Édition internationale

Vera Mercer, la photographe qui met la vie en scène

Du 20 septembre 2025 au 11 janvier 2026, la Zitadelle Spandau accueille l'exposition Life in Focus de Vera Mercer. Cette photographe suisse-américaine, née en 1936 à Berlin avant de s'installer à Paris puis à Omaha, a adopté la photographie comme moyen d'illustrer le processus tumultueux de la vie.

Portraits of Vera Mercer © Gerhard KassnerPortraits of Vera Mercer © Gerhard Kassner
Écrit par Rebecca Sevieri
Publié le 10 octobre 2025, mis à jour le 11 octobre 2025

Un art qui traverse le temps

La Zitadelle est le lieu idéal pour accueillir tout ce que symbolise l'art de Vera Mercer. Forteresse Renaissance préservée, aujourd'hui transformée en centre multiculturel, elle a résisté et s'est adaptée à l'intensité du temps. De la même manière, l'art de Mercer évolue, passant de portraits dynamiques et spontanés d'inconnus et de stars à la décadence dans l'absence de vie des natures mortes. Après le vernissage de son exposition, Gerhard Kassner, photographe portraitiste, ami de Vera et collaborateur dans la création de l'exposition, a dévoilé ce qui se cache derrière son art, sous les projecteurs de la scène de sa vie.

« Je crache tout, toute une vie ». Dans son studio berlinois, Kassner a raconté l'histoire de Vera Mercer, en variant le point de vue sur la vie de l’artiste, à l’image des innombrables objectifs qui l'entouraient. Toute une vie se dévoilait à travers ses mots, à travers le catalogue Life in Focus posé devant nous, à travers la pièce dans laquelle nous étions assis, dans le brouhaha plus large de la ville de Berlin. Tout, vivant. 

Consommer et être consommé. Tel est le message de l'exposition; la vie dans la photographie à la fois comme une capture fugace et un silence enduré. Émouvante mais immobile, intime mais distante, l'exposition de Mercer « a servi de rétrospective, mais pas de chapitre final » à sa vie. Life in Focus vous emmène dans le voyage insatiable qu'est la vie. De l'appétit à la déchéance, puis à nouveau à l'appétit.
 

La scène de la vie
 

Robert Filliou © 2025-09 Pressefotos Vera Mercer


Pour quelqu'un comme Vera Mercer, qui a grandi dans une Allemagne d'après-guerre marquée par la pénurie, les traumatismes et les ombres de l'histoire récente, Paris offrait un contraste saisissant. Proche mais si différente sur le plan idéologique, cosmopolite mais ouverte, Paris était considérée comme un rond-point des arts et des idées. Avec la popularité croissante de la « bohème » française et ses notes de liberté créative et d'indépendance, cette vocation artistique s'est concrétisée par la poursuite d'un avenir dans le théâtre. 

Après avoir déménagé en 1959, Vera Mercer allait rapidement transformer un sentiment d'isolement solitaire en une posture photographique d'observation. Au cœur du climat intellectuel existentialiste qui caractérisait le Paris des années 60, au milieu des Nouveaux Réalistes — un collectif d'artistes qui considéraient les matières premières telles que les déchets et la nourriture comme une « nouvelle façon de percevoir le réel », Vera Mercer se lance dans cette forme de documentation authentique, brute et parfois inconfortable. 

Finalement, elle a adopté la nourriture comme sujet de son art, représentation parfaite des subtilités communes de la vie. La nourriture est intime mais universelle. Tout le monde mange, mais manger nous expose physiquement et socialement. Tout le monde vit, et pourtant, le malaise universel de la vie cherche toujours à être caché.
 

Untitled © 2025-09 Pressefotos Vera Mercer


À travers les photos prises à Paris, où l'on voit des gens manger dans des cafés, Mercer a su capturer à la fois le rituel social et l'absurdité de l'appétit humain. Dès ses premières photos, prises au marché couvert des Halles, également connu sous le nom de « ventre de Paris », les carcasses, la peau et, plus largement, la nourriture dans sa forme la plus élémentaire, ont fait tomber le masque des convenances sociales pour révéler la vie dans son état animal le plus maladroit et le plus vulnérable. 
 

