Des manifestations ont eu lieu à Bangkok lundi en réaction à l'enlèvement présumé d'un activiste thaïlandais au Cambodge, relançant le mouvement de protestation contre les élites militaro-royalistes thaïlandaises.
Juste avant que l’épidémie de coronavirus n’amène les autorités à interdire les rassemblements publics en mars, des dizaines de petites manifestations étudiantes avaient eu lieu pendant plusieurs jours dans la capitale et en province, souvent sur des campus universitaires, contre la dissolution du parti d'opposition Anakot Mai (aussi appelé en anglais Future Forward) prononcé par la Cour Constitutionnelle.
Aujourd’hui, la colère monte de nouveau autour de la disparition de Wanchalearm Satsaksit, 37 ans, un activiste peu connu qui a fui la Thaïlande après le coup d'État de 2014.
Wanchalearm a été enlevé jeudi par des inconnus armés à Phnom Penh, la capitale du Cambodge, où il s’était installé pour échapper à des poursuites pénales dans son pays pour avoir critiqué l'ex junte thaïlandaise.
Devant l'ambassade du Cambodge à Bangkok, lundi, plusieurs dizaines de manifestants ont exigé une enquête sur cette disparition et ont accusé l'État thaïlandais d'avoir orchestré son enlèvement, ce que nient la police et le gouvernement thaïlandais.
"Je veux que le gouvernement thaïlandais protège les personnes qui vivent à l'étranger, qu'il s’agisse d’exilés politiques ou non", a lancé Tattep Ruangprapaikitseree, un Thaïlandais venu pour manifester.
Le vice-Premier ministre thaïlandais, Prawit Wongsuwan, a déclaré aux journalistes qu'il n'avait aucune information sur l'affaire mais que la Thaïlande en discuterait avec les autorités cambodgiennes.
"Cette affaire est de leur ressort", a-t-il déclaré.
Le gouvernement et la police du Cambodge n'étaient pas disponibles pour commenter. La semaine dernière, ils avaient dit ne pas être au courant de l'enlèvement.
Pendant le week-end, des affiches disant "disparu" sont apparues dans Bangkok, illustrées de photos de Wanchalearm et d'autres détracteurs des gouvernements militaires ayant disparu au cours des dernières décennies.
Les affiches ont été conçues par le Spring Movement, un petit groupe d'étudiants de la prestigieuse université Chulalongkorn de Bangkok, a expliqué à Reuters une membre du groupe, Pun Thongsai.
"Après la disparition de Wanchalearm, nous voulions faire quelque chose au-delà de la sphère digitale", explique Pun, diplômée en mathématiques de 26 ans. "Nous ne savons pas qui a directement ordonné l'enlèvement, mais nous pouvons constater que l'élite dirigeante de ce pays ne se soucie pas de cette question."
Ces dernières années, au moins huit militants thaïlandais ayant fui après le coup d'État militaire de 2014 ont disparu du Laos, du Cambodge ou du Vietnam. Les corps de deux d'entre eux ont été retrouvés flottant dans le Mékong, éviscérés et remplis de béton.
Juste avant sa disparition jeudi, Wanchalearm parlait sur son téléphone portable avec sa sœur aînée, Sitanun Satsaksit.
La ligne a été brusquement coupée et, après 20 minutes d’angoisse, un ami lui a dit que son frère avait été enlevé de la rue.
Signe que l'incident a relancé des questionnements autour de la monarchie thaïlandaise et du gouvernement dirigé par les ex-putschistes, le mot-dièse #abolish112 en langue thaïe sur Twitter affichait plus de 450.000 tweets ou retweets lundi midi.
Il fait manifestement référence à l'article 112 du code pénal thaïlandais, en vertu duquel insulter la famille royale est passible d'une peine pouvant aller jusqu'à 15 ans de prison.
Plusieurs des dissidents disparus avaient été accusés d'avoir violé l'article 112, mais les autorités thaïlandaises ont nié que Wanchalearm ait été accusé de lèse-majesté tandis que sa sœur a affirmé qu'il n'était pas un anti-monarchiste.
"Le palais n'a aucun commentaire à faire sur cette question", a déclaré un responsable sur place.
Plusieurs célébrités thaïlandaises, dont l’ex Miss Univers Thaïlande, Maria Poonlertlarp, se sont joints lundi à la campagne de protestation sur les réseaux sociaux, rapporte le journal Khaosod English.
De son côté, l'actrice thaïlandaise et ambassadrice de bonne volonté du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), Praya Lundberg, a été critiquée par les internautes pour son silence sur l'affaire, selon The Nation. Un silence qu’elle a justifié en soulignant qu’il s’agissait d’une affaire très sensible et compliquée et que s’exprimer sur ce genre de question dépassait le cadre de son travail humanitaire à l’UNHCR.