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Rencontre avec François Delattre, Ambassadeur de France en Allemagne

Nous avons rencontré François Delattre, Ambassadeur de France en Allemagne en poste depuis deux ans. Parmi les sujets abordés, l’enjeu de la modernisation de la relation entre nos deux pays pour l’Europe de demain, l’évolution de nos relations économiques de part et d’autre de la frontière, le devoir de mémoire à la veille des 35 ans de la chute du Mur de Berlin, l’enseignement du français en Allemagne ou encore le sport !

Francois Delattre Ambassade de France en AllemagneFrancois Delattre Ambassade de France en Allemagne
Francois Delattre © Ambassade de France en Allemagne
Écrit par Emma Granier
Publié le 25 septembre 2024, mis à jour le 8 octobre 2024

Quels sont aujourd’hui les principaux enjeux de votre poste d’Ambassadeur en Allemagne ?

Il n'y a pas deux Etats dans le monde avec une relation aussi proche et dense que l’Allemagne et la France ; au-delà de leur propre relation, nos pays ont une responsabilité particulière pour l’Union européenne, dont ils sont le moteur ; le tout dans un contexte où nos deux pays, et l’Europe plus largement, doivent affronter des défis géopolitiques, économiques et technologiques à bien des égards sans précédent : voici le cadre, aussi stimulant qu’exigeant, dans lequel s’inscrivent mon action et celle de l’Ambassade de France en Allemagne.  

Dans ce contexte, l’un des enjeux est de moderniser et de dynamiser les instances de la relation franco-allemande qui se sont multipliées, sans nécessairement une grande cohérence d’ensemble, depuis les années 1960. Nous avançons dans la bonne direction. Je vous en donnerai trois exemples. Plus d’agilité : c’est le sens des séminaires gouvernementaux que nous avons mis en place depuis un an et qui permettent des discussions beaucoup plus interactives entre nos deux gouvernements, sur des thématiques choisies et avec un nombre limité de ministres, par opposition aux traditionnels sommets bilatéraux qui étaient devenus trop lourds et trop bureaucratiques. Plus de démocratie : c’est l’objet de l’Assemblée parlementaire franco-allemande, structure unique au monde qui réunit des parlementaires des deux pays et qui connait une forte dynamique. Plus de contacts au niveau des sociétés civiles française et allemande : c’est la vocation du Fonds citoyen issu du Traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle de 2019, qui est un formidable succès et qui promeut les partenariats 2.0 entre les acteurs de la société civile dans des domaines comme le climat, la biodiversité ou encore la « smart city ».  

 

 

Un deuxième enjeu de notre action est de trouver des compromis entre des points de départ souvent différents de nos deux pays, compromis qui nous permettent ensuite de mobiliser nos partenaires européens. Je vous en donne deux exemples. Sur l’énergie, la France et l’Allemagne ont su surmonter leurs différences bien connues, envers l’énergie nucléaire notamment, pour avancer ensemble au service d’une Europe de l’énergie, même si le chemin est encore long. Sur les enjeux de compétitivité, nos deux pays ont aussi beaucoup rapproché leurs positions, comme l’illustre la déclaration franco-allemande de Meseberg de fin mai pour promouvoir une politique industrielle et d’innovation ambitieuse et accélérer la réalisation de l’union des marchés de capitaux – il s’agit de permettre à l’Europe de financer la double transition écologique et numérique qui est le grand défi de notre génération.  

D’autres exemples de projets que nous avons lancés au cours des deux dernières années : « l’initiative France-Allemagne de l’Est » pour donner un nouvel élan à notre partenariat avec les « nouveaux Länder » tous domaines confondus - la relation entre la Saxe et l’Occitanie est l’une des plus dynamiques dans ce cadre ; et le programme « Jeunes talents – Génération Europe » qui permet de faire se rencontrer chaque année vingt-quatre jeunes issus des deux pays lors de trois séminaires au cours de l’année. Cela crée au fur et à mesure un réseau qui a une valeur énorme : on crée une sorte d’écosystème franco-allemand de jeunes qui vont ensuite évoluer ensemble. 

Le troisième enjeu de notre action, c’est d’ouvrir un nouveau chapitre dans la relation franco-allemande. Après le chapitre de la réconciliation entre nos deux pays, ouvert dans les années 60 par de Gaulle et Adenauer, le moment est venu en effet d’aller plus loin et, au-delà d’une réconciliation largement réalisée aujourd’hui, de définir un agenda commun franco-allemand sur la souveraineté européenne et sur les grandes révolutions technologiques en cours – la révolution numérique, celle des sciences de la vie, et la révolution écologique et digitale. C’est pour moi une priorité centrale, qui se traduit en un engagement quotidien pour, par exemple, faire converger les efforts de recherche des deux pays sur le quantique, rapprocher nos écosystèmes d’innovation, sur l’intelligence artificielle notamment, ou encore promouvoir les partenariats industriels en ce domaine. 

