Héloïse Florent fait partie de l’école abstraite dans l’univers du tatouage. Pas de figuratif, pas de couleur mais des œuvres pleines de sens dans lesquelles chaque ligne raconte une histoire.
L’atelier
La rencontre doit avoir lieu du côté d’Hermannplatz. Le portail gris s’ouvre quand la voix d’Héloïse, grésillante dans l’interphone, m’indique l’étage. Sur le palier, le sourire aux lèvres, Héloïse Florent m’invite à découvrir son studio, son univers. La porte s’ouvre sur une pièce d’un seul tenant. Sur la gauche, des plantes suspendues aux poutres blanches du plafond surveillent le matelas noir de la table de tatouage. L’imprimante se serre contre un meuble chargé du nécessaire à tatouage. Une enceinte perchée dans l’angle de la pièce suit le rythme des aiguilles lorsqu’Héloïse travaille. Un carré gris au sol sépare ce coin du côté droit, l’atelier.
Le parquet est constellé de taches d’encre, cachées par des dessins dispersés autour d’Héloïse, assise en tailleur. Un carton tente de s’interposer entre les jets d’encre et le bois, sans succès évident. La boîte à merveilles de l’artiste jouxte une grande bouteille d’encre noire. Ce petit coffret renferme des objets abandonnés devenus les nouveaux pinceaux d’Héloïse, inspirée par leurs formes, leurs textures, leurs histoires. Une de ses toiles est accrochée au mur, miroir des dessins sur le plancher. Sous la fenêtre, deux fauteuils encadrent un guéridon qui porte un thé fumant.
De l’école d’ingénieur à l’école de l’abstrait
Un sourire malicieux dans les yeux, Héloïse décrit son parcours atypique. Elle passe tout d’abord du temps sur les bancs d’une école d’ingénieur puis entame la rédaction d’une thèse en physique des liquides qu’elle ne finira pas. Sa vie d’artiste commence avec des rencontres. Dans un squat, au détour de discussions, des questions se posent, des réponses émergent, une artiste commence à naître. La vie toute tracée qui lui est destinée ne lui convient plus. Travailler dans le but de payer son loyer est un emprisonnement, elle trouve sa liberté en rejoignant les squatteurs. Pas de loyer, mais du temps pour découvrir, s’inspirer des lieux, des objets, de ce nouvel univers plein de promesses.
Héloïse découvre d’abord l’univers du tatouage par son envie personnelle d’être tatouée. La découverte de Lee Stewart, une tatoueuse de l’école abstraite fait germer dans son esprit l’idée qu’elle peut s’engager dans cette voie. Seulement, elle n’a jamais appris et manque de confiance en sa main encore novice. Elle essaie d’abord sur son corps, adore, recommence, et ne s’arrêtera plus. Pourtant, Héloïse traverse des périodes d’angoisses, une boule au ventre à l’idée d’abîmer la peau ou de rater son dessin. La néo tatoueuse décide, après quelques mois en tant qu’autodidacte, de commencer un apprentissage. Caroley, une artiste tatoueuse, l’aide donc à repartir d’une page blanche.
Lee Stewart appartient à l’école abstraite du tatouage. Les dessins traditionnels laissent la place aux lignes fuyantes, aux mouvements sans corps, aux expressions sans visage. Le mouvement se développe progressivement autour du globe. Europe, Corée, Brésil, l’abstrait gagne du terrain, sous l’influence d’écoles aux styles divers. L’engouement pour cette nouveauté dans l’univers du tatouage accroche Héloïse. Elle s’en inspire pour construire son style, son identité visuelle. Très vite, elle abandonne le pinceau, se saisit des objets qui l’entourent et trouve sa manière de faire de l’abstrait.
Les objets comme outils et inspirations
Le pinceau semble imposer une manière de créer, de travailler, la prise en main ne varie pas. Héloïse, après avoir étudié l’outil sous toutes ses coutures décide de s’affranchir de la brosse. Ses passages dans un squat ou dans son premier collectif berlinois sont des inspirations fortes. Dans ses pièces traversées par des visages qui changent, seuls les objets restent. Héloïse, inspirée presque attendrie par ces formes abandonnées, leur donne une seconde vie, dans l’encre et sur papier.
Chaque objet, par sa forme, sa texture, la manière de s’en saisir, offre des possibilités artistiques infinies. Héloïse est particulièrement attachée aux objets qui absorbent et laissent des traînées d’encre, estompées par le mouvement. Le métal, lui, donne des tracés bruts, précis, plus nets. Quand certains ont des pots à pinceaux, Héloïse a une boîte à objets. On y découvre une chaîne de vélo, un livre, une pellicule, un morceau de bois, un tube de bulles de savon, une pince à linge, un sachet de thé, …
Un style de tatouage affirmé
Si vous souhaitez un tatouage figuratif avec des notes de couleur, alors ce n’est pas la bonne adresse. Ce n’est pas une question de capacité mais une volonté de suivre un fil rouge et de garder une ligne de conduite. On ne demanderait pas à Picasso de faire du Soulage. Le marché du tatouage notamment abstrait se calque, dans son fonctionnement, sur le marché de l’art. On ne va plus se faire tatouer quelque chose, on va se faire tatouer par quelqu’un.
À Berlin, Héloïse propose tout de même à ses clients de venir avec leur propre objet s’ils le souhaitent. Elle transforme ainsi la relation au tatouage souvent rappel pictural d’un souvenir mémorable. On ne se fait plus tatouer un vélo, mais une œuvre réalisée avec la chaîne. Une fois l’objet en main et quelques questions sur les types de mouvements que le client préfère, Héloïse produit entre dix et quinze dessins. Il faut ensuite choisir, selon les préférences, mais aussi en fonction du corps. L’objet donne des lignes sur la feuille, que celles du corps doivent épouser. Un dessin semble parfois moins bien sur papier qu’un autre, mais une fois sur le corps, épouse parfaitement les formes, s’intègre comme une évidence.
L’étape suivante permet à Héloïse de raccrocher ses deux univers : l’ingénierie en physique des liquides et l’artiste. Le dessin sort d’un geste instinctif. Le tatouage est une réflexion. Cinq secondes pour un dessin. Cinq heures pour un tatouage. Reproduire la texture d’un dessin, laissée par un objet dans un geste abstrait est un exercice difficile. Pourtant, Héloïse ne s’en lasse pas, elle apprend à chaque fois, travaille ses méthodes et connaît le trait laissé par chaque aiguille. Elle s’enrichit d’expérience à chaque peau, chaque dessin, chaque objet. Tous sont différents, parfois surprenants : elle a pu peindre avec un calcul biliaire ou des préservatifs.
Vous pouvez donc retrouver le travail d’Héloïse Florent sur sa page Instagram et la contacter si l’expérience vous tente. Si vous n’êtes pas à Berlin, Héloïse transporte régulièrement ses objets et son style à Paris.
Pour recevoir gratuitement notre newsletter du lundi au vendredi, inscrivez-vous !