Au fond d’un bar à l’ambiance feutrée, la scène du Baguette Comedy Club accueille des nouveaux talents ou des habitués, de l’humour piquant ou plus poétique le temps d’une soirée… 2 fois par mois.
Rendez-vous dans l’arrière-salle du Dériva
Les trois lettres noires se découpent sur le rétroéclairage blanc d’un panneau accroché à la façade du Dériva, « BAR ». Une enfilade de lumières rouges tamise l’ambiance autour des quelques tables de bois disposées sur le trottoir. La rumeur des conversations françaises monte à mesure que l’on s’approche de l’enseigne, on est à bon port.
L’intérieur baigne dans la même atmosphère de couleurs chaudes et de boiseries surannées. Des clients s’appuient du coude au bar qui repose quant à lui sur un mur de pierres blanches apparentes. De vieilles ardoises portent des noms de boissons inscrits à la craie, comme pour respecter le temps auquel semble appartenir le lieu. La tuyauterie argentée lézarde le plafond façon loft, et relie par le haut les tables éclairées à la bougie. Sur la droite, une mince étagère menace de s’effondrer sous une avalanche de livres jetés au hasard. Le visiteur se prend pour Gil rejoignant Hemingway dans un deuxième opus que serait « Midnight in Berlin ».
Mélida, humoriste et community manager du Baguette Comedy Club me fait signe de rejoindre le fond de la salle, le spectacle se tient dans l’arrière-boutique du bar. Son large sourire traverse l’encadrement de la porte, posé contre des fenêtres dont la poussière filtre les rais jaunis des ampoules. En vérifiant mon pass sanitaire, formalité nécessaire, elle m’explique le fonctionnement de l’institution, « on joue ici tous les 15 jours, le mardi et/ou le samedi. Le mardi, c’est plutôt pour les open-mics donc les gens qui viennent faire un premier sketch, et le samedi en général c’est réservé aux plus confirmés ». Dans la pièce, des chaises sont disposées en petites rangées face à une estrade de parquet. Sur la gauche, un canapé rouge jouxte le banc des artistes qui se relaient sur scène. Sur le mur de fond, une étagère vitrée du même âge que le reste des meubles porte un globe terrestre et des vieux livres. Une malle sur la droite des planches soutient un baffle relié au micro sur pied qui attend les premières blagues.
Première moitié de Baguette
Les spectateurs remplissent progressivement la petite arrière-salle, délaissant le premier rang comme par vieille habitude écolière. Linda, membre de l’organisation du Comedy Club, tend un carton de pizza : « Tous ceux qui viennent remplir les premières chaises, c’est une part offerte. » L’effet n’est pas immédiat mais connaît un relatif succès couplé au fait que les sièges commencent à manquer dans le fond.
« Fermeture des portes ! » Les bribes de conversations lancées entre deux gorgeons de bière s’évanouissent progressivement. Céline, une autre pensionnaire et membre de l’organisation du Baguette, comme elle l’appelle, est chargée d’installer l’atmosphère rigolarde. « Pourquoi t’es en retard ? » lance-t-elle à une jeune fille qui joue des coudes pour s’approcher du devant de la scène. « Ah oui, mais doudoune rouge et en retard, il fallait t’y prendre autrement mais là je ne vais pas te louper ». Un dernier groupe pénètre dans la salle sous les invectives de Céline qui n’en perd pas une miette. Manque de place, manque d’envie pour une autre solution qui serait de toute manière moins conviviale : deux retardataires sont installés directement sur la scène.
« Règle numéro 1 du Baguette : on sort son portable et on s’abonne à la page Instagram du Baguette Comedy Club. On vérifie que ça monte en direct, vous êtes 50…
Règle numéro 2 : on ferme sa gueule, sauf pour rire bien sûr, mais ceux qui pensent être des humoristes en herbe, venez le mardi c’est open-mic !
Règle numéro 3 : on rigole !! »
Céline rayonne, sourire aux lèvres, en improvisation, le corps secoué par l’excitation de retrouver un public : « Je suis presque émue ! Il y a tellement de monde ce soir. Ça a été très dur pour nous pendant toute cette période, ça fait un an et demi qu’on joue dans des salles à moitié remplies. Et ce soir on est complet, complet, complet pour la première fois. On est presque 50 ce soir je crois ! » Céline joue avec le public, s’amuse de lui et avec lui dans un humour frais et piquant pour un mélange grisant. L’auditoire bien chauffé, elle lance la soirée.
Max monte sur scène, le trac noué en boule dans les premières paroles. « Ça fait très longtemps que je n’ai pas joué devant une salle aussi pleine, c’est un peu stressant » dit-il un sourire timide au coin des lèvres. Les rires poussent Max à se relâcher et les cinq minutes accordées filent pour lui comme pour les rieurs. Ses cheveux longs, couverts par un béret de feutrine, laissent place à ceux grisonnants du suivant, Richard. Écharpe de l’Équipe de France autour du cou pour montrer patte blanche, il dépeint sa vie de franco-américain en France, la barrière de l’argot et des histoires de cœurs abandonnées avant d’avoir existées. Linda prend le relais dans un style plus détendu, l’habitude sûrement. L’énergie qu’elle dégage sur scène enveloppe la salle qui lui rend tout ou partie en rires. Céline, dont les improvisations séparent chaque passage, annonce l’entracte.
Open-mics, chapeau et discussions
Les dix minutes de pause sont dépensées en cigarettes, verres de vin ou de bière et discussions sur la première partie. J’ai juste le temps de discuter avec Céline du Comedy Club, sa construction il y a deux ans, ses ambitions pour l’avenir avec des guests notamment le mardi suivant, que déjà, il est l’heure de retourner rire.
De peur que le froid ait engourdi son public, Céline ne manque pas de le relancer à coups de blagues percutantes et d’interactions avec la source d’inspiration inépuisable que représente une telle quantité de personnages. Elle invite alors l’open-mic de la soirée, Anne-Sophie, à monter sur scène. Première scène, pour elle et son enfant, encore logé dans son ventre gonflé. Elle déborde d’énergie, sa voix ne tremble pas, et malgré un texte raccourci à la dernière minute pour tenir le temps imparti, les blagues sont justes et font mouche. Elle sort sous un tonnerre d’applaudissements qui félicite son assurance pour une première scène autant que sa performance humoristique. C’est ensuite au tour d’Henri Le Duck, pour qui ce n’est pas le premier passage. Le jeune homme s’installe sur une chaise et déroule son texte, parfaitement écrit, avec la verve que lui confère son titre. Succès immédiat, rires en pagaille. Mélida clôture la soirée dans un sketch illuminé par sa bonne humeur sur ses histoires personnelles comme un somnambulisme bien particulier.
Le dernier passage de Céline sonne le glas de cette soirée hors du temps. Elle insiste une dernière fois sur l’importance du chapeau. L’entrée du Baguette Comedy Club est gratuite et les comédiens ne se rémunèrent que par le biais des dons des spectateurs au chapeau. Mélida, postée à la sortie de la salle, récolte la recette dans une coupe argentée. Si les sketchs s’arrêtent, les échanges entre humoristes et public n’en restent pas là. Dans le bar, sur le trottoir autour des tables, tout ce monde qui a existé ensemble le temps d’un spectacle se retrouve, bavarde, rit encore. Les membres du Baguette Comedy Club se mêlent à cette joyeuse troupe pour échanger, raconter, rire encore.
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