La communauté française en Allemagne est un magnifique partenaire pour avancer en ce sens, à travers par exemple la French Tech, les Conseillers du Commerce extérieur, la Chambre de commerce franco-allemande ou encore les différents clubs d’affaires - à l’image de celui que nous venons de lancer à Leipzig. 

 

Un ambassadeur, c'est un peu un chef d'orchestre, c'est une main bienveillante, une machine à positiver.

 

C'est quelqu'un qui doit rassembler des forces existantes (économiques, culturelles, etc.) et faire en sorte qu'elles convergent non pas de manière artificielle, mais dans leur propre intérêt, pour une vraie dynamique durable. Et c'est ce qu'on fait avec l'initiative France - Allemagne de l'Est par exemple. 



 

L’année 2024 a été marquée par le sport entre l’EURO de football en Allemagne et les Jeux Olympiques à Paris. Quelle est l’importance du sport dans la relation franco-allemande ?

On ne soulignera jamais assez l’importance du sport pour unir les pays et, au-delà, les peuples. C’est plus vrai encore pour les deux grandes nations sportives que sont la France et l’Allemagne.  
C’est dans cet esprit très novateur qu’a été lancé l’été franco-allemand du sport lors de la visite d’Etat du Président Macron en Allemagne en mai dernier. Notre président et son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier ont lancé ensemble le début des festivités devant la porte de Brandebourg – juste devant l’ambassade. 

 

 

Pour créer un lien concret entre l’Euro de football en Allemagne et les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris, nous sommes passés entre autres par le tissu des fédérations sportives mais aussi des associations qui promeuvent l’intégration par le sport – à laquelle je crois beaucoup. Les actions lancées ont bien fonctionné et j’espère qu’elles se renouvelleront dans le futur.

Donc oui, la relation franco-allemande dans le sport a du sens. Alors j'espère que cet été franco-allemand du sport qui a eu lieu sur une période limitée de quelques mois produira des petits, créera des partenariats entre les fédérations sportives et le monde associatif plus largement. Nous continuerons à travailler en ce sens avec l’équipe de l’ambassade.

 

Nous commémorerons bientôt les 35 ans de la chute du mur, en quoi ces célébrations trouvent-elles encore aujourd’hui une résonance dans les relations franco-allemandes ? Pensez-vous que cette page de l’histoire touche encore les plus jeunes générations ?

L’anniversaire de la chute du mur me parle d’autant plus que j’étais en poste à Bonn en tant que jeune diplomate pendant la réunification. Je l’ai vécue avec mes amis allemands. J’ai fait plusieurs fois le trajet de Bonn à Berlin et j’ai pleuré de joie avec eux. Ce sont des souvenirs qui marquent. Le 35ème anniversaire de la chute du mur sera une nouvelle occasion de rassembler la France et l’Allemagne autour de notre vision partagée d’une Europe unie et des valeurs qui font de nous ce que nous sommes en tant qu’Européens. 

Plus largement, on ne soulignera jamais assez l’importance du devoir de mémoire – en soi et pour l’amitié franco-allemande. C’est pour moi une priorité éthique et politique, j’allais dire un devoir sacré. Nous organisons très régulièrement à l’ambassade des rencontres entre survivants de l’Holocauste et jeunes générations, à travers des groupes d’élèves et d’étudiants. Ce sont toujours des moments extrêmement forts et émouvants. Ces rencontres sont d’ailleurs enregistrées et archivées pour pouvoir servir aussi les générations futures. Je suis toujours impressionné par la manière dont tous ces élèves se préparent à ces échanges.

A titre personnel, mon grand-oncle André Boulloche, héros de la Résistance et survivant de plusieurs camps de concentration, est devenu après la guerre l’une des personnalités françaises les plus engagées pour l’amitié franco-allemande, comme haut fonctionnaire, Maire de Montbéliard et Ministre sous de Gaulle. Il est pour moi une source d’inspiration quotidienne. 

 

L’Allemagne et la France sont des partenaires commerciaux historiques. Qu’en est-il aujourd’hui, au regard des crises en Europe et au-delà de ses frontières ?

C’est un sujet sur lequel je suis optimiste. Il y a trois prismes pour regarder la relation économique franco-allemande. Le commerce d’import-export et les investissements croisés sont les deux premiers. Aujourd'hui, l'Allemagne est notre premier partenaire sur ces deux plans. A titre d’exemple, les filiales d’entreprises françaises en Allemagne soutiennent pratiquement 500 000 emplois ; à l'inverse, l'Allemagne est le premier investisseur européen – et l’un des tout premiers investisseurs mondiaux - en France. Nous avons organisé il y a quelques jours un événement « Choose France » à l’ambassade – le premier de ce type hors de France - qui a montré le fort intérêt des entreprises allemandes à développer leurs investissements dans notre pays. 

