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Gabriel Badea-Päun, "Les peintres roumains et la France"

Gabriel Badea-Päun Les peintres roumains et la France roumanie ouvrage d'artGabriel Badea-Päun Les peintres roumains et la France roumanie ouvrage d'art
crédit photo: Aïda Valceanu
Écrit par Grégory Rateau
Publié le 23 septembre 2019, mis à jour le 23 septembre 2019

La saison France-Roumanie s'est achevée cette année, l'occasion de faire le point sur les lacunes que nous avons en France sur la culture roumaine et sur les liens qui unissent encore nos deux cultures. Pour ce faire, notre rédaction est allée à la rencontre d'un franco-roumain, Gabriel Badea-Päun, docteur en histoire de l’art à l’Université Paris IV-Sorbonne. Il a accepté de nous faire revivre l'histoire des peintres roumains de la fin du 19ème siècle et du début du 20ème siècle à la lumière de son ouvrage "Les peintres roumains et la France".


Grégory Rateau: Votre ouvrage est le premier sur le sujet en France et en Roumanie. Comment expliquez-vous cela ?

Si plusieurs expositions d’envergures différentes ont traité ce sujet depuis l’Exposition d’art ancien et moderne roumain au Jeu de Paume des Tuileries en 1925, il n'y a jamais eu d'ouvrage comme celui-ci à proprement parler. Il faut également noter qu'en 1946, a eu lieu au musée Toma Stelian, l’ample exposition intitulée La France vue par les peintres roumains, qui réunit deux cent vingt-huit peintures, gouaches, aquarelles et dessins, organisée par G. Oprescu de concert avec l’association « Les Amis de la France ». Plus récemment, en 2016, l'exposition "Paysages français dans l’art moderne roumain" a été mise en place au Musée des Collections. Néanmoins un ouvrage qui leur soit entièrement consacré manquait indiscutablement, et, il est vrai que, de par l'ampleur de la tâche, cela peut en décourager plus d'un, ainsi que par la diversité d’options artistiques à analyser de ces 345 peintres entre 1843 et 1939. Il fallait également différencier ceux qui ont fait le voyage en France et qui se destinaient réellement à une carrière professionnelle, aux simples dilettantes qui proviennent d’horizons et de milieux sociaux très différents, et qui sont venus en France pour parfaire leur métier ou pour tout simplement peindre.

 

Où peut-on se rendre pour voir les œuvres et quels peintres conseillez-vous pour commencer?


A mon sens, il faut se perdre et aller à la rencontres des toiles de Theodor Aman, Nicolae Grigorescu, Gheorghe Petrascu et Theodor Pallady sur les cimaises du Musée National d’Art, au Musée des Collections, ainsi qu’au Musée Pallady et au Musée Zambaccian, à Bucarest. Les musées de province possèdent aussi des collections très intéressantes, surtout ceux de Constanta, Craiova, Iasi et Cluj. Malheureusement, en France, à l’exception notable de Victor Brauner, dont le Centre Pompidou à Paris présente plusieurs œuvres dans son accrochage permanent, et le musée de l’Abbaye Sainte Croix du Sables d’Olonnes qui lui consacre une salle entière avec des œuvres de toutes les époques, les œuvres des autres peintres roumains, fort peu nombreuses, sont conservées dans les réserves et ne sont que rarement montrées lors d'expositions temporaires.

 

Quels étaient les canons esthétiques dans la Roumanie de l'époque que ces peintres ont dû dépasser?

Quel art avait les faveurs de l’élite éclairée en cette fin du XVIIIe siècle ? Celui, essentiellement, des fresques murales des édifices religieux, ou très rarement, celui des fresques décoratives ornant les intérieurs des habitations les plus élégantes, le palais princier ou les maisons de boyards très fortunés. Si les effigies votives peintes sur les murs des églises, commémorant leur fondation, étaient fréquentes, rarement jusqu’alors des portraits peints se retrouvaient dans les demeures princières ou aristocratiques, sinon celui de Constantin Brâncoveanu, prince régnant sur la Valachie entre 1688 et 1714, peint par un maître anonyme. L’art, dans l’acception que l’élite lui accordait alors, était d’abord un art « porté », celui des somptueux costumes coupés dans de riches étoffes et des splendides parures d’une valeur considérable. Au début du XIXe siècle le système d’enseignement artistique est totalement inexistant, comparé avec celui du monde occidental. La tradition artistique perpétue les traits immuables de l’espace artistique post-byzantin : schématisation frontale, linéarité, hiératisme, isocéphalie, touche locale, rarement nuancée de couleurs chaudes. Les influences artistiques occidentales ne pénètrent que par l’intermédiaire d’une filière russe et autrichienne, pendant les périodes d’occupation du XVIIIe siècle et surtout de la première partie du XIXe siècle, grâce à la peinture de chevalet. Accueilli au début avec réserve, voire avec crainte, le portrait provoque progressivement une véritable mode dans les rangs des boyards et des commerçants aisés de Iasi, de Bucarest et de Craiova. Le « peintre de détail », qui exécute des portraits, acquiert peu à peu un nouveau statut qui le distingue des « peintres de gros », spécialistes de peinture en bâtiment de toutes sortes. Toutefois, les effigies que peignent ces nouveaux artistes, plus ou moins adroits, restent tributaires de la tradition et des techniques picturales murales, et d’une naïveté inhérente à ce type de technique. Quelques noms sont connus, à l’instar de Ion Balomir ou de Nicolae Polcovnicul, mais le marché du portrait, en pleine expansion, attire de nombreux artistes, en particulier d’Europe centrale, comme Anton Chladeck, Niccolò Livaditti, Giovanni Schiavoni, Josef August Schöft, Miklos Barabás, C. D. Rosenthal, ou encore Carol Popp de Szathmári.
 

