Alors que la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND) vient de publier la liste de ses candidats pour les élections parlementaires, des voix critiques sur son processus de sélection se sont élevées, mêlant accusations de favoritisme et illusion de choix. Cette controverse met en lumière les enjeux de la sélection des candidats, une étape cruciale et délicate avant le 8 novembre. Car si la Commission Electorale Nationale (CEN) a fixé des règles pour pouvoir être candidat, posant ainsi un cadre, les décisions finales appartiennent bien sûr aux différents partis, ce qui ne fait pas toujours sans débat.
Dans le cas de la LND, un futur candidat doit franchir plusieurs étapes pour être autorisé à représenter le parti le 8 novembre 2020. D’abord déposer son dossier de candidature au bureau local du parti, dossier ensuite examiné pour chaque circonscription par le comité du parti pour les élections, auquel se joignent cinq « aînés » choisis par la LND. Si le consensus n’est pas atteint pour le nominé et son colistier, en théorie un vote à bulletin secret aura le dernier mot. Sur le papier, il en va ainsi pour chaque circonscription, parlement national comme parlements régionaux.
Selon les dirigeants de la LND, le principe des « aînés » permet d’apporter plus d’objectivité dans la sélection des candidats et d’empêcher le favoritisme. En réalité, les critères de choix des « aînés » sont flous et certains membres de comités des élections ont choisi leurs propres amis comme « aînés » afin d’augmenter les chances de leur propre candidature ! De plus, la plupart des comités possédant plus de dix membres hors « aînés », ces derniers se retrouvent souvent en minorité et perdent donc en influence. Leur véritable importance est donc encore sujette à débat mais dans une société aussi patriarcale que celle de la Birmanie, la manœuvre a tout de l’artifice électorale pour s’attirer les faveurs de la population.
La LND en 2020 : faire du neuf avec du vieux
La sélection finale des candidats est faite à l’échelle nationale, comme l’ont rappelé les dirigeants de la LND face à ces critiques. En effet, une fois que le comité local a retenu cinq candidats et leurs cinq seconds, le parti tranche pour un seul « ticket » de deux personnes qui le représenteront dans la circonscription. Une pratique qui prouve que le choix n’appartient pas réellement au niveau local et même les décisions locales ont peu d’influence sur la sélection finale. Preuve par l’exemple, le parti aujourd’hui au pouvoir a commencé par décider en interne et au sommet de sa hiérarchie qui sont ceux qui obtiendraient les différents postes à responsabilité (Premiers ministres, ministres…) pour chaque état et région. Ensuite, ces personnes se voient attribuer une circonscription « facile » pour avoir la certitude d’être élues car ces divers postes ne peuvent être pourvus que par des parlementaires. Au final, après avoir reconnu que ses élus actuels manquaient souvent de compétences et clamé haut et fort sa volonté de renouvellement, la LND a adoubé 80% des parlementaires actuellement en poste ! Autant pour le sang neuf. Le procédé de sélection de la LND sera copié cette année par le Parti pour l’Union, de la Solidarité et du Développement (PUSD), le bras politique de l’armée, même s’il affirme cette année ne plus favoriser les anciens généraux comme candidats.
Parmi les 97 partis qui vont s’affronter pour les 1 171 sièges à remplir dans les parlements national, régionaux et étatiques, 18 se concentrent sur une seule région ou un seul état et ne solliciteront pas de voix au niveau national ; les 79 autres chercheront à obtenir des élus dans plusieurs régions ou états, voire dans tous pour les plus gros partis, ceux avec des ambitions réelles de pouvoir national. Pour chaque parlement, seulement trois-quarts des sièges sont sujets à élection, le dernier quart étant composé de parlementaires désignés par l’armée. Au parlement fédéral, la Chambre des représentants, dite Chambre basse (Pyithu Hluttaw), compte 330 des 440 sièges à pourvoir et dans la Chambre haute (Amyotha Hluttaw), la chambre des nationalités, 168. Pour cette dernière, chacun.e des 14 états et régions élit 12 représentants. Au niveau des parlements régionaux, le nombre d’élus diffèrent dans chaque cas ; par exemple, dans l’Arakan, il y a 47 députés alors que dans le Shan, ils sont 137 ! Ce dernier parlement présente d’ailleurs la particularité d’être le seul où le PUSD était arrive premier de tous les partis en 2015, la NLD n’y récoltant qu’une troisième place alors que les partis ethniques avaient présenté un front épars. Les parlementaires élus en novembre prendront leur poste en février et devront commencer par élire le Président de l’Union de Birmanie, qui à son tour désignera son gouvernement pour avril 2021.
Deux mois de campagne électorale à partir de septembre
Il existe plusieurs critères d’éligibilité pour devenir candidat. Il lui faut tout d’abord être âgé de 30 ans et plus pour la Chambre haute et de 25 ans et plus pour la Chambre basse et les parlements régionaux. Le candidat doit avoir séjourné dans le pays pendant au moins dix années consécutives avant la date des élections, être enregistré sur les listes électorales et ne pas avoir été condamné. Ses parents doivent être citoyens birmans au moment de sa naissance et au moment de sa candidature. Aucun lien d’allégeance, situation de privilège ou bénéfice matériel ne doit exister entre le candidat et un pays tiers, et le candidat ne doit pas utiliser la religion à des fins politiques ni inciter à voter ou ne pas voter. Il ne doit pas appartenir à un ordre religieux et ne doit pas être fonctionnaire (à part les membres de l’armée et des divers services de défense). Enfin, le candidat ne peut pas cumuler plusieurs postes de parlementaire en même temps.
