Avec la guerre en Ukraine, accueillir chez soi des réfugiés est un bon moyen d’aider concrètement. Anne, Philippine et Ariane, trois françaises installées à Berlin, ont accueilli des réfugiés chez elles, elles nous expliquent cette expérience de cohabitation.
L’Allemagne est l’un des pays où les institutions et les citoyens se sont largement mobilisés pour accueillir le flux des réfugiés ukrainiens. En mars, on comptait plus de 230 000 réfugiés sur le territoire allemand. Face à la situation dramatique dans laquelle se retrouvent les familles ukrainiennes, des citoyens se sont décidés à aider en les accueillant chez eux. Si ce geste est à féliciter, il est important de rappeler que c’est un engagement qu’il ne faut pas prendre à la légère. La cohabitation n’est pas toujours une affaire facile, il faut donc s’y préparer. Nous sommes allés à la rencontre de trois françaises de Berlin, Ariane, Anne et Philippine, qui ont ouvert leur porte à des réfugiés. Elles nous partagent leurs expériences et leurs conseils.
Une nécessité à agir
Pour toutes, la guerre en Ukraine a été un choc et un déclic qui les a motivées à « faire quelque chose » pour aider. Très vite, accueillir des réfugiés dans le besoin semble être une des choses concrètes à faire. Anne et sa compagne ont décidé de recevoir une maman et son fils pendant une semaine, le temps qu’ils trouvent un logement sur le long terme. Ariane et ses trois autres colocataires ont accueilli en mars Sunny, un étudiant nigérian venu en Ukraine pour ses études. Enfin Philippine et son compagnon Bruno ont hébergé Alina pour deux mois. Peu importe la durée de l’accueil, il a fallu penser à la cohabitation et à sa logistique afin d’accueillir dans de bonnes conditions. Elles nous expliquent.
Une organisation à prévoir
Pour Philippine et Anne, une chambre libre dans leur appartement leur a permis d’accueillir les réfugiés dans des conditions plus simples. Philippine nous explique qu’avec cette chambre supplémentaire, elle pouvait recevoir une personne chez elle, tout en lui permettant d’avoir son intimité. « Je me dis : cette chambre c’est son seul endroit à elle » m’explique-t-elle. Dans la colocation d’Ariane, c’est le salon qui a été transformé en chambre à l’aide d’un drap qui sépare la pièce. Un système moins pratique, notamment lorsque la bande souhaite inviter du monde. Néanmoins, elle m’assure qu’avec de la communication, cela fonctionne plutôt bien et que personne n’a été dérangé.
Justement, « communiquer » est l’un des conseils que toutes les interviewées m’ont donné. Dans un premier temps, Ariane m’explique qu’en colocation, il est fondamental d'échanger sur les termes de l’accueil. « On avait pas trop discuté au début de combien de temps on accueillerait et à quelle fréquence. Je voulais un peu cadrer les choses, mais je sentais que mes questions étaient mal venues, je passais pour la fille hyper fermée, limite xénophobe ! » me dit-elle en riant. Elle m’assure que pour que cela se passe bien, il faut être d’accord sur un certain nombre de principes. « Avec une nouvelle personne à la maison, il faut avoir une excellente communication » déclare-t-elle. Se comprendre peut parfois être compliqué de par la barrière de la langue mais il est nécessaire de bien discuter avec le nouveau résident des règles de la maison. « Ils ne parlaient pas très bien anglais, donc ça a été très difficile de se comprendre. On prenait du temps pour chercher des mots sur internet, parler avec des signes de main, etc. » me dit Anne. « Dans tous les cas, ils étaient hyper ouverts pour discuter et ne surtout pas déranger » ajoute-t-elle.
Toutes nous expliquent avoir fait face à des personnes très respectueuses de leur organisation et de leur logement. « Presque trop » me dit Anne, « ils étaient extrêmement reconnaissants, disaient merci pour la moindre chose, ne voulaient pas nous prendre à manger… Ça nous mettait un peu mal à l’aise ». Un comportement que l’on retrouve chez Alina, la jeune femme qui vit chez Philippine, qui allait aussi tous les jours chercher de la nourriture donnée par les associations à la gare pour ne pas prendre sur les réserves de ses hôtes, malgré de nombreuses invitations à le faire. « J’imagine qu’elle ne veut pas se sentir de trop ou trop redevable, et qu’elle veut faire le maximum elle-même. On ne la bouscule pas » m’explique Philippine. Chacun prend à cœur de respecter les limites de l’autre.
