Le bâtiment de l’Opéra National de Bucarest, mais aussi l’institution culturelle représentée par celui-ci, ont eu un destin tumultueux. Dès l’année 1921, on trouvait déjà des attestations de l’Opéra roumain en tant qu’institution indépendante, financée par l’État. Enfin, le théâtre lyrique fleurissait sous les regards enthousiastes des habitants du Petit Paris ; quatre décennies étaient déjà passée depuis la fondation de son précurseur, la Compagnie de l'Opéra Roumain, mais le combat pour obtenir un siège adéquat durera encore 32 ans.
George Stephanescu fut un des hommes de culture parmi les plus tenaces de la deuxième moitié du XIXe siècle. C'était un chef d’orchestre renommé, compositeur et pédagogue qui, en 1885, fondait la Compagnie de l'Opéra Roumain. On raconte qu’au début, la troupe de théâtre a commencé avec un répertoire modeste, d’inspiration française et italienne, qui tout au long des années s’est enrichi avec des œuvres roumaines ainsi que des vaudevilles. En bref, les germes de l'institution de l’Opéra roumain s’étaient déjà manifestés pendant le règne du roi Carol I, culminant avec sa fondation officielle durant la période de l'entre-deux-guerres, cependant, d’un point de vue pragmatique, il se trouvait encore sous l’égide du Théâtre National.
La construction du bâtiment de l’Opéra National de Bucarest peut facilement être intégrée dans les tendances architecturales de l’époque communiste. Après le mois d’août 1944, dans le domaine des constructions, l’accent était mis sur les bâtiments publics, comme l'affirmait l’historien Constantin Giurescu: …si on fait la somme des bâtiments publics construits à Bucarest entre 1945-1956 - des usines, des locaux administratifs, d’enseignement, médicaux et militaires, des institutions de recherche scientifique, des salles de spectacles, des salles sportives et des stades - on constate que leur volume et leur valeur dépassent ceux des bâtiments particuliers. En d’autres mots, l’œuvre imposante de l’architecte Octav Doicescu constitue une des plus grandes réussites architecturales du réalisme socialiste.
On dit qu’il y avait deux motifs pour lesquels les autorités voulaient faire construire un nouveau siège pour la compagnie bucarestoise d’opéra et de ballet. Le premier était lié à l’incendie qui avait détruit l’ancien espace occupé par les artistes déjà mentionnés ; ainsi, essayant d’anéantir les traces du Vieux Royaume de la Roumanie, les autorités communistes ont fait traîner la restauration de cet ancien bâtiment artistique. Le deuxième motif se rapprochait du concept typique de l'art dirigé, masquant ainsi la propagande soviétique. Entre le 2 et le 16 août 1953, la Roumanie accueillait la 4ème édition du Festival International de la Jeunesse et des Etudiants; les événements ayant eu lieu au Théâtre de l'Opéra et du Ballet.
Les attestations documentaires nous confirment la participation des critiques et des spécialistes soviétiques ; aussi, les travaux étaient supervisés par un conseiller soviétique. Dans les plans initiaux d’Octav Doicescu, on retrouve une variante modérée et moderne du style néo-roumain. Pourtant, les autorités communistes n’ont pas approuvé la vision de l’architecte, en lui suggérant d’élever une bâtisse plus équilibrée et plus harmonieuse. Finalement, il a réalisé un immeuble d’ordre colossal, sobre et avec peu d’éléments décoratifs ; son intérieur étale une sorte de luxe étudié, et les ornements sculpturaux mettent en évidence de divers modèles géométriques. On observe aussi une prédilection particulière pour le style classique pur, trahi par les voûtes et les fenêtres en plein cintre, les pilastres adossés ou les petites sculptures féminines, décorant la façade principale. Une chromatique spécifique se rajoute à l’ensemble, dominée par des nuances dorées.
Le Théâtre d’Opéra et du Ballet a été inauguré en 1954, quand La Dame de pique de Pouchkine fut jouée sur les accords musicaux de Tchaïkovski, prouvant encore une fois de plus qu’un millier d’âmes pouvaient encore respirer à l’unisson pour l’art.
Sources: Cimec.ro, Adevarul.ro
Constantin Giurescu, Istoria Bucureștilor din cele mai vechi timpuri până în zilele noastre, Editura pentru Literatură, București, 1966
Ana Maria Rosca