Pour la sortie sur Arte du documentaire évènement "À la rencontre de l'âme roumaine" mettant en vedette la chanteuse et actrice roumaine, Rona Hartner, notre rédaction est allée à la rencontre de son réalisateur, Geoffroy de La Tullaye. Anecdotes de tournage, perceptions du pays et découvertes...
Grégory Rateau: Pourquoi avoir choisi comme guide l'actrice/chanteuse Rona Hartner?
Geoffroy de La Tullaye: Rona est une amie de longue date, nos premiers échanges remontent à 2005 ! On a fait connaissance sur scène lors d’un débat à la Cigale auquel j’étais invité à prendre la parole et ensuite à l’occasion de différents dîners parisiens. Nous n’étions pas proches, mais comme elle est envoûtante, elle marque et ne laisse pas indifférent. En 2011, je voulais lui faire composer la musique d’une collection de documentaires sur les routes de la soie pour France 5, ce projet s’est finalement fait sans elle, mais je lui avais alors promis de revenir un jour la voir avec un projet pour elle. Quelques années plus tard, en 2019, je l’ai appelée pour savoir si elle n’avait pas dans sa tête un rêve inachevé. Rona m’a tout de suite évoqué son envie de faire un test ADN pour connaître enfin ses origines. A mesure qu’elle me parlait de cette envie, j’imaginais un voyage, un test ADN grandeur nature, dans son pays d’origine, où chaque rencontre qu’elle irait faire à travers les campagnes roumaines serait un embranchement de son arbre généalogique réel ou fantasmé…
Les couleurs des champs, les voitures à cheval, les grandes meules de foin constituées à la main, les maisons en bois sculpté, les habits des paysans, tout me parlait d’un temps révolu en France.
Et pourquoi ce pays en particulier ?
Pour écrire ce projet grandissant entre nous, je me suis projeté dans un passé pas si lointain. En 2003, j’étais avec mon frère au volant d’une 2 CV fourgonnette blanche, en route pour une expédition autour du monde qui allait durer 15 mois. À moins de trois jours de voiture de Paris, la Roumanie s’ouvrait alors devant moi, victime de mes préjugés. Elle m’a immédiatement conquis par son authenticité. De part et d’autre, des routes de campagne, des puits en fonctionnement accolés à des maisons en bois témoignaient d’une ruralité encore bien vivante. Cette impression d’entrer dans un monde étranger s’est poursuivie à mesure que je pénétrais plus en avant dans le pays. D’une vallée à une autre ou d’une rive à l’autre, les paysages roumains changent du tout au tout ainsi que les peuples qui les habitent. Ici on me parlait hongrois, plus loin allemand, encore quelques kilomètres de plus, c’était de nouveau une autre langue et j’avais en face de moi une communauté de tsiganes. Les couleurs des champs, les voitures à cheval, les grandes meules de foin constituées à la main, les maisons en bois sculpté, les habits des paysans, tout me parlait d’un temps révolu en France. Chaque tournant offrait ainsi son lot de surprises empreint d’une profonde quiétude, loin d’un quelconque misérabilisme. Car ce qui dans d’autres pays relèverait du musée des folklores ou du tourisme, est en Roumanie du domaine de l’utilitaire et du quotidien. Pour toutes ces raisons, j’étais convaincu que ce pays allait retenir l’attention de la chaîne Arte.
Trouvez-vous que l'image des Roumains a changé avec le temps en France ?
Bien que l’amitié franco-roumaine soit vieille comme Hérode, la Roumanie reste un pays inexploré pour la plupart d’entre nous. Ceci dit, les jeunes générations ne s’y trompent pas, elles sont nombreuses à venir crapahuter dans les campagnes roumaines à la recherche d’expériences inédites. Mais le gros du flux touristique occidental se tourne vers d’autres destinations, car nous sommes aveuglés par notre héliotropisme qui nous fait voyager vers le Sud et non vers l’Est, obnubilés par cette envie de nous prélasser sous les cocotiers.
En ce qui concerne l’image d’une Roumanie archaïque et vieillotte, elle est loin derrière nous ! Beaucoup de Français savent que ce pays est à la pointe dans les nouvelles technologies par exemple. Je me souviens d’ailleurs que mon premier site internet en 2003 je l’avais fait faire en Roumanie, le prix y était évidemment pour quelque chose, mais il y avait aussi la recherche d’un savoir-faire, je dirai même d’un savoir-bien-faire !
