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La "haute société" thaïlandaise s'épanouit au royaume des inégalités

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LILLIAN SUWANRUMPHA / AFP - Une foule de Thaïlandais et d'étrangers rassemblée sur le terrain pour prendre des photos après le tournoi Thai Polo Open 2019, premier événement sportif équestre de l'année en Thaïlande dans un club de polo à Pattaya.
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec AFP
Publié le 14 mars 2019, mis à jour le 16 mars 2019

C'est la saison du polo en Thaïlande et des équipes composées d’Argentins douées et d'Asiatiques fortunés vêtus de jodhpurs galopent sur le terrain parfaitement ciselé, alors que les spectateurs quittent un pavillon - des verres de champagne à la main - pour la chukka finale.

Le "sport des rois" connaît actuellement un renouveau inattendu en Thaïlande, l'un des pays les plus inégalitaires au monde et qui a rendez-vous avec les urnes le 24 mars avec en toile de fond le fossé abyssal et exponentiel de la répartition des richesses.

La Thaïlande compte pas moins de 50 milliardaires, selon le dernier classement très fourni publié par les chercheurs chinois du Hurun Report. Cela en fait le neuvième pays au monde pour le nombre de milliardaires, devant la France, le Japon et Singapour.

Une partie de cet argent a payé la partie lors d'un récent événement caritatif au Thai Polo & Equestrian Club, surprenante oasis de pelouses calibrées et taillées avec précision, de vestiaires lambrissés et d'écuries à quelques encablures de Pattaya la scandaleuse.

"Le polo est-il élitiste? Oui, vous ne pouvez pas nier qu'il s'agit d'un sport d'élite", déclare Nunthinee Tanner, cofondatrice joviale du club et doyenne de la scène équestre thaïlandaise. "Un groupe restreint joue à travers le monde parce que cela coûte très cher et demande beaucoup de pratique."

Tandis qu'elle parle, des femmes thaïlandaises "HiSo" (pour "haute société") en talons aiguilles et coiffées de chapeaux extravagants s’aventurent sur le doux gazon. Des rires se font entendre depuis la tente Veuve Clicquot où des hommes en pantalons en crépon de coton roses vont camper toute la journée.

"C'est un sport de PDG et de membres de la royauté", explique Nunthinee.

Le signal donné, le milliardaire Harald Link - un homme d'affaires et philanthrope né en Allemagne naturalisé thaïlandais et co-propriétaire du club - mène l'équipe locale sur le terrain, le maillet à la main.

Parmi les grands patrons de l’équipe, on trouve Brian Xu, dirigeant des plus grands fabricants de crayons au monde, basé à Shanghai, ou encore le sultan Abdullah, absent de dernière minute en raison de son accession soudaine au trône de Malaisie.

Inventé par des guerriers perses et codifié par les impérialistes britanniques, le polo a trouvé sa place depuis longtemps en Thaïlande, royaume où la royauté, les richesses et les réseaux d'élites sont entrelacés dans le tissu social.

La plupart des équipes sont composées d’Argentins qui perçoivent des salaires faramineux et que les grands patrons s’attachent pour jouer aux côtés des meilleurs.

Le magnat thaïlandais du duty-free, feu Vichai Srivaddhanaprabha, était l'un des plus gros passionnés de ce sport. Il est décédé l'an dernier dans un accident d'hélicoptère devant son club de football de Leicester City, en Grande-Bretagne, laissant une fortune estimée à 5,8 milliards de dollars à son héritier.

Le patronage paye

La question des richesses est un sujet sensible à l’approche des élections ce mois-ci, après presque cinq ans de régime militaire.

Les chefs de partis de tous les horizons politiques ont promis d’augmenter les revenus et de lutter contre les inégalités. "Les 20% les plus riches possèdent 80% de la richesse", indique Kobsak Pootrakool, porte-parole du parti Phalang Pracharat, aligné avec la junte, et chantre de la question des inégalités dans l’actuel gouvernement.

