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Scholastique Mukasonga, un diplôme pour échapper au génocide du Rwanda

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Écrit par Noémie de Bellaigue
Publié le 7 novembre 2018, mis à jour le 4 juin 2023

L’auteure franco-rwandaise, prix Renaudot 2012 pour Notre-Dame du Nil, a publié Un si beau diplôme !, une ode à l’éducation dans laquelle elle raconte son parcours de vie qui l’a emmenée du Rwanda, au Burundi, à Djibouti et en France.

 

Lepetitjournal.com Beyrouth : Dans ce livre, vous racontez le chemin que vous avez parcouru pour obtenir votre diplôme d’assistante sociale, au Burundi et en France. Vous le décrivez comme un «passeport pour la vie»...

Scholastique Mukasonga : Le titre de mon livre, Un si beau diplôme!, contient un paradoxe. Bien sur, il ne s’agit que d’un simple diplôme d’assistante sociale, pas un doctorat. Mais obtenir ce diplôme était pour moi le seul moyen d’échapper au génocide dont les prémices ont commencé bien avant 1994. En 1960 déjà, les Tutsis ont été déportés de Kigali vers Nyamata. Pendant 10 ans, nous avons rêvé que nous rentrerions un jour chez nous.

À Nyamata, on nous appelait les cafards’. Nous n’étions plus considérés comme des humains. À partir de 1973, lorsque les Hutus ont pris le pouvoir, nous n’avions plus accès au savoir et plusieurs mini-génocides avaient déjà eu lieu. 1973, c’était le génocide des cerveaux ; 1994, celui des corps.

 

Notre-Dame du Nil était une ode à votre mère. Un si beau diplôme! une ode à votre père qui était très attaché à la scolarité...

Mon père est né pendant la Première guerre mondiale. À cause des épidémies et de la famine, il devient orphelin très jeune. Il n’aurait jamais survécu si la chance ne l’avait pas mis sur le chemin de l’école. En travaillant dur, il a réussi à obtenir un statut, qui a été balayé après le départ des colonisateurs belges en 1960. Il a compris bien avant 1973 qu’il n’y aurait aucune issue possible à l’extermination qui se préparait. Ma mère cherchait des cachettes pour nous sauver mais lorsque ceux qui s’apprêtent à vous tuer sont vos voisins, ils les connaissent aussi. Il devient impossible de s’échapper.

Il savait bien que seul le chemin de l’école sauverait l’un de ses enfants de ce qui allait arriver. Il m’a envoyée à l’école en sachant que j’allais y apprendre le français. Ce diplôme, c’était avant tout une histoire de langue. En parlant français, j’allais avoir un passeport international, pouvoir sortir du Rwanda et naviguer dans le monde entier.

 

À propos d’identité, vous dites que « la langue est une identité », raison pour laquelle vous n’aviez pas souhaité apprendre à vos enfants le Kinyarwanda.

J’ai fait mes études au Burundi où j’ai rencontré mon mari, un coopérant français. Mes enfants y sont nés. J’étais en exil et j’avais perdu toute ma famille. Ma mission était de ne surtout pas mourir. Lorsqu’une mère tutsi avait un enfant, on disait qu’elle avait mis au monde la mort. Je ne pouvais pas imaginer avoir des enfants qui allaient porter cette mort. En leur apprenant le Kinyarwanda, je leur aurais donné l’identité rwandaise et tutsi. C’est pour sauver mes enfants que je n’ai pas voulu qu’ils apprennent cette langue. Mais ils me l’ont reproché. Lorsque nous avons obtenu nos passeports rwandais en 2004, les autorités les ont taquinés en nous disant que  « maintenant que vous avez la nationalité, on va parler en Kinyarwanda ». Mais je ne suis pas inquiète, mes enfants vont l’apprendre.

 

Quel a été votre rapport au Rwanda après le génocide ?

J’ai mis beaucoup de temps à y retourner… Après le génocide, les exilés étaient invités à rentrer pour reconstruire le pays. En Basse-Normandie où je vis, il n’y avait qu’un seul autre Rwandais. Un jour, il est venu chez moi me dire : « Viens, Schola, on y va! ». Mais il n’en était pas question. Je venais de Nyamata et que je sache là-bas, il n’y a aucun survivant, lui avais-je répondu. Je n’avais pas la force d’y retourner…

 

Aujourd’hui, comment envisagez-vous votre identité ?

Même si le Français n’est pas ma langue maternelle, elle fait partie de moi. Je suis de cette génération qui l’apprenait dès l’école primaire où nos livres étaient en  kinyarwanda et en Français. Mon identité a longtemps été le Kinyarwanda mais ma première carte d’identité et mon premier état civil étaient français. 

 

Alors que vous aviez toujours pensé le catholicisme comme la seule « vraie religion », vous avez découvert l’islam à Djibouti et la laïcité à la française...

Pour moi il n’y avait qu’une religion, le catholicisme. Au Rwanda, la seule fois où j’avais rencontré une musulmane, c’était au lycée de Kigali. Même si elle était très douée en classe, elle était considérée comme une paria. Le dimanche, toutes les familles allaient à la messe mais elle en était exclue. La définition que l’on prêtait à l’Islam à cette époque était vraiment insultante.


Lorsque nous sommes partis vivre à Djibouti avec mon mari, j’ai découvert pour la première fois un pays musulman. Je suis tombée de très haut quand j’ai réalisé que ce pays, qui avait été une colonie française, était de religion musulmane et non catholique. Cela prouve à quel point le Rwanda était fermé au monde et vivait dans un microcosme. Spontanément, j’ai envié les Djiboutiens qui ont été colonisés par les Français car quand je parle de « laïcité à la française » je pense à cet espace de liberté et d’intimité qu’on leur avait octroyé.

 

Au Liban, de nombreuses communautés religieuses cohabitent. Dans votre livre, vous évoquez ce même phénomène au Rwanda aujourd’hui…

Cette cohabitation est compliquée et très mal vécue. Il y a environ une vingtaine de communautés au Rwanda. Je crois que si toutes ces religions fleurissent, c’est parce que les gens ont besoin d’oublier leurs souffrances. C’est une forme de colonisation car elles détruisent leur espace de réflexion. Certaines croyances limitent et empêchent de voir la réalité.

 

Vous expliquez que le Rwanda s’est réorganisé après le génocide en érigeant la femme « aux commandes » 

Comme beaucoup de sociétés africaines, la société rwandaise est une société matriarcale. La femme s’occupe de la bonne tenue de la maison et du bon fonctionnement du foyer. Mais contrairement à d’autres pays, c’est une société monogame. Pendant le génocide, on s’attachait à tuer les hommes tutsi car on était tutsi de père en fils. Il y a donc eu beaucoup plus de femmes rescapées que d’hommes. Elles n’ont jamais baissé les bras. Elles venaient d’être violées et dépossédées de leurs enfants mais elles se devaient d’être toujours à la hauteur. Au lieu de s’effondrer, elles ont récupéré les petits enfants devenus orphelins dans les rues, puis accédé a des fonctions allouées aux hommes… C’est elles qui ont reconstruit le pays.

 

 

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