Zad Moultaka est un artiste libanais aux multiples facettes. Compositeur, peintre, et créateur d’univers immersifs, il tisse depuis toujours un dialogue intime entre les disciplines, les époques et les cultures. Sa dernière installation, Šamaš, crier la paix, exposée à l’Institut du monde arabe depuis le 10 décembre 2024, agit « comme une œuvre cathartique auprès du public ». Elle sera visible jusqu’au 6 avril 2025.
Peindre et composer : un jardin secret révélé
« J’ai peint depuis toujours » confie Zad Moultaka. S’il commence simultanément la musique et la peinture, il garde longtemps cette dernière comme un espace intime, presque secret. Ce n’est que plus tard que le dialogue entre les deux disciplines se formalise dans son travail : « Chaque pratique a son espace propre : la composition musicale se déploie dans un espace lent, alors que l’art plastique s’inscrit dans une dynamique rapide. Mais au fond, c’est un seul et même espace, avec des visages différents. »
Né au Liban, Moultaka ne force jamais son identité à s’imprimer dans ses créations. « Mon identité fait partie de moi comme mon bras fait partie de mon corps. Je ne la contrôle pas : elle se manifeste dans les parfums, les couleurs, les sons, les goûts. Mes œuvres sont irriguées de tout cela. » Cette approche organique infuse ses créations d’une profondeur particulière. La musique contemporaine comme l’art visuel deviennent des lieux d’échos, où se croisent les récits anciens et les questionnements actuels.
Zad veut lutter contre l’appauvrissement spirituel dont il est lui aussi victime
Fasciné par les matériaux historiques et les récits anciens, Zad Moultaka puise dans les civilisations passées une énergie singulière. « Contrairement à notre monde contemporain, les civilisations anciennes étaient reliées à l’invisible, au mystère et au sacré. Cette énergie transparaît dans leurs textes et œuvres, et elle doit nous nourrir aujourd’hui pour sauver notre monde de son aspect terriblement creux. »
Pour l’artiste, créer est une forme de résistance : « Je veux lutter contre l’appauvrissement spirituel dont je suis aussi victime. Nous sommes tous responsables, et nous devons ouvrir des horizons plus profonds. » Dans ce combat, il puise son inspiration auprès de figures lumineuses comme Christian Bobin, Etel Adnan, Mark Rothko ou encore György Ligeti. « Heureusement, des génies continuent à nous éclairer. »
« Mon identité fait partie de moi comme mon bras fait partie de mon corps. Je ne la contrôle pas : elle se manifeste dans les parfums, les couleurs, les sons, les goûts. Mes œuvres sont irriguées de tout cela » confie l'artiste.
Šamaš, mélange entre passé et présent
Šamaš, crier la paix est irrigué du mélange entre passé et présent, plongeant les spectateurs dans « une boucle sans fin » de presque 12 minutes. Comme le palindrome de son nom, elle se répète à l’infini, illustrant les alternances justice et violences qui semblent inarrêtables et questionnant la capacité de l’humanité à rompre avec ses démons.
Présentée pour la première fois en 2017, Šamaš est aujourd’hui imprégnée d’une actualité douloureuse. L’installation, qui fait entendre la violence à défaut de la taire, résonne avec les différents conflits bien présents au Moyen Orient, notamment en Palestine et au Liban. Pour autant, Zad Moultaka s’applique à prévenir que l'œuvre est intemporelle et n’a pas vocation à cibler des coupables : « Šamaš parle de la violence humaine, quelle que soit son identité. Elle ne prend aucun parti, car les victimes d’hier sont les bourreaux d’aujourd’hui, et vice versa. »
À travers cette œuvre, Zad Moultaka lance un appel vibrant : que la violence cesse. Un cri pour la paix, à voir et à écouter, en boucle, à l’Institut du monde arabe jusqu’au 6 avril 2025.