Les candidats se présentent en général comme affiliés à un parti mais les candidatures indépendantes sont aussi acceptées. Cette année, les dépôts officiels des candidatures auprès de la CEN s’étend du 20 juillet au 7 août, suivie d’une période de vérification des dossiers par cette même CEN du 11 au 17 août. Un acompte de 300 000 kyats (environ 200 euros) doit être déposé par le candidat s’il est indépendant et ce montant lui sera rendu s’il réussit à obtenir au moins un huitième du total des votes. Si le candidat se présente à travers un parti, ce parti devra verser lui-même les 300 000 kyats et rajouter 500 000 kyats (environ 330 euros).
La campagne électorale commencera officiellement début septembre pour une période d’environ deux mois. Seule la veille des élections est considérée comme un jour « silencieux » (Silent Day), pendant lequel les événements de campagne sont interdits. En Birmanie, les campagnes se mènent en général par des rassemblements publics, des rencontres entre le candidat et les électeurs de sa circonscription, de multiples distributions de cadeaux aussi. Les derniers scrutins partiels ont vu apparaître un plus d’interviews dans les médias et d’interventions sur les réseaux sociaux.
La Covid-19, un handicap pour les petits et les nouveaux partis
Cette année, la Covid-19 vient évidemment jouer les troubles-fêtes. Les interdictions de rassemblement jouent en effet en défaveur des petits ou des nouveaux partis, très nombreux dans les deux cas. Pour eux, faire campagne en ligne est complexe puisqu’ils ne disposent pas encore d’une image de marque, d’une reconnaissance, d’une notoriété. Ces partis crient donc à l’injustice, invoquant le manque de moyens et de couverture médiatique qui limite leur accès aux électeurs potentiels. La distance physique de sécurité imposée par le gouvernement est également vue comme une difficulté supplémentaire. Plusieurs partis se plaignent d’ailleurs du flou entourant les règles limitant les rassemblements, qui sont prolongées au fur et à mesure, parfois au dernier moment. « Comment pouvons-nous faire notre travail, organiser des rendez-vous et aller chercher les votes ? » s’interroge U David Hla Myint, président de l’United Nationalities Democracy Party.
De plus, la Commission Electorale Nationale a été critiquée pour avoir autorisé les têtes d’affiche de la LND à commencer officiellement leur campagne le 2 juillet, tandis que les autres partis doivent attendre la confirmation de leurs candidats en août. Une partialité de la CEN qui créé un biais clair en faveur du parti de gouvernement sortant. Cette décision creuse encore l’écart entre ce parti dirigeant et ses détracteurs, qui voient déjà dans l’aide aux travailleurs impactés par la pandémie une « campagne avant la campagne ».
Le financement de la campagne électorale est également régulé par la loi, mais là encore dans un certain flou. Le budget individuel d’un candidat est limité à 10 millions de kyats (de l’ordre de 7 000 euros) mais son parti peut aussi financer la campagne de ses candidats ! C’est ce que va faire le PUSD, par exemple, au contraire de la LND. Les dons sont acceptés s’ils proviennent des fonds propres du candidat, de citoyens individuels, de partis politiques ou d’entreprises ou groupes d’entreprises birmanes. De façon générale, le financement des campagnes reste peu soumis à conditions, avec l’exception notable que les dons provenant d’organisations ou d’entreprises étrangères sont interdits. Les dons faits aux candidats individuels sont limités et vérifiés, mais pas ceux faits aux partis, qui n’ont pas d’obligation de déclarer d’où viennent leurs fonds. Une porte ouverte à de nombreux abus dans un pays comme la Birmanie qui figure dans tous les classements internationaux parmi les pays avec le plus de corruption.
Premiers candidats musulmans pour la LND
Pour ce qui est des noms, seule la LND a déjà publié la liste de tous ces candidats. Sur les 1132, 20 % sont des femmes - contre 13 % en 2015. Dans certains états, comme l’Arakan ou le Shan, ce parti ne présentera pas de candidat dans toutes les circonscriptions. Officiellement, la LND dit qu’il en était de même en 2015. Officieusement, il est notoire qu’avec les guerres civiles violentes dans le pays, dans certaines zones, être candidat au nom de la LND ou du PUSD est réellement périlleux et personne ne s’est précipité, les militants pressentis ayant tous préféré refuser.
Autre changement notable paour la LND par rapport à 2015, la présence de candidats de confession musulmane. Lors du précédent scrutin, la LND - comme le PUSD d’ailleurs - avait ouvertement admis l’exclusion des candidats musulmans, souhaitant éviter les critiques de groupes bouddhistes nationalistes dans un climat de tension religieuse. Cette année, changement de discours : la LND met en avant la loyauté et l’expérience pour choisir ses candidats et affirme ne pas faire de distinction basée sur la foi ou la race.
« C’est une honte que notre Parlement ne comprenne aucun parlementaire musulman, alors que les musulmans représentent plus de 5% de la population du pays », a récemment déclaré Maung Muang Myint, membre d’une organisation qui aide les candidats musulmans à préparer leur campagne. « Parmi les plus de 6 000 candidats aux élections de 2015, seuls 28 étaient musulmans. Et ils n’ont gagné aucun siège », précise-t-il, en ajoutant que la CEN avait rejeté plus d’une centaine de candidatures, sur la base de la citoyenneté du candidat et de ses parents.