments ont été traités comme des pions dans un jeu de Monopoly. Tant que la justice ne s’est pas prononcée, les marges d’action sont limitées. Dans certains cas, comme les Bains de Neptun, l’expropriation pour utilité publique est envisageable. L’État devrait créer des mécanismes de financement pour les stations thermales, souvent petites et avec peu de budget. Il a tout intérêt à ce que Herculane fonctionne normalement : fiscalité, emploi, tourisme. Mais les raisons de l’inaction sont multiples : instabilité politique, difficultés budgétaires, et implication de hauts fonctionnaires dans les litiges en cours.

Baile Herculane Roumanie
Photo: Martin Neagoe

Quel est le rôle de la communauté locale dans le Herculane Project ?

Elle nous soutient et s’implique. Certaines personnes restent sceptiques, mais nous voyons aussi des citoyens qui proposent des idées, nous aident, viennent sur les chantiers. Même les touristes s’engagent parfois spontanément.

 

Quel regard portez-vous sur l’engagement des Roumains en faveur du patrimoine ?

Je suis convaincue qu’ils s’y intéressent. Sans leur soutien, nous n’aurions rien accompli à Băile Herculane. Malheureusement, de nombreux propriétaires n’ont pas accès à l’aide professionnelle. Il faut des solutions conjointes : État, ONG, associations spécialisées.

 

Êtes-vous impliqués dans d’autres projets ?

Oui, nous avons un projet similaire à Sângeorz Băi, avec une composante de recherche plus poussée.

 

Plus d’informations sur leur site officiel : https://herculaneproject.ro

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