Des coûts à anticiper
Outre la communication, il est important d’anticiper les « coûts » que l’accueil de personnes déracinées et sans moyens peut générer afin de mieux les gérer.
Le premier coût à noter est financier. Selon Ariane, c’est d’abord la gestion des dépenses pour les courses qui a fait débat. L’étudiant nigérian n’a pas le même régime alimentaire que le reste de la colocation, plutôt végétarienne. « Sunny ne mange pas la même chose. Il achète sa nourriture dans des magasins africains, ce qui est un peu plus cher » m’a-t-elle expliqué. Elle ajoute que le budget a fini par s’équilibrer. Ces différences culturelles en termes de nourriture peuvent donner lieu à des incompréhensions. Le régime végétarien d’Anne ou de la colocataire d’Ariane s’est parfois heurté aux recettes de viande ou de tripes de leurs nouveaux résidents… Seule Philippine n’a pas vu de différences dans ses dépenses, la chambre d’ami n’étant jamais louée et ayant l’habitude de loger régulièrement des amis.
Le second coût à prendre en compte est celui du temps. Philippine a pris une journée entière pour aider Alina à trouver un logement, Anne a fait du télétravail lorsque la maman qu’elle accueillait est tombée malade et qu’il a fallu lui trouver un médecin qui parle russe ou ukrainien, tandis que le colocataire d’Ariane s’est déplacé plusieurs fois pour aider Sunny à faire ses démarches administratives. Si ces accompagnements demandent de faire de la place dans son emploi du temps, c’est surtout le coût émotionnel qu’il engendre qui a marqué Anne. « Émotionnellement, tout a pris beaucoup de poids » me confie-t-elle. « Quand Berlin a appelé à accueillir des réfugiés, ils auraient pu mettre à disposition des ressources pour l’accueil de personnes traumatisées » dénonce-t-elle. Elle s’est sentie démunie et mal préparée à gérer ces traumatismes, bien qu’elle dise être « assez éduquée sur les questions d’accompagnement émotionnel ». Elle raconte qu’un soir, le jeune homme qu’elle a accueilli avec sa maman, s’est effondré en regardant des photos de son quartier, rasé par les bombes. « Et là qu’est-ce que je lui dis ? Qu’est-ce que je fais? » m’interroge-telle.
Pour Philippine, bien qu’Alina n'a pas montré de signes évidents de traumatisme, elle a dû trouver un équilibre pour ne pas trop être investie émotionnellement. Se sentant très responsable de la personne accueillie, elle m’explique : « C’est mon copain qui me dit ‘ce n’est pas ta fille’, et c’est vrai, je le sais. Il faut que je fasse ce que je peux faire et que je me résigne pour ce que je ne peux pas. Mais bon ce n’est pas simple. » Philippine a mis une date limite à leur cohabitation de 2 mois, d’abord en raison d’une visite d’amis, mais aussi pour trouver une solution plus profitable et durable pour Alina comme pour elle.
Philippine comme Anne se sentent toutes les deux très responsables des personnes qu’elles ont accueillies, un sentiment naturel mais qui ne doit pas être poussé à son extrême, rendant l’hôte trop investi et affecté. Accueillir des réfugiés doit néanmoins rester un engagement pris au sérieux. Selon L’Express, les associations ainsi que des représentants politiques ont dénoncé le comportement de familles qui ne respectaient pas leurs promesses d’accueil, renvoyant les réfugiés avant la date prévue. Si pour nos trois interrogées, tout s’est bien passé, Anne rappelle qu’il « ne faut pas se poser la question de savoir si on va retirer quelque chose de cette expérience, on ne fait pas ça pour nous ». Elle ajoute « il y a plein de façons d’aider, il ne faut pas accueillir si on ne le peut pas. »
Loger quelqu’un dans le besoin, qu’il soit réfugié ukrainien ou non, demande une certaine préparation et anticipation pour que cela soit fait dans de bonnes conditions.
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