La junte thaïlandaise a défendu lundi son budget de la défense de 6,2 milliards d'euros et son projet de budget annuel, après que ses opposants politiques ont proposé de réduire de 10% les dépenses militaires et de mettre fin à l’armée de conscription après les élections.
Le royaume figure parmi les plus dépensiers en matière de défense en Asie du Sud-Est et les récents gros achats – parmi lesquels de sous-marins et des chars d'assaut en provenance de Chine - ont suscité des critiques dans un pays qui marqué par de profondes inégalités et une corruption endémique.
Ses généraux se sont emparé du pouvoir une douzaine de fois depuis 1932, les dépenses de défense augmentant à chaque putsch.
L'année dernière, l'Assemblée nationale législative, nommée par la junte, a proposé un budget défense de 6.2 milliards d'euros pour 2019, soit une augmentation de près de 900 millions d'euros depuis le dernier coup d'État de 2014.
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Mais le parti Puea Thai, parti politique le plus populaire du pays lié à l'ex-Premier ministre Thaksin Shinawatra, a promis de mettre fin au service militaire et de réduire les dépenses de 10% s'il parvenait à revenir au pouvoir à l’issue du scrutin du 24 mars.
Le chef de la junte, Prayuth Chan-O-Cha, qui espère devenir Premier ministre civil après les élections sous la bannière d’un parti aligné avec l’armée, a justifié lundi l’augmentation, l’estimant nécessaire pour moderniser des équipements devenus obsolètes.
"Si nous ne l'avons pas, notre qualité militaire ne pourra être comparée à celle d'autres pays", a-t-il déclaré à la presse.
Prayuth Chan-O-Cha estime que le déclenchement d’une guerre est impossible à prédire, et qu'en temps de paix, l'armée "lutte contre la drogue et les entrées illégales" dans le pays.
Aucune menace extérieure
La conscription militaire, a-t-il ajouté, est "un devoir de tout homme thaïlandais". L'armée organise chaque année le recrutement de 100.000 jeunes appelés - tous les citoyens de sexe masculin doivent y participer au moins une fois après l'âge de 21 ans, mais ils sont exemptés s'ils sont étudiants.
Mais aucun Thaïlandais vivant aujourd'hui n’a jamais connu la Thaïlande engagée pleinement dans une vraie guerre, même si des différends frontaliers se sont par le passé transformés en conflits violents, avec le Laos et plus récemment le Cambodge.
L'armée a le plus souvent utilisé sa puissance de frappe à l'intérieur du pays, réprimant des manifestations de rue, organisant des coups d'État ou combattant des insurgés dans le "l’extrême Sud" à majorité musulmane, à la frontière avec la Malaisie.
Le chef de l'armée, Apirat Kongsompong, a critiqué les dirigeants de Puea Thai pour leur proposition de réduire les dépenses militaires, se fendant d'un conseil on ne peut plus clair: qu'ils écoutent "Nhak Paen Din", une chanson de propagande nationaliste de l'époque de la guerre froide. Traduit grossièrement par "La lie de l’humanité", il s’agissait de l’hymne des unités paramilitaires ayant mené le massacre d’au moins 41 étudiants qui protestaient contre le retour d’un dictateur militaire en octobre 1976.
Le hashtag #NhakPaenDin faisait partie des plus utilisés sur Twitter en Thaïlande lundi, signe que les souvenirs qu’évoque cet air résonnent toujours très fort dans l’esprit de beaucoup de Thaïlandais, en particulier au sein du mouvement pro- démocratie.
Quelques-unes des acquisitions militaires thaïlandaisesEaux profondesEn 2017, la Thaïlande a approuvé l’achat du premier des trois sous-marins de classe Yuan en provenance de Chine pour 340 millions d'euros chacu environn. La junte a défendu l’achat, le qualifiant de bonne affaire pour la marine thaïlandaise et affirmant qu'il était nécessaire à la préservation des ressources dans la mer d'Andaman. Un centre de formation de sous-marinier se trouve à l’extérieur de Bangkok avec un simulateur mais pas de vrai sous-marin. Des discussions sont également en cours pour que la Chine construise un centre de réparation de matériel militaire en Thaïlande. Le projet de sous-marins a suscité d’amères comparaisons avec le porte-avions acheté par la Thaïlande à l’Espagne dans les années 1990. Le Chakri Naruebet est un bâtiment inutile assigné au port et sans avions. Nouveaux charsL’armée thaïlandaise s’est offert un cadeau de nouvel an de plus d’une douzaine de chars de combat chinois VT-4 d’une valeur de 2,2 milliards de bahts (62 millions d’euros). En 2017, la junte a approuvé l’achat de 10 VT-4, d’une valeur de 52 millions d’euros, faisant suite à un contrat visant à acquérir 28 exemplaires du modèle. Le ministre de la Défense avait alors déclaré que les VT-4 remplaceraient les vieux chars M41 fabriqués en Thaïlande par les Etats-Unis et utilisés par l’armée thaïlandaise depuis la Seconde Guerre mondiale. L’armée thaïlandaise a rarement eu recours à des chars au cours des dernières années, sauf pour des déploiements lors de manifestations dans la rue. Voler hautLa Chine n'est pas le seul fournisseur militaire de la Thaïlande. Bangkok a annoncé en 2017 que sa force aérienne s’équiperait de huit avions à réaction de fabrication sud-coréenne d’un coût de 2,30 milliards d’euros, venant en plus de quatre autres acquis en 2015. Ces quatre T-50TH Golden Eagles, d’une valeur d’environ 97,6 millions d’euros, ont été livrés l’année dernière, a indiqué le fabricant Korea Aerospace Industries sur son site internet. KAI a également déclaré que les huit jets d'entraînement arriveraient d'ici 2020. Offres américainesLe gouvernement américain a vendu à la Thaïlande pour environ 387 millions d’euros d’équipement militaire majeur par le biais de FMS (Foreign Military Sales) depuis 2014, un chiffre qui ne prend pas en compte les ventes commerciales directes. "La Thaïlande est l'un de nos plus anciens partenaires en Asie et notre vaste coopération se poursuit sur des questions qui profitent à nos deux pays, à la région et au-delà", a déclaré l'ambassade dans une déclaration à l'AFP. La Thaïlande est un allié de longue date des Etats-Unis, mais les relations ont été un moment tendues après le coup d'État de 2014. Le président Donald Trump a réchauffé le climat en invitant le leader du coup d'État Prayuth Chan-O-Cha à la Maison Blanche en octobre 2017. Mais les ventes d'armes américaines - y compris les hélicoptères Black Hawk, qui auraient été achetés en 2017 - n'ont pas fait autant les gros titres que les achats effectués auprès de la Chine. Un parc de l'arméeTous les projets soutenus par l'armée ne sont pas concentrés sur les armes. Moins d'un an après la prise de pouvoir par la junte royaliste, cette dernière a construit un parc à la gloire de sept rois thaïlandais anciens près de la station balnéaire de Hua Hin. Chaque statue de bronze mesure 14 mètres de haut. Mais le parc Rajabhakti, qui a ouvert ses portes en 2015, a fait l’objet de nombreuses accusations de corruption par rapport notamment à une surestimation des coûts liés au projet - des arbres aux toilettes publiques. Les statues elles-mêmes coûteraient environ 885.000 euros chacune. Les plaintes pour corruption ont été rejetées et le gouvernement a déclaré que les fonds nécessaires à la construction du projet avaient été donnés par les secteurs public et privé. |