LePetitJournal.com de Bucarest est allé aujourd'hui à la rencontre d'Erwan Joliff, un Français qui a créé un groupe de pompiers volontaires en Transylvanie (dans le village de Cobor, à 70km de Brasov), une poignée d'hommes de différentes nationalités, bien décidés à prendre les choses en main pour aider les habitants de leur village. Erwan est venu en Roumanie pour tenter l'aventure et relever de nouveaux défis, il s'engage à présent dans une cause citoyenne, lui et ses acolytes ont besoin de votre aide. LePetitJournal.com salue son initiative et lui donne la parole.
LePetitJournal.com: Vous êtes Français et vous vivez en Roumanie depuis 2004 dans un petit village de Transylvanie. Tout d’abord, pourquoi êtes-vous venu vous installer ici?
Erwan Joliff: Je me suis installé en 2004 dans le village de Cobor. J'ai cherché en Roumanie une vie différente de celle que pouvait m'offrir le monde occidental. J'ai cherché de l'aventure, un nouveau départ, des combats à mener, un défi à relever. J'ai investi relativement peu d'argent au départ pour acheter quelques propriétés. Je n'ai pas dû m'endetter et puis je me suis dit qu'on allait bien voir plus tard comment les choses allaient se passer. J'avais envie de faire les choses par moi-même, qu'on me laisse libre de mener ma propre vie. Je suis venu en Roumanie avec cette soif d'espace, de liberté et d'indépendance.
Quelles ont été vos premières perceptions de ce pays?
Je dois préciser que je connais la Roumanie depuis 1993. Pendant deux années, de 1993 à 1995, j'ai été coopérant du service national détaché auprès du service culturel de l'ambassade de France à Bucarest afin de donner des cours de français et d'histoire de France. J'ai notamment été professeur pendant une année à l'école centrale de Bucarest. La découverte de Bucarest et de la Roumanie a été pour moi un véritable choc. J'ai bien mis deux années après mon retour en France, pour digérer l'expérience. Pour moi tout ce qui touche à la Roumanie est de l'ordre du paradoxe, du meilleur et du pire. Ce fut une période intense de ma vie et qui a remis beaucoup de mes repères en question. Il est clair que, sans cette expérience, j'aurais eu un autre destin, probablement une vie "normale" en France.
Comment vous est venue l’idée de participer au développement d’un centre de premiers secours?
Je ne suis pas du genre romantique à passer mes soirées à contempler le ciel étoilé. Je me définirai davantage comme un bâtisseur. J'ai besoin d'organiser l'espace autour de moi, de résoudre des problèmes et d'améliorer l'aspect matériel de mon existence. En 2009 on a eu un incendie important dans le village et c'est alors, pour la première fois, que j'ai pris conscience de ce problème. J'ai aussi vu que les pompiers ont mis plus d'heure à arriver et, qu'une fois leurs citernes vides, ils ont eu bien du mal à trouver de l'eau pour poursuivre leur extinction. C'est alors que j'ai commencé à réfléchir au problème. Qu'est-ce que je ferai si j'avais un incendie chez moi? J'ai vu que je n'étais pas prêt à faire face à ce risque et que j'aurais beaucoup à perdre. J'ai donc décidé d'agir et, en 2010, la première chose que j'ai faite a été de construire au sous-sol, pour être protégé du gel, une réserve d'eau de 7000 litres. J'ai ensuite mis 2 années à faire le pas suivant, celui d'investir dans une remorque, une citerne, une pompe, une lance, quelques tuyaux, plus deux casques et des gants. J'ai aussi, la même année, reçu un premier don de vestes et bottes en cuir de pompiers français. On avait un embryon de moyens d'intervention. En 2012 c'était les élections municipales en Roumanie, j'ai attendu de voir quel candidat allait sortir vainqueur pour essayer d'aller ensuite lui parler de mon projet. Je lui ai fait parvenir un document écrit sur mon projet mais je n'ai reçu aucune réponse. Entre temps je suis allé voir plusieurs hommes du village et leur ai proposé de constituer avec moi une équipe de pompiers volontaires.
Etiez-vous impliqué sur le plan associatif avant de venir vous installer en Roumanie?
Je n'ai pas vraiment milité dans le domaine associatif. Mon terreau c'est plutôt le scoutisme catholique que j'ai rejoint à l'âge de 12 ans et que j'ai pratiqué avec beaucoup d'enthousiasme pendant mon adolescence. J'y ai découvert les notions du service, du bien commun. J'ai été élevé dans des valeurs humanistes chrétiennes et ce sont ces valeurs qui motivent très certainement mon implication aujourd'hui dans la société roumaine.
Comment trouvez-vous l'esprit de bénévolat en Roumanie? Est-il assez développé selon vous ou trouvez-vous que les gens devraient plus s'impliquer dans leur communauté?
