Sur une terrasse calme et isolée du reste de Berlin, au cœur du « Tiergarten », nous avons rencontré le poète français Henri Cames. Il s’en est suivi un long échange autour d’un café et de son recueil de poèmes inédit.
« A la terrasse du rêve », 3e recueil du poète Henri Cames, vient de sortir aux éditions Amalthée le mercredi 16 septembre en France. Il faudra s’armer d’un petit peu de patience pour se procurer l’ouvrage en Allemagne qui ne sera dans les bacs qu’à partir du 21 octobre. Les deux premiers recueils d’Henri Cames, « Les ombres de nos âmes » (2017) et « Une palette de sentiments » (2018), mettaient en avant l’enfance, la figure féminine, la religion, la misère avec beaucoup de simplicité et de délicatesse. Le poète rêveur, né à Tarbes dans les Pyrénées, est installé à Berlin depuis une dizaine d’années. Voyageur et passionné par la langue allemande, il nous a raconté ses sources d’inspiration, son processus d’écriture, sa perception de la société et sa relation avec les lecteurs. Retour sur cet entretien.
Lepetitjournal.com/berlin : comment tout a commencé ?
Henri Cames : Avant, je faisais de la peinture mais ça n’accrochait plus. J’ai donc acheté et redécouvert certains recueils d’auteurs allemands. J’ai appris quelques poèmes par cœur, pour le plaisir. J’aime beaucoup les poèmes allemands qui me semblent plus faciles à apprendre qu’en français car je me concentre davantage sur les mots, sur le sens des paroles. Et puis un beau matin, vers 6 h j’ai commencé à écrire des poèmes. Je n’en avais jamais eu l’idée, j’en ai écrit 6 le même jour. Ma femme m’a dit « je ne savais pas que tu savais écrire comme ça ! » (Rires). Puis ça a continué, je ne m’arrêtais plus, c’était devenu comme une drogue ! Alors que j’en avais accumulé quelques-uns, j’ai demandé l’avis de quelqu’un qui était du métier, un journaliste-écrivain. Je lui ai envoyé par mail deux ou trois de mes poèmes. Il m’a répondu dès le lendemain, m’a dit que c’était bien et m’a encouragé à continuer d’écrire. Alors là, c’était comme si c’était Noël pour moi ! Vous savez, quand on se réveille le matin du 25… (Rires). Après avoir contacté quelques maisons d’éditions pour qu’elles puissent m’orienter, j’ai fini par envoyer mes écrits à l’édition Amalthée et ça a fonctionné !
Lepetitjournal.com/berlin : vous écrivez depuis maintenant quelques années et vous avez publié 3 recueils. Pensez-vous que votre processus d’écriture a évolué ? Les mots vous viennent-ils plus rapidement ?
Ce qui a changé, ce sont les thèmes. Mon 1er recueil est un retour absolu dans l’enfance avec quelques poèmes amusants. Mon 2e recueil est beaucoup tourné vers l’éternel féminin, c’est-à-dire tout ce qui est femme, de la petite fille de 6 ans à l’arrière-grand-mère, j’y traite aussi de la misère. Pour ce 3e recueil, j’écrivais mais je ne savais pas si j’allais le publier. J’ai cherché à m’asseoir dans des endroits sympathiques où l’on se sent bien, bien installé dans de bons fauteuils. J’ai alors fait une sélection de bons cafés. Parce que vous savez les cafés d’aujourd’hui, c’est moderne, c’est simple, il y a des tabourets en bois dur, parce que la nouvelle génération n’a pas le temps, boit vite et s’en va. Il est donc difficile de s’y sentir bien. Cela m’a aussi permis de faire une critique de la société à travers les cafés : le smartphone en plastique, le gobelet en papier… je fais une petite critique de la société concernant la misère dans mes recueils précédents, dans ce recueil-là, je pointe les gobelets en papier du doigt (Rires).
Finalement, dans les cafés, je suis arrivé à me replonger dans l’atmosphère des cafés de Vienne où j’allais autrefois et petit à petit le recueil s’est fait tout seul. Il y a des scènes de café réelles bien sûr mais aussi, partant de petites observations, je crée un poème et des situations rêvées. Mon écriture y est aussi différente car j’ai aussi fait de la poésie en prose autour du « café du village ». Au milieu du recueil, on retrouve donc des historiettes de la vie des siècles passés dans un village et au milieu de cette scène il y a un café. Je trouve toujours une occasion de retrouver le café ! (Rires)
Votre dites donc décrire des expériences vécues ou rêvées dans des cafés à Berlin ou à Vienne. Les endroits et les rêves sont-ils actuellement vos principales sources d’inspiration ?
Pour moi la poésie, c’est comme la photographie, la peinture ou la musique. Quand un photographe prend une photo, il a dans son objectif un endroit ou un objet que les autres n’ont pas vu et qui pourrait faire une super photo. Il faut donc arriver à trouver quelque chose qui frappe l’œil. Pour le poème, il s’agit d’une idée ou d’un objet qui font qu’une phrase se développe, vous continuez et ça avance tout seul. En partant d’un rêve, que ce soit un rêve éveillé ou un vrai rêve, ça arrive aussi. Parfois même je pars d’un vrai rêve, je développe mon texte à partir de ça, mais c’est moins fréquent. Chacun a un talent qu’il faut le développer. Moi, j’ai connu le chien, la cheminée, les balades, les livres. J’étais habitué à regarder, à observer, à écouter et cette attitude est restée. Elle joue un grand rôle, elle me permet d’écrire.