 

Qu'est-ce que la France a apporté à ces peintres roumains? Et qu'ont-ils apportés, à leur tour, aux peintres français?

Jusqu’en 1939, grâce à son École des beaux-arts, aux nombreux ateliers et académies libres, à ses musées et à leur offre extrêmement variée – Salons officiels, Salons indépendants, expositions de groupe ou individuelles – Paris a indiscutablement le monopole artistique mondial. Cette ville incarne la modernité que les jeunes étudiants cherchent à atteindre. C'est dans cette effervescence, que les peintres roumains, comme d’ailleurs tous les autres artistes étrangers, découvrent une atmosphère fertile à leur créativité où les institutions et les structures sont extrêmement différentes de celles qu’ils connaissaient. C’est une époque de formation essentielle et le contact avec la scène artistique française laissera une empreinte très forte, et lors de leurs retours au pays, ils dynamiseront la scène artistique roumaine. Malheureusement les contacts des peintres roumains et des peintres français sont sporadiques et n’auront aucune influence, à l’exception notable des échanges de Pallady et Henri Matisse, anciens collègues dans l’atelier de Gustave Moreau à l’Ecole des Beaux-Arts en 1893, qui reprendront contact à la fin de 1938 et grâce à cette amitié naîtra ce chef d’œuvre qui est la Blouse roumaine de Matisse.

 



Quels seraient "les plus français" des peintres roumains?

Il y a quelques noms qui s’imposent d’emblée, Aman, un des trois fondateurs de l’Ecole des Beaux-Arts de Bucarest en 1864, créée d’après le modèle parisien où Aman fut élève, ainsi que d’une exposition artistique annuelle qui devait jouer le même rôle que le Salon Officiel parisien. On peut citer encore Grigorescu, dont les toiles à partir du milieu des années 1860 sont empreintes de l’esprit de Barbizon, avec des accents impressionnistes tout en conservant son originalité. L’oublié Michel Simonidy qui captiva avec ses compositions le public parisien autour de 1900. Pallady, l’aristocrate orgueilleux, ami dans ses vieilles années de Matisse, qui vécut à Paris de 1893 en avril 1940 et qui brossa passionnellement des innombrables vues parisiennes autour de la place Dauphine. Eustatie Stoenescu, le portratiste mondain du tout-Bucarest et du tout-Paris. Iosif Iser, espiègle caricaturiste pour Le Rire et Le Témoin avant 1914, intégrant l’Ecole de Paris des années ’20, grand ami d’André Derain et Jules Pascin. Et peut-être aussi Paul Scortesco, subtile peintre de l’élégance parisienne, et Alexandre Ganesco tellement passionné par le sport au point d’être même à l’origine d’un Salon qui lui sera consacré.

 

 


Vous êtes né en Roumanie à Sinaïa mais vous vivez aujourd'hui en France où vous êtes docteur en histoire de l'art à Paris IV-Sorbonne. Quels liens entretenez-vous encore avec votre pays d'origine?

Oui, depuis plus de vingt ans je vis à Paris, mais même si je vais très rarement en Roumanie, je me tiens très informé de ce qui se publie, je reçois beaucoup de livres d’histoire ou des catalogues d’expositions qui, une fois lus, finissent comme don à la bibliothèque de l’Institut National d’Histoire de l’Art à Paris ou à la Bibliothèque Nationale de France. Je reviens essentiellement pour la présentation de mes ouvrages qui évoquent des sujets roumains, le dernier étant consacré à l’histoire du Palais princier et royal, et qui est actuellement le Musée National d’Art de Roumanie.

 

Gabriel Badea-Päun

 

Pour en savoir plus sur Gabriel Badea-Päun :

Gabriel Badea-Päun est docteur en histoire de l’art de l’Université Paris IV-Sorbonne. Il a publié des nombreux ouvrages en France et en Roumanie dont : Portraits de Société XIX-XXe siècles, Citadelles et Mazenod, Paris, 2007, (Prix du Cercle Montherlant-Académie des Beaux-Arts, Paris, 2008) ; Le style Second Empire. Architecture, décors et art de vivre, Citadelles et Mazenod, Paris, 2009 (Prix Second Empire-Fondation Napoléon, Paris, 2010) et récemment De la Palatul Domnesc de pe Podul Mogoșoaiei la Palatul Regal de pe Calea Victoriei. Arhitecturǎ și decoruri (1866-1947), (Du Palais princier du Podul Mogoșoaiei au palais royal de la Calea Victoriei), Corint Books, Bucarest, 2017.

grégory rateau
Publié le 23 septembre 2019, mis à jour le 23 septembre 2019

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