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Marius D. Popescu, un écrivain roumano-suisse à l'affût du quotidien

Marius Daniel Popescu écrivain suisse roumanieMarius Daniel Popescu écrivain suisse roumanie
Wikipedia
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 30 novembre 2020, mis à jour le 30 novembre 2020

Nous sommes allés cette semaine à la rencontre d'un écrivain roumano-suisse des plus atypiques, Marius Daniel Popescu. Installé à Lausanne après la chute du communisme en 89, il y exerce la profession de chauffeur de bus. L'écriture fait partie de son quotidien, elle propose une relecture des choses et des êtres. Nous avons découvert son très beau roman "La Symphonie du loup" publié aux Editions José Corti (2007) et qui lui a valu le Prix Robert Walser.

 

Grégory Rateau: Vous avez un parcours atypique. Vous avez quitté la Roumanie pour vous installer en Suisse où vous êtes écrivain et également chauffeur de bus. Comme bon nombre d'auteurs, l'écriture se fait dans la clandestinité. Comment conciliez-vous les deux? L'écriture vous aide-t-elle à supporter le poids du réel?

Marius Daniel Popescu: Je suis un atypique parmi les atypiques, il y a beaucoup d’écrivains qui pratiquent d’autres métiers ou activités en plus de leur travail d’écriture, gagner sa vie est un rituel qui se manifeste par des milliers de manières différentes. Moi, je me suis arrêté au métier de « conducteur de bus », je roule mon accent roumain sur les rues de Lausanne et de ses environs depuis presque trente ans. Je suis une sorte de « clandestin » à vue, je suis pas mal visible au volant du bus, je suis en contact permanent avec les clients, les collègues de travail et la hiérarchie de l’entreprise. Pour moi il ne s’agit pas de « concilier » les deux activités, je fais de la sorte pour vivre pleinement chacune de mes « occupations ». Je suis sans arrêt en contact avec le réel, l’écriture fait aussi partie de ce réel ; je ne me pose pas beaucoup de questions sur la diversité des tâches qu’assument les êtres humains, je suis juste un observateur de ma vie et de la vie des autres. Je conduis les autobus, je conduis les pensées, je conduis les pas, je conduis les mots.

 

Votre premier roman "La Symphonie du loup" parle de vos souvenirs de jeunesse, plus particulièrement de la mort de votre père. La personne qui raconte est la figure du grand-père, une autre figure tutélaire. Pourquoi avoir choisi cette forme pour vous raconter, raconter vos proches et raconter cette période sombre de la Roumanie?

Dans « La Symphonie du loup » il y a la mort d’un père, il pourrait être mon père, le vôtre ou le père de n’importe qui ; il y a plusieurs morts dans ce livre, la mort fait partie de la vie. Mes personnages sont des témoins de périodes sombres de l’humanité, que j’ai vécues et que je vis toujours, je décris des scènes de vie, d’ici et d’ailleurs, en essayant de ne pas faire des jugements de valeur.
Je donne la parole aux autres et à tous ceux qui font que je suis ce que je suis. La mémoire a soif de s’exprimer, elle fixe dans les mots, dans les phrases, des événements de toutes sortes, elle donne forme à une partition dans laquelle nous trouvons plusieurs « tu ».

 

Vous prêtez dans votre livre une attention particulière et presque maniaque à chaque détail, chaque sensation. Pensez-vous que l'écrivain est un observateur du quotidien et de ce fait, doit-il mourir au monde pour mieux renaître à l'écriture?

Je suis un observateur des détails et des sensations, je m’efforce de les rendre par les mots, par ces « objets-outils » qui, parfois, « ne devraient pas exister » ; qu’il le veuille ou pas, chaque écrivain est une sorte d’observateur, le quotidien est perçu de manières très différentes, il nous reste à réinventer ce qui a été, de proposer des « formules » pour la « vie-mort » à venir. L’écriture est un travail comme un autre, l’écrivain est un ouvrier-ingénieur-professeur-paysan-chercheur-vendeur-directeur-jardinier-vendeur de journaux.

 

Quel regard portez-vous rétrospectivement sur votre pays d'origine, la Roumanie? Vous manque-t-il parfois? Croyez-vous en son devenir?

Mon « pays de là-bas » est encore bouleversé par ce qu’il a vécu sous la dictature du « parti unique », il est en permanence avec moi, je suis sans arrêt avec lui ; c’est un pays qui souffre beaucoup à cause de la corruption. Oui, la Roumanie est encore un enfant qui se développe dans le bon sens, avec cette mère adoptive, l’Europe, qui a pas mal de travail, sur tous les plans.

 

Comment vous êtes-vous intégré en Suisse? Les débuts ont-ils été difficiles?

Mon « pays d’ici » m’a reçu sans problèmes, je suis né une deuxième fois dans ce monde occidental du « pays des cantons » ; j’ai été un nourrisson qui s’est bien adapté aux conditions de sa nouvelle vie, je suis devenu un adulte de langue française sur des routes asphaltées. Chaque jour est un début, je continue à débuter, ici et ailleurs.

 

La pandémie gèle considérablement tous les évènements culturels. Comment voyez-vous l'avenir de la littérature et plus généralement de la culture?

La pandémie nous oblige à s’adapter, à inventer d’autres « littératures » et « formes de culture » ; nous apprenons, encore une fois, que nous sommes faibles par rapport aux mauvaises surprises de la Vie. Nous vivons des temps durs qui vont bientôt s’estomper, je l’espère, la littérature et la culture vont s’affirmer à nouveau, comme avant et aussi autrement.

 

Un message que vous souhaiteriez adresser à la jeunesse roumaine?

La « jeunesse » roumaine, comme toutes les « jeunesses », doit surtout vivre pleinement ses doutes, ses recherches, ses apprentissages, ses découvertes, ses rêves et ses désillusions ; et ne pas perdre sa « jeunesse ».

 

 

Pour en savoir plus sur cet auteur : 

Marius Daniel Popescu fait des études supérieures à la Faculté de sylviculture de l’Université de Brașov. Parallèlement, il commence sa carrière littéraire en publiant des poèmes et des articles dans une revue estudiantine de Brasov. À la chute du régime de Ceausescu, il fonde l'hebdomadaire Replica, qu'il dirige jusqu'à son départ pour la Suisse en 1990.

Marius Daniel Popescu s'installe à Lausanne où il gagne sa vie en travaillant comme conducteur de bus. Après avoir collaboré au journal Le Passe-Muraille, il crée en 2004 Le Persil, un journal littéraire ouvert aux jeunes talents et écrivains confirmés de la Suisse romande.

Ses deux premiers recueils de poèmes écrits en français, 4x4 poèmes tout-terrains (1995) et Arrêts déplacés (2004), sont édités chez Antipodes (Suisse). En 2007 et 2012, Marius Daniel Popescu publie chez José Corti La Symphonie du loup et Les Couleurs de l'hirondelle, romans dans lesquels il fait dialoguer son vécu en Roumanie et sa vie actuelle en Suisse romande. Ses écrits ont remporté divers prix, parmi lesquels le Prix Robert Walser et le Prix fédéral de littérature. En 2016, Popescu publie chez BSN Press un troisième recueil de poésie, Vente silencieuse, qui inclut une réédition de 4x4 poèmes tout-terrains.

En 2018, le président de la Roumanie décore Marius Daniel Popescu avec l'Ordre du mérite culturel, au grade de Chevalier dans la catégorie littérature, en reconnaissance pour sa contribution importante à la création littéraire roumaine et pour son apport aux relations culturelles entre la Roumanie et la Suisse.

 

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