Malheureusement je ne trouve pas que le bénévolat soit une valeur très partagée en Roumanie. Dans un milieu comme celui dans lequel j'évolue et où il y a beaucoup de pauvreté et de manquements dans tous les domaines, j'ai plutôt l'image d'une société très peu solidaire, très cupide, très dure. La majorité des gens ne comprennent pas le sens du bénévolat, le mettent en doute. Ils sont convaincus qu'on ne peut pas faire ce que l'on fait sans qu'il y ait un intérêt matériel par derrière. Je me suis habitué à ce genre de mentalité et je n'y attache plus d'importance. Je n'ai au fond rien à prouver de ce côté à personne. L'important ce sont les résultats que l'on obtient et pour le moment la chance a été avec nous, on a fait un parcours sans faute.
Votre équipe comprend combien de nationalités et de volontaires ?
En 2012 nous étions 6 pompiers au départ. De cette première équipe, seuls 2 ont persévéré. Je crois qu'ils ne s'attendaient pas à ce que le projet devienne sérieux. Entre l'idée d'être pompier volontaire et le devenir effectivement il faut de la passion. C'est probablement ce qui leur a manqué. Depuis, autour du noyau de base de ces 2 personnes, on a recruté l'Allemand qui s'est installé depuis 2 ans au village, et on a cette année un volontaire hongrois qui fait une sorte de service civique dans le village, on a quelques jeunes qui gravitent autour de nous et deux autres Roumains qui semblent aussi s'accrocher. En intervention, bien sûr, on ne prend que ceux qui ont acquis une certaine formation au travers des rencontres mensuelles et qui se présentent à l'appel. Il m'est arrivé aussi de partir tout seul en intervention, mais il ne faut pas s'inquiéter, sur place on trouve suffisamment de monde pour donner des coups de main.
Quels entraînements ont été mis en place pour tous vous préparer physiquement et mentalement à affronter les risques de ce métier?
La base de ma formation je l'ai obtenue grâce à la lecture des GNR (guide national de référence) établis par les pompiers français et que l'on trouve facilement sur internet. J'ai été envoyé en 2015 pendant un mois en formation au Centre National de Formation de la Protection Civile à Ciolpani, près de Bucarest, pour recevoir une formation comme chef de service volontaire pour les situations d'urgence. Enfin, et c'est là où j'ai le plus appris, j'ai fait deux sessions de 3 jours en 2015 et 2016 au Centre National de Préparation des Pompiers à Siret dans le département de Suceava. J'y ai pratiqué des séances au contact direct du feu dans des containers spécialement aménagés et j'y ai appris des techniques efficaces d'extinction des feux en milieu clos (situations relativement rares dans les incendies à la campagne). Il est clair qu'il faut beaucoup de patience pour progresser dans le métier de pompier en Roumanie, où, en dehors de ce que j'ai vu à Siret, je n'ai pas vu beaucoup de choses très intéressantes. Je suis aussi depuis septembre 2016 volontaire chez les pompiers professionnels du département de Brasov dans un programme qui est encore pilote, mais qui semble bien parti, et dans lequel j'ai appris des choses mais plus par l'observation, que par l'enseignement direct. Ce que j'ai appris par moi même j'essaie de le transmettre au reste de mon équipe chaque premier dimanche du mois à travers des entrainements, où l'on allie sport, théorie et exercice pratique. Par rapport aux risques du métier de pompier, disons qu'en général, à la campagne, il n'y a pas de risques importants. On n'est pas les pompiers de New York.
Comment votre action est-t-elle perçue par les habitants?
Il faut beaucoup de temps d'abord pour que les gens s'habituent à l'idée. Ensuite il faut qu'ils voient des résultats tangibles et dans ce domaine il faut aussi de la chance. A l'heure actuelle nous sommes incapables d'assurer un service de garde et on ne peut pas rester non plus en permanence dans le village 365 jours par an. Pour le moment on a toujours été là au bon moment quand le téléphone a sonné mais ce n'est pas garanti qu'on le soit toujours. Le jour où on manquera à l'appel, ce jour-là, on trouvera suffisamment de voix pour nous critiquer. Je ne me fais aucune illusion.
Les autorités locales ont-elles montré de l’intérêt à l’égard de votre initiative?
Je reconnais avoir forcé la main des autorités locales dès le début, à partir du moment où ce projet était de mon initiative. Au départ, le maire n'a rien vu de mal au fait qu'il y ait une équipe de pompiers en plus dans la commune, il n'a pas non plus été contre le fait que je lui trouve un camion de pompiers. Là où il a commencé à redire c'est quand on a commencé à vouloir s'entraîner. Pour lui, une liste de noms et un camion rouge à montrer aux Inspecteurs de la Protection Civile pour justifier qu'il a fait son devoir, c'était assez bien. Il n'a pas imaginé que je voulais sérieusement développer un tel projet avec tout ce que cela impliquerait. Pendant 4 ans j'ai négocié dur avec lui, et, croyez-moi, sans lui, on serait beaucoup plus loin que l'on est aujourd'hui. Sa philosophie c'est de ne rien faire, rien risquer pour ne surtout pas avoir de problèmes. C'est sûr que cette vision de la vie n'est pas très compatible avec la mienne. Du coup en 2016, lors des élections, ça a été le clash, je ne l'ai pas vraiment soutenu, et depuis, nous sommes pour de bon réellement "adversaires". Il ne nous a jamais beaucoup aidé, et depuis on n'a plus reçu aucune aide. L'aspect positif c'est que je me suis décidé à créer une association et cela va nous permettre désormais d'aller de l'avant sans plus perdre de temps avec l'élément politique qui nous a coûté beaucoup de temps dans notre développement.