Au-delà du commerce bilatéral et de l’investissement croisé, la France et l’Allemagne sont à travers leurs entreprises de véritables partenaires à tous les niveaux de la chaîne de valeur : c’est le troisième prisme, qui montre un fort niveau d’intégration entre nos deux économies. Par exemple, Air Liquide développe avec Siemens Energie un partenariat sur les électrolyseurs. On ne parle plus simplement de commerce ou d’investissements, mais bien de projets communs. Pour développer une certaine technologie, on raisonne d’emblée en franco-allemand. 

Il y a beaucoup d’autres exemples de joint ventures entre nos deux pays comme la coentreprise EURA créée par Safran et MTU Aero Engines pour produire les moteurs de la prochaine génération d’hélicoptères. Je prends ces exemples parce qu’ils sont révélateurs du fait que la relation franco-allemande, y compris au niveau économique, repose de plus en plus sur de vrais partenariats dans la durée.

 

A mon sens, l'avenir du franco-allemand dépendra largement du fait de savoir si nous arriverons à conjuguer nos efforts sur les révolutions en cours, technologique, digitale, des sciences de la vie, écologique évidemment.


Cela concerne également les patrons du Mittelstand, qui sont de plus en plus nombreux à nous contacter pour des partenariats avec la France. Pour beaucoup d’entre eux, nous sommes le partenaire de référence avec lequel s’associer pour faire face à une compétition internationale de plus en plus féroce. Nous ne sommes donc plus l’un pour l’autre simplement le voisin ou le compétiteur, mais le partenaire de référence et de confiance. Il y a une prise de conscience à tous les niveaux économiques que la relation entre nos deux pays est le socle de l'Europe, vital pour la pérennité des entreprises.

A mon sens, l'avenir du franco-allemand dépendra largement du fait de savoir si nous arriverons à conjuguer nos efforts sur les révolutions en cours, technologique, digitale, des sciences de la vie, écologique évidemment. Si oui, nous avons alors un formidable relais de croissance et un motif pour impliquer nos jeunes, y compris les jeunes de la tech, dans des partenariats porteurs. Si non, que signifierait le franco-allemand s’il n’était porteur d’aucun message, d’aucune approche commune sur des révolutions technologiques qui vont remodeler la hiérarchie de la puissance à l’échelle internationale, modifier de fond en comble nos économies et bouleverser nos vies ? 

Il s’agit au fond de faire aujourd’hui avec ces révolutions technologiques ce que nous avons fait dans les années 50, à partir de la vision de Jean Monnet, avec le charbon et l’acier en créant des cercles de coopération qui vont drainer les investissements. Et cela permettra d’ouvrir un nouveau chapitre dans la relation franco-allemande. Après celui de la réconciliation, on passe au chapitre de la convergence franco-allemande pour que l'Europe puisse asseoir sa souveraineté, défendre ses intérêts et porter son message et ses valeurs dans le monde de demain
 

 

Un autre aspect de l’amitié franco-allemande passe par l’apprentissage de la langue du partenaire. En quoi est-ce important de garder cette francophonie vivante en Allemagne ?

L'enseignement du français en Allemagne, et de l'allemand en France, est un vrai combat qu’il faut mener main dans la main avec l’ensemble des acteurs concernés. Les courbes des dernières années ne sont pas très bonnes, surtout pour l'enseignement de l’allemand en France. Je pense cependant qu'on a les moyens de rétablir la situation et même, j’en suis convaincu, de recréer une dynamique positive. Il y a des trésors de francophonie et de francophilie en Allemagne.

 

 

Un accord franco-allemand a été signé en novembre 2022 entre Hendrik Wüst à l’époque ministre plénipotentiaire pour les affaires culturelles franco-allemandes et Pap N’Diaye, alors ministre de l’éducation en France. Cet accord sur l'enseignement des langues de part et d'autre exprime une vraie volonté politique partagée et nous donne des outils pour relancer cette dynamique. 

Nous nous réjouissons que dans cette stratégie soit évoquée l’idée de rendre obligatoire l’apprentissage d’une deuxième langue vivante jusqu’à l’Abitur. Notre travail est de faire en sorte que cette intention se concrétise. C’est un message que je porte lors de mes différents déplacements en Allemagne. Et à chaque fois, le français arrive en tête devant le latin et l’espagnol.

La mise en place du DELF intégré est également une formidable incitation pour apprendre le français. Nous espérons pérenniser ce dispositif et l’étendre à l’ensemble des Länder.

Le combat pour le français se gagne au niveau fédéral, mais aussi Land par Land et établissement par établissement. Il est appuyé par tout un écosystème et porté par les enseignants de français, auxquels je veux rendre un hommage particulier.  Donc on n’a pas le droit d’abandonner ce combat là et je pense même qu’on peut le gagner. C’est une priorité de premier plan pour l’ambassade et pour moi.

 

 

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