"La Banque mondiale dit que nous sommes un miracle de l'Asie ... mais si vous regardez de plus près, nous sommes tellement mauvais en termes d'inégalité."

Mais les belles paroles pré-électorales ne devraient pas se traduire par une plus juste redistribution de la richesse.

L'armée a pris le pouvoir une douzaine de fois en moins d’un siècle. Et elle l'a fait avec le soutien d'une grande partie des élites de Bangkok, qui soutiennent la hiérarchie très stricte du royaume et rechigne à s’occuper des défis économiques et politiques de la base.

La monarchie thaïlandaise est parmi les plus riches du monde. Et l'argent coule également à flot au sein des clans d’entreprises familiales, dont les monopoles sont protégés de la concurrence par les amis et la famille œuvrant en politique et des généreux allégements fiscaux, tandis que les généraux siègent dans les conseils d'administration.

"Le grand capital et l'armée sont dans le même lit", déclare à l'AFP Thanathorn Juangroongruangkit, chef du parti anti-junte Future Forward et fils de l'un des 50 milliardaires du pays. "Le problème des inégalités ne sera pas résolu", si l’on ne supprime pas l’intrication entre pouvoir et argent, a-t-il déclaré, soulignant la menace pour la stabilité que constitue l’écart des richesses décrit par une étude du Credit Suisse comme le plus vaste au monde.

L'augmentation du coût de la vie, de la dette et de la baisse des revenus agricoles se fait sentir de plus en plus sous le régime des généraux putschistes. Plus de 14,5 millions de Thaïlandais ont droit à l'aide sociale, la majorité gagnant moins de 1.000 dollars par an.

Toutefois, cette situation préoccupante ne s’est pas traduite par des troubles, de nombreux Thaïlandais s’en remettant au vote après une parenthèse de cinq ans, et espérant que le prochain gouvernement donnera le coup de pouce nécessaire pour relancer à l’économie du petit peuple.

Les inégalités nuisent également aux espoirs de la Thaïlande de passer au statut d'"économie avancée", a déclaré la Banque mondiale dans un rapport récent, pointant la médiocrité de l'éducation publique qui piège la majorité dans la spirale de l'emploi peu qualifié et peu rémunéré.

Selon les experts, cela va poser des problèmes dans l'avenir, l'automatisation étant en passe de réduire davantage la main-d'œuvre peu qualifiée.

En marge d'un récent rassemblement politique, Nirut Saensri était optimiste quant à son sort, alors qu’il écrasait des bouteilles en plastique vides pour les recycler pour quelques dollars par jour. "Je suis pauvre et je n’ai pas toujours assez à manger", a déclaré l’homme de 47 ans, au physique maigre et déformé. "Mais je n'ai pas besoin de luxe et je ne suis pas envieux des riches."

‘Show me the money’

Partout en ville, la culture HiSo de Bangkok est en plein boum. Les quartiers chics sont animés de soirées de célébrités suivies par leurs armadas de chauffeurs, assistants et concierges, et largement reprises sur les réseaux sociaux.

Les ventes de condominiums de luxe et de supercars sont en hausse perpétuelle - Aston Martin a annoncé avoir battu le record de vente à Bangkok l'année dernière avec 250 véhicules, chacun d’une valeur dépassant les 475.000 $.

Mais l’opulence tape-à-l’œil des nouveaux riches a également ouvre un clivage au sommet. "Pour moi, la vraie "haute société "est l'aristocratie et le vieil argent", a déclaré à l'AFP Khun Nu Lek, femme d'affaires et mondaine, lors d'une exposition de fleurs dans les vastes jardins de sa famille au centre-ville de Bangkok.

Lek - nom complet Naphaporn Bodiratnangkura - est une descendante des Nai Lerts, une famille favorisée par la royauté thaïlandaise depuis des générations pour son sens des affaires. Elle reconnaît que "les riches deviennent de plus en plus riches", mais souligne que l'écart colossal des richesses dans le royaume est préoccupant.

"Je veux aussi que les pauvres deviennent plus riches. Cela ne se produit pas", ajoute-t-elle.

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