Quand j’ai commencé mes recherches sur les Caldarari, j’ai trouvé leur histoire fabuleuse, ce sont des travailleurs, ils cherchent à s’intégrer malgré les difficultés, ils sont récemment devenus sédentaire, ils ont fait le choix de ne pas partir et de rester vivre en Roumanie. En bref, ils cassent tous les clichés que nous avons sur cette communauté !
Vous choisissez de tourner une partie du documentaire sur la communauté Rom de Transylvanie et leurs gigantesques palais qui font polémique en Roumanie. Pourquoi avoir fait ce choix?
Un documentaire s’inscrit dans une démarche, une recherche d’esthétique. La Roumanie ne manque pas de villes et de villages fortifiés ou de châteaux magnifiques mais cela est tellement évident et connu de tous qu’ils n’avaient pas leur place dans ce projet. En revanche, dans notre imaginaire collectif, le "gitan" n’a pas de maison, il erre ici ou là, il est nomade, il voyage. Quand j’ai commencé mes recherches sur les Caldarari, j’ai trouvé leur histoire fabuleuse, ce sont des travailleurs, ils cherchent à s’intégrer malgré les difficultés, ils sont récemment devenus sédentaire, ils ont fait le choix de ne pas partir et de rester vivre en Roumanie. En bref, ils cassent tous les clichés que nous avons sur cette communauté ! Rapportés à une Rona qui a quitté la Roumanie pour faire sa vie en France cela devenait intéressant d’imaginer une rencontre entre eux…car, se dire Roumain d’origine est une chose, mais vivre en Roumanie et en accepter les vicissitudes en est une autre !
Avez-vous une anecdote de tournage, une rencontre peut-être, que vous aimeriez nous raconter?
Si, en France, Rona n’est connue que par quelques initiés au cinéma de Tony Gatlif, en Roumanie c’est une vraie star… Même le moindre mouton perdu tout en haut dans son pâturage a déjà entendu parler d’elle. Alors forcément, cette notoriété nous a joué des tours car nous n’étions pas équipés, ni staffés pour gérer cela. Je me souviens qu'au cimetière joyeux de Sapenta, il y avait un tel attroupement d’afficionados que cela devenait problématique pour tourner la séquence sans avoir quelqu’un avec son téléphone portable à l’image. Mais, à d’autres moments, cela nous a bien aidés. Un jour, l’une des deux voitures de notre convoi s’est faite arrêter par la police. Le cameraman n’avait pas sa ceinture de sécurité, technique qui lui permet de sortir rapidement de la voiture et tourner des images…, et ça n’avait pas échappé au policier, c’était une faute, nous allions être verbalisés, d’autant que nous avions oublié nos autorisations de tournage à l’hôtel. Jusqu'au moment où un des policiers donne un coup de coude à son collègue qui était en train de dresser le procès-verbal : « Tu vois qui je vois ?! ». Rona, qui était à côté de moi, restait impassible, le menton tourné vers le bas pour ne pas attirer l’attention. Mais un policier voit tout, surtout une Rona qui s’écrase dans son fauteuil et cherche à se faire discrète. Ce jour-là la notoriété de Rona nous a finalement bien aidés. On s’en est tirés avec un sermon bien mérité et une poignée de main en guise d’amitié franco-roumaine !
Évidemment dans ce documentaire, la vision de Rona se tourne vers ce qui est en train de disparaître et qui chez nous en France a déjà disparu depuis belle lurette.
Votre perception de la Roumanie a-t-elle évolué après ce documentaire ?
Quand en 2003 je suis arrivé pour la première fois en Roumanie, 70% de la population roumaine était encore rurale (aujourd’hui ce taux doit être atour de 45%), et une personne sur deux puisait l’eau directement au puits... Les choses ont bien changé ! J’ai bien conscience que ce documentaire n’est qu’une petite fraction d’une Roumanie bien plus grande, dynamique et développée. Évidemment, dans ce documentaire, la vision de Rona se tourne vers ce qui est en train de disparaître et qui, chez nous en France, a déjà disparu depuis belle lurette. Mais c’était aussi une des exigences de la chaîne, rester dans une quête autour des racine réelles ou imaginaires de Rona, en gardant d’une certaine manière des œillères pour ne pas s’en écarter !
Le film dans son intégralité :