Vous avez, avec l’aide d’une association de pompiers de France, reçu un camion que vous avez entièrement rénové et équipé pour le rendre opérationnel lors de vos interventions. Aujourd’hui, vous avez besoin d’un camion plus performant pour étendre vos interventions aux communes voisines à la vôtre. Pouvez-vous nous parler de vos objectifs?
Tout simplement les mêmes que ceux que je m'étais fixés dans le document écrit que j'avais remis au maire en 2012, celui de créer un véritable centre de secours de première intervention pour toute la zone qui nous entoure et non pas seulement pour ma seule commune. C'est ce que je voulais depuis les débuts mais que les autorités ne m'ont jamais permis de réaliser, ni le maire bien sûr, ni même le chef des pompiers du département. Je crois qu'ils ont tout fait pour me décourager et qu'ils pensaient qu'ils y arriveraient mais c'était méconnaître les raisons mêmes qui m'ont fait venir dans ce pays. A présent, le chef des pompiers du département a changé, c'est un homme plus jeune, plus ouvert, plus soucieux d'améliorer le système. Le maire, par son comportement, son attitude hostile à notre égard, a été à l'origine de la médiatisation de notre projet pompier au niveau national. Il s'est décrédibilisé devant les médias et le public d'un pays entier, et moi, de mon côté, j'ai gagné en visibilité car notre travail a été remarqué à la fin de l'année dernière par deux chaînes de télévision roumaines comme ProtTV et DigiTV et j'ai reçu un prix pour mon engagement comme pompier volontaire par la Fondation Communautaire du Pays de Fagaras en novembre dernier
Justement, comment le comportement des gens a-t-il évolué après cette médiatisation providentielle?
Quand les gens vous voient à la télé, beaucoup de choses et de comportements changent. La grande question est aussi l'aspect financier du projet. Si nos gars ne sont pas payés et qu'au niveau matériel on est plutôt bien aidés, il reste que l'on doit payer le carburant et les assurances des véhicules, ce qui n'est pas un coût négligeable sur une année, d'autant que l'on va augmenter le nombre et la longueur de nos déplacements. On espère recevoir de l'aide d'autres communes sur lesquelles on va intervenir, on espère aussi l'aide du conseil départemental, mais vous savez, en Roumanie on peut en rester à l'espérance et ne rien voir venir derrière. On prend un risque. J'ajouterai encore deux objectifs: le premier touche à la formation des adolescents, c'est ce que l'on pourrait appeler les jeunes sapeurs pompiers. C'est un élément fondamental pour assurer l'avenir du projet et donner aussi à notre jeunesse locale une occasion d'avoir des activités positives de développement personnel. Ce projet pompier a toute une implication sociale et éducative pour notre communauté locale et ces aspects me paraissent tout aussi importants que celui des missions à proprement parler. Le deuxième élément c'est celui de pouvoir intervenir dans les situations de premiers secours à victime. Je suis devenu volontaire en 2016 dans ces unités justement pour me former dans le domaine du premiers secours et j'attends toujours de commencer ma formation paramédicale, mais au jour d'aujourd'hui, rien ne m'a été annoncé.
Vous lancez actuellement une campagne de Crowdfunding pour réunir les fonds nécessaires à votre action. Précisez pour nos lecteurs susceptibles de vous aider, quels sont exactement vos besoins matériels, humains et financier?
Le véhicule que nous avons reçu en 2013 d'une association française n'est pas adapté à l'évolution de notre projet. Il est trop petit, trop lent pour nous permettre d'intervenir sur d'autres communes que la nôtre. Actuellement lors de nos interventions, une partie des équipiers fait le voyage sur la citerne car nous n'avons que 2 places en cabine. Imaginez-vous faire l'hiver un trajet de 20km par moins 15 dehors sur la citerne... Ce n'est pas concevable et ce n'est tout simplement pas normal du point de vue de la sécurité. C'est pourquoi nous devons avoir un nouveau véhicule qui corresponde à nos besoins. On a fait le choix d'acheter un nouveau véhicule plutôt que d'attendre un hypothétique don et nous avons négocié son achat auprès d'un service départemental français. Dans notre cas, nous allons chercher notre véhicule en Corrèze. Son coût est de 10 000 euros auquel il faut rajouter les coûts de transport jusqu'en Roumanie, ainsi que tous les frais pour son immatriculation sur place. Nous avons déjà couvert 50% des frais d'achat via des dons et une campagne de crowdfunding initiée sur internet et qui s'est terminée le 15 mars. On a encore actuellement un projet de cofinancement en cours dans le cadre du Bikeathon, événement sportif et humanitaire, qui aura lieu à Fagaras le 9 juin prochain.
pour les aider https://www.kisskissbankbank.com/en/projects/pompiers-volontaires-en-transylvanie
pour les suivre sur facebook https://www.facebook.com/svsuticus/
Propos recueillis par Grégory Rateau