 Samuel Beckett © 2025-09 Pressefotos Vera Mercer


Même ses portraits de célébrités telles que Andy Warhol et Samuel Beckett ont été pris dans une forme intime, assis autour d'une table ou pris au milieu d'une interview ou d'une conversation.
 

Daniel Spoerri et Marcel Duchamp © 2025-09 Pressefotos Vera Mercer



C'est son sens du moment, son observation en marge d'une scène privée qui a rendu réel et honnête le cadre formel d'une interview comme celle ci-dessus entre Daniel Spoerri et Marcel Duchamp. Ses reportages photo sont emblématiques de cette dynamique, une vision rafraîchissante du concept de la vie comme une consommation perpétuelle plutôt que statique. 

Au fil des ans, la fréquence de la nourriture comme sujet principal de ses photos a augmenté, en corrélation avec l'ouverture de son restaurant en 1991. Après avoir déménagé à Omaha, elle a travaillé à la restauration du Old Market Passageway de la ville, en y installant un mélange entre bar à vin, épicerie et restaurant gastronomique appelé La Buvette. Ici, la scène de la nourriture est devenue la scène de la vie.

Des photos prises à mi-bouchée pour représenter la vie en mouvement dans le Paris des années 60, Mercer est passée à une sélection de photos à travers la composition. Entourée d'excellence culinaire au sens propre comme au figuré, elle a commencé en 2005 les pièces maîtresses de son exposition à Spandau : ses natures mortes. 

 

De la faim à la fin, puis à la faim encore

Ses natures mortes émanent la décomposition, la mort et la préservation, à l'image de l'incendie qui, en 2016, a réduit la maison de l’artiste à Omaha en ruines et ses photos archivées en cendres.

Cependant, la dégradation ne signifie pas la fin. C'est précisément en frôlant cette fin artistique définitive, la perte tragique qu'aurait représentée la destruction de toutes ses photos dans l'incendie, qu'elle s'est transformée. À partir du début des années 2000, elle a commencé à expérimenter des formats plus grands, avec plus de couleurs. En collaborant avec d'autres artistes tels que Kassner, elle a allumé un autre feu.


The Crab © 2025-09 Pressefotos Vera Mercer


En parcourant le catalogue de l'exposition, Kassner a souligné Daniel Spoerri, Vienne 2013 : « [il] semble tellement achevé... il est décédé l'année dernière... [Vera] est franche sur beaucoup de choses, elle est très directe et sincère ». 

Ancien membre des Nouveaux Réalistes, Spoerri était un homme qui avait traversé beaucoup d'épreuves dans sa vie. Les traces de cette époque sont amplifiées dans le portrait que Mercer a fait de lui, quelques années avant sa mort. Le mot « achevé » dans la dernière collection de Vera Mercer prend un sens différent. Ou peut-être est-ce la photo elle-même, l'immortalisation d'une vie consumée qui reprend vie à travers la couleur, à travers les arrangements absurdes de petits morceaux d'animaux qui peuplent ses dernières photos. 

Le thème de l'absurde est réintroduit, mais cette fois-ci, non pas pour dévoiler le masque de la performance sociale et exposer le désagréable comme une forme de vérité humaine. Les natures mortes de Mercer embrassent l'inévitabilité de la mortalité et de l'éphémère. En juxtaposant des carcasses mortes à des fleurs épanouies, des bougies allumées à des pétales fanés, elle traite la fugacité et la décomposition comme inhérentes et inévitables, comme faisant partie d'un processus mais jamais comme une fin en soi. 

Selon les mots de Kassner, Mercer regardait ses compositions avec hésitation, puis s'exclamait : « Oh, il manque quelque chose, il me faut un autre poisson ! ».

Rien n'est jamais terminé, il y a toujours de la place pour un poisson de plus.

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