Cela fait une dizaine d’années que vous vous êtes définitivement installé à Berlin. Pourquoi cette ville quand on sait que vous avez vécu à Tarbes et à Toulouse où le climat est probablement plus clément ? Qu’est-ce qui vous inspire ici ?
Berlin, cela remonte à la Seconde Guerre mondiale au fond. Je raconte cela parce que les histoires de famille m’influencent beaucoup. Mon grand-père avait dit à mon père qu’il fallait absolument apprendre la langue allemande, une langue étrangère utile en temps de guerre, et c’est devenu une passion pour mon père. Ma mère avait appris l’allemand avec une Autrichienne dont le mari officier faisait partie de la Résistance. Puisque mes parents adoraient l’allemand, j’ai pris cette langue comme première langue vivante au collège. Un petit peu par hasard, comme je voulais travailler en Allemagne, je me suis retrouvé dans le secteur du tourisme français à Francfort puis à Vienne et Bruxelles. Finalement, j’ai été nommé à l’ambassade de France à Berlin. Aussi, ma femme, par sa grand-mère est Berlinoise. Ici à Berlin, il y a une grande communauté française. Il y a tout un passé et une présence française forte. La ville de Berlin m’inspire parce qu’il y a beaucoup d’espaces verts. Pour une grande ville, Berlin est très calme et puis il me suffit d’un fauteuil, un arbre et un ruisseau…
Vous avez mentionné la misère comme thème qui revient dans vos poèmes. Vous dites notamment observer la misère à Berlin. Avez-vous vu ou senti une évolution de celle-ci ces dernières années ?
La misère, c’est parce que je me promène souvent le long de la Spree où je croise des sans-abris. Il y en a certains avec qui j’avais pris contact mais qui ont disparu. J’ai donc écrit des poèmes là-dessus dans mes trois recueils. Avant le coronavirus, de nombreux sans-abris venant de Pologne se trouvaient le long de la Spree à Berlin. Depuis le début de la crise sanitaire, on ne les voit plus. Vu qu’il y a moins de monde dans les rues, la mendicité était devenue compliquée. Si certains sont morts, on ne parle pas beaucoup d’eux, bien qu’il y ait une forte entraide en Allemagne tout comme en France. Berlin, comme avant-guerre, est une ville très culturelle avec beaucoup de musées, d'opéras, une foule d'artistes mais toutefois une ville pas très riche, beaucoup moins chère au quotidien que d'autres capitales.
En effet, nous vivons actuellement une période très confuse et difficile. Le coronavirus a-t-il nourri des projets d’écritures ? Pensez-vous que les gens ont davantage besoin de poésie ?
Durant la période de sorties très limitées liée à la Covid-19, ma femme peignait, j’écrivais, on lisait. Cela m’a apporté du calme. Le problème était de pouvoir me rendre dans des endroits tranquilles où l’on se sent bien. La période actuelle est difficile à accepter pour la plupart des gens. Notre société (allemande) n’avait pas connu de grands chocs depuis la guerre. Devoir porter un masque au quotidien est difficile à accepter, on est habitué aux libertés individuelles et il y a beaucoup de libertaires. Par ailleurs, vendre de la poésie n’est pas facile. Je me suis demandé si le coronavirus allait peut-être inciter les gens à lire davantage et donc à acheter davantage mes poèmes ! (Rires)
Avant le coronavirus, j’avais écrit un poème, le dernier figurant dans mon 3e recueil, traitant de mort imminente et de l'existence d'autres mondes meilleurs. Rêve ou réalité?
Pouvez-vous développer cette idée de « nouveau monde » ?
L’idée d’un nouveau monde, c’est ce que décrit un peut tout mon recueil. Je veux parler d’un autre monde, un monde meilleur. Je veux parler de l’importance de l’art dans le monde. L’art c’est un sentiment. L’art s’arrête au moment où l’on ne ressent plus rien. J’essaie dans mes recueils d’écrire sur des thèmes différents pour que chacun retrouve ce qu’il aime, ce qui lui fait ressentir des émotions.
Vous présentez votre ouvrage lors de la soirée lecture organisée par l’Union des Français de l’Etranger (UFE) pour ses membres le 17 septembre. Est-ce important pour vous ? Que pensez-vous de la relation entre le poète et son lecteur ?
Il y a certains poèmes que je ne vais pas lire parce que je n’y arrive pas. Ils me restent à la gorge lorsque je les lis à haute voix. Ecrire sur certains thèmes j’y arrive mais lire c’est différent. J’ai choisi des poèmes que je lis facilement et qui me plaisent. J’aimerais aussi que les gens partagent les émotions que j’ai ressenties. On sent leurs émotions aux questions qu’ils posent. Les thèmes sur lesquels j’écris sont des thèmes éternels qui touchent tout le monde : l’enfance, l’espérance, la beauté, la mort, la misère, les cafés. L’important ce n’est pas tellement de lire ce que j’ai écrit mais de transmettre les émotions que j’ai ressenties. L’important n’est pas de vendre mais de partager du plaisir. La lecture est un plaisir partagé.
(Photos © Juliana Bitton pour Lepetitjournal.com Allemagne)
« A la terrasse du rêve » aux éditions Amalthée