Plusieurs milliers de personnes ont participé samedi à la manifestation la plus importante en Thaïlande depuis le coup d'État de 2014, après que les autorités ont ouvert la voie à une énième dissolution d’un parti d’opposition.
La manifestation qui s’est déroulée à Bangkok à l’appel 24 heures plus tôt du chef du parti Anakot Mai (Nouvel Avenir), Thanathorn Juangroongruangkit, a ravivé les souvenirs des grandes manifestations de masses périodiques qui ont rythmé la vie de la capitale thaïlandaise au cours des deux dernières décennies de turbulences politiques.
Néanmoins, il n'y a pas eu de tentative d’entrave à la manifestation, la plus grande depuis que Prayuth Chan-O-Cha a pris le pouvoir en 2014 sur la promesse de mettre fin à de telles turbulences.
"Ce n'est que le début", a déclaré Thanathorn à une foule enthousiaste qui s'est répandue dans les allées et les escaliers à proximité du centre commercial MBK, au cœur du quartier commerçant de Bangkok.
A 41 ans, le milliardaire est devenu l'adversaire le plus proéminent du gouvernement dirigé par Prayuth Chan-O-Cha, 65 ans, depuis une élection en mars qui, selon l'opposition, a été manipulée pour favoriser l'armée.
Avec l’aide des réseaux sociaux, Thanathorn a fait mouche auprès des jeunes électeurs thaïlandais. Dans le même temps, l'armée a clairement exprimé son aversion pour un mouvement qu'elle accuse d’essayer de monter les jeunes contre la monarchie et les forces armées
La bête noire des partis honnis par l’establishment
La semaine dernière, la commission électorale a demandé à la Cour constitutionnelle de dissoudre le parti Anakot Mai, accusant ce dernier d'avoir enfreint les lois régissant les partis politiques en acceptant des prêts de plusieurs millions de dollars de la part de Thanathorn.
La cour constitutionnelle a déjà dissous près d'une demi-douzaine de partis ces dernières années en commençant par deux partis de l’ancien Premier ministre déchu Thaksin Shinawatra, le Thai Rak Thai en 2007 et le Palang Prachachon en 2008, avant de destituer en 2014 la sœur de ce dernier, Yingluck Shinawatra, de son poste de Premier ministre, quelques jours avant le coup d’Etat mené par Prayuth Chan-O-Cha contre le gouvernement de celle-ci. En mars dernier, a deux semaines des élections tant attendues, la Cour a également dissout le parti Thai Raksa Chart, un important élément du dispositif politique du clan Shinawatra, pour avoir intégré sur ses listes la sœur du roi.
Le mois dernier, la Cour constitutionnelle a retiré à Thanathorn son mandat de député pour avoir détenu des actions dans une société de médias au moment de l'enregistrement de sa candidature aux élections. Thanathorn a contesté la décision.
Dans la foule samedi, se trouvaient des manifestants "chemises rouges", partisans de Thaksin Shinawatra, qui s'étaient affrontés à Bangkok avec les "chemises jaunes" inféodés à l’establishment conservateur gravitant autour du palais et de l'armée.
Nouvelle génération
Mais il y avait des manifestants anti-gouvernement plus jeunes, dont beaucoup ont avoué participer à leur premier rassemblement de protestation.
"Il est temps", a déclaré Pantipa Tiakhome, 30 ans, employée de bureau. "Ils ont tout fait pour empêcher la démocratie de s'épanouir."
"Aujourd'hui est une démonstration de force afin que d'autres nous rejoignent dans l’avenir. Nous sommes ici aujourd'hui en mode test. Prayuth, n’aie pas peur, pas encore. Le mois prochain ce sera pour de vrai", a déclaré Thanathorn lors de la manifestation.
Selon une porte-parole du parti, plus de 10.000 personnes auraient rejoint la manifestation. Les autorités n'ont pas donné d'estimation.
Beaucoup ont fait le fameux salut à trois doigts inspiré du film The Hunger Games et symbolisant la résistance de l'ex junte.
Les opposants au gouvernement prévoient également une "Course contre la dictature" le 12 janvier.
Thanathorn a signé samedi un accord avec six partis d'opposition pour faire pression afin de modifier la Constitution élaborée avant les élections par la junte.
Il a également gagné leur soutien pour la manifestation.
Parmi ces partis se trouve le Pheu Thai, lié à Thaksin Shinawatra, qui vit en exil depuis son éviction en 2006.
Le Pheu Thai a remporté le plus grand nombre de sièges à la chambre basse, mais a adopté une approche plus discrète pour contester le gouvernement que le jeune Anakot Mai, qui s'est classé troisième aux élections.
Le parti Palang Pracharat, le parti pro-militaire formé l'an dernier par des membres du cabinet de la junte, est arrivé deuxième. Prayuth Chan-O-Cha a déclaré vendredi aux journalistes qu'il n'était pas approprié d'organiser une manifestation vers la fin de l'année.