A Berlin, rares sont les boutiques encore ouvertes la nuit. Cependant, les "Späti" font office d’exception et sont bien utiles pour les habitués de la vie nocturne.
L’un des poumons de la vie de quartier
C’est une spécialité berlinoise. On en compte à peu près 1.000 dans la capitale allemande. Les Späti sont en général des petites boutiques qui proposent bon nombre de produits de première nécessité. Ils sont le substitut parfait aux magasins ouverts la journée, et qui ferment en début de soirée. Le plus souvent, les Späti vendent du tabac, des magazines, des boissons, des gâteaux, du lait ou encore des forfaits internets. Ce sont l’un des lieux de rencontre des habitants du "Kiez", c’est à dire "le pâté de maisons". Bien vite, les propriétaires de ces petits magasins sympathisent avec leur clientèle, habituée des lieux.
Des habitants de tout âge et de toutes origines s’y croisent. Certains viennent pour arroser leur soirée, ou acheter le journal du jour quand d’autres cherchent la brique de lait qui leur manquait pour cuisiner. Les Späti sont aussi ouverts en vacances et même le week-end. Véritable élément de la vie de quartier à Berlin le terme "Späti" a été introduit dans le dictionnaire allemand en 2017.
Mais que veut bien dire "Späti" ? Il s’agit en réalité d’un diminutif du mot "Spätverkaufsstellen" qui signifie littéralement les "magasins tardifs" que l’on pouvait trouver en RDA, souvent ouverts jusqu’à 19 heures ou 20 heures. Après la réunification en 1990, le terme de "Späti" s’est étendu à l’ensemble de la capitale. Bien évidemment, il existe aussi des Späti dans le reste de l’Allemagne, mais on les désigne différemment : "Wasserhäuschen" à Francfort ou "Büdchen" à Düsseldorf. En revanche, dans le sud de l’Allemagne, en particulier en Bavière, le Späti n’existe pas à proprement parler. En effet, tous les magasins doivent fermer le soir, sans exception.
La loi dominicale sur la fermeture des magasins
Jusqu’en 2019, les Späti devaient se soumettre aux restrictions imposées sur la nature des produits qu’ils vendaient le dimanche. Ainsi, seules les fleurs, la presse écrite, les produits de boulangerie ou encore les produits laitiers pouvaient être vendus entre 7 et 16 heures. De plus, les offres touristiques et les boissons ne pouvaient être proposées qu’entre 13 et 20 heures. En revanche, il était interdit de vendre de l’alcool ce jour-là.
Toutefois, la police ne pouvait pas contrôler le respect de cette loi dans chaque Späti. De cette manière, la loi sur la fermeture des magasins le dimanche est devenue plus stricte en 2019. Les Späti devaient désormais rester fermés le dimanche. En parallèle, les contrôles de police se sont multipliés et le montant des amendes en cas de non-respect de la loi a fortement augmenté, afin de dissuader les propriétaires d’ouvrir les portes de leur enseigne.
Pour justifier de cette interdiction totale d’ouverture le dimanche, le tribunal administratif de Berlin a expliqué que les Späti proposaient des produits de consommation courante, qui ne répondaient pas à des besoins précis des environs immédiats. De fait, la fermeture de ces magasins le dimanche n’affecterait pas les clients. Certains politiques ont même défendu l’idée que cette loi allait protéger les travailleurs d’une trop grande libéralisation de leurs conditions de travail, puisque cette protection leur garantit un jour de congé dans la semaine.
Une mobilisation récente des commerçants
Selon les commerçants, les contrôles sont plus réguliers dans certains quartiers de Berlin. Pour autant, bon nombre de propriétaires ne comprennent toujours pas la nouvelle loi de 2019. Pour eux, les Späti sont une alternative, notamment le dimanche, aux grandes surfaces qui restent fermées, et non un commerce concurrent. L’ouverture le dimanche permettait aux gérants d’accroître leur chiffre d’affaire et aux clients des supermarchés de faire quelques courses nécessaires malgré la fermeture des grandes surfaces.
En 2016 déjà, la loi était plus stricte. C’est pour cette raison que de nombreux propriétaires, notamment du quartier de Neukölln, dans le sud de Berlin, ont décidé de fonder l’association "Berliner Späti"". Celle-ci cherche à défendre les intérêts de ces enseignes, et de faire entendre leur voix dans les négociations avec d’autres associations, les politiques et l’opinion publique. Cette association a permis la création d’un véritable réseau des Spätis berlinois et l’apparition d’une entraide inédite entre les différents propriétaires.
Le risque d'une perte de terrain des petites commerces
Avec le développement croissant de la livraison à domicile, de plus en plus rapide et facile, les commerces de proximité, notamment les Späti, sont de plus en plus menacés par ces activités. En Allemagne par exemple, certaines entreprises de livraison à domicile proposent de livrer des bières en quelques minutes seulement, à des prix très compétitifs. De plus en plus, les consommateurs utilisent ces moyens de livraison au détriment des commerces de proximité, dont les Späti, pourtant situés à quelques mètres de chez eux.
A Berlin comme à Paris, ces nouvelles formes de commerce sont de plus en plus visibles. Par exemple, les "dark stores" ou «magasins aveugles» sont très présents à Paris. Il s'agit d'entreprises qui proposent de livrer des produits alimentaires en un temps record : de 10 jusqu'à 20 minutes pour les commandes les plus lentes.
Pour beaucoup de propriétaires des Späti, le commerce "traditionnel" semble reculer au profit de ces nouvelles formes d'échange, plus rapides, mais aussi bien plus impersonnelles. Là où le Späti est un lieu de rencontre, d'entraide et d'échanges même brefs, le lieu d'un quartier dans le quartier, les entreprises de livraison à domicile veulent imposer la rapidité, l'immédiateté, et bon nombre de citadins parisiens et berlinois n'y semblent pas vraiment opposés...
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