Édition internationale

CEDRIC VILLANI - ''L'influence de l'informatique sur la mathématique est considérable''

Écrit par Lepetitjournal Bucarest
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 22 mai 2016

Le mathématicien français Cédric Villani, lauréat de la médaille Fields et directeur de l'Institut Henri-Poincaré, était à Bucarest la semaine dernière, à l'invitation du Bureau Europe centrale et orientale de l'Agence universitaire de la francophonie. Promoteur infatigable de la mathématique, une science qu'il conjugue au singulier et qu'il veut rendre accessible au plus grand nombre, il est l'initiateur du musée des mathématiques, un projet qui devrait voir le jour à Paris en 2020.

Photo : http://cedricvillani.org

Le Petitjournal.com/Bucarest - Vous êtes engagé en politique ? vous avez soutenu Anne Hidalgo à la mairie de Paris ? ainsi que dans la société civile, avec des conférences et des interventions nombreuses pour vulgariser la mathématique. Le temps ne vous manque-t-il pas ?

Cédric Villani - Tout ce que vous faites sérieusement et de façon sincère et passionnée prend beaucoup de temps. D'autant plus quand il s'agit de questions publiques et sociales, car il faut être présent en personne.

Mais que deviennent vos recherches mathématiques ?

Vous savez, il y en a plein d'autres qui font des recherches, mais ceux qui s'impliquent dans la communication scientifique grand public, qui donnent des interviews, qui participent à des programmes, sont très peu : il y a mon ancien collègue de l'ENS Lyon, Étienne Ghys, et moi. Quand la société vous confie une mission, il faut la remplir. Ca fait quatre ans qu'on travaille sur un projet de musée mathématique à Paris. Quatorze millions d'euros de subventions publiques négociées, un bâtiment qui va être rénové, des centaines d'heures de réunion... Si je ne le fais pas, qui le fera ? 

Vous considérez toutes ces activités annexes à votre discipline comme un devoir ?

Oui. Ce musée mathématique remplit un besoin, c'est clair. Tout le monde en parle et le projet connait une grande résonance dans la presse. D'ici quelques années, quand les choses seront bien enclenchées, je pourrai passer la main, mais pour le moment, c'est ma mission. Et s'il y a une chose que l'on apprend dans la recherche, c'est que lorsque vous êtes lancé dans un projet, il faut s'engager à fond.

Que représente la médaille Fields pour un mathématicien ?

C'est à la fois un encouragement et une récompense de haut niveau, toujours attribuée à des mathématiciens de moins de 40 ans. Elle est décernée au nom de la communauté, par la communauté et devant la communauté des mathématiciens, car c'est l'Union mathématique internationale qui organise l'attribution du prix et la cérémonie.

C'est un peu un graal ?

C'est sans conteste la plus médiatique des récompenses mathématiques, celle qui a le plus de retentissement. Mais je pense que les mathématiciens de c?ur vous répondrons avec raison que le graal, c'est la résolution de la conjecture qui leur est chère, l'objet de leur recherche. La plus part de ceux qui obtiennent la médaille Fields n'ont pas pour autant réussi à trouver leur graal.

Vous dites qu'il existe une manque croissant de vocation pour cette science et que cela peut engendrer de graves problèmes. A quel genre de problème pensez-vous ?

Tout simplement l'écroulement de la discipline.

C'est-à-dire ?

Le risque est que la recherche mathématique européenne se retrouve en seconde division dans la compétition mondiale, par rapport à la recherche américaine, par manque de chercheurs. Actuellement, les filières mathématiques sur le vieux continent ne sont pas capables de répondre aux besoins exprimés par l'industrie. Il y a des pays qui recourent à l'importation massive d'enseignants. Mais c'est un sujet sur lequel la France ne s'est pas encore positionné.

À notre époque, les sciences, et donc dans la mathématique, progressent-elles plus rapidement qu'avant ?

Incontestablement. Tout avance très vite. Certainement plus vite aujourd'hui qu'à n'importe quelle autre époque passée. Et plus on avance, plus il y a de questions, plus il y a de mystères. On progresse en grande construction ou par interaction de sous-disciplines. Des branches entières avancent extrêmement vite et bien évidemment sous l'influence du développement technologique. L'influence de l'informatique sur la mathématique, par exemple, est considérable.

La mathématique est-elle une science à part ?

La mathématique ne traite pas seulement de nombres ou de chiffres, ni de calculs. La mathématique traite avant cela de raisonnements et de représentations du monde.

Mais elle n'est pas lié physiquement au monde comme les autres disciplines scientifiques...

C'est encore une erreur. La mathématique raisonne dans l'abstrait, mais une énorme partie de cette science est inspirée du réel et destinée à être appliquée au réel. Je suis spécialiste de physique mathématique et 90% de mes recherches portent sur des problèmes qui sont inspirés par la physique. Dire que la mathématique n'est qu'une affaire de chiffre, c'est comme si vous disiez que la couture est une affaire de fil.

Propos recueillis par Jonas Mercier (www.lepetitjournal.com/Bucarest) Lundi 23 mai 2016

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Publié le 22 mai 2016, mis à jour le 22 mai 2016
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