Parti d’une simple boutique en 1989, Vichai Srivaddhanaprabha a bâti un vrai empire en seulement deux décennies avant de devenir l'auteur d'un des plus grands contes de fées du football moderne
La famille du président du club de football anglais de Leicester City, décédé samedi dans le crash de son hélicoptère, lui a rendu hommage lundi près du site de l'accident, tandis que les messages de condoléances continuaient d'affluer.
La veuve de Vichai Srivaddhanaprabha et son fils Aiyawatt, vice-président du club, ont déposé une gerbe de fleurs devant le King Power Stadium, où se sont accumulés depuis dimanche bouquets, écharpes et maillots de football pour saluer la mémoire du milliardaire thaïlandais et des quatre autres personnes qui se trouvaient à bord de l'appareil : Nursara Suknamai et Kaveporn Punpare, deux membres de son équipe, Eric Swaffer, le pilote, et Izabela Roza Lechowicz, une passagère polonaise.
Le prince William, président honoraire de la Fédération anglaise de football, a salué dans un communiqué la "grande contribution au football" apportée par Vichai Srivaddhanaprabha, un homme ayant des "valeurs fortes" qu'il avait "la chance de connaître depuis plusieurs années".
La Première ministre Theresa May a elle aussi exprimé ses condoléances. "Mes pensées vont aux familles, amis et supporters affectés par le crash tragique qui s'est produit samedi soir", a-t-elle écrit sur Twitter.
"Vous avez changé le football. Pour toujours", a salué le gardien de Leicester, le Danois Kasper Schmeichel, sur Instagram. "Vous avez donné à chacun l'espoir de rendre possible l'impossible".
Monopole sur le duty-free en Thaïlande
Roi des duty-free en Thaïlande, Vichai Srivaddhanaprabha était le cinquième homme le plus riche du royaume, selon le classement de Forbes, avec une fortune estimée à près de cinq milliards de dollars, amassée grâce à son groupe de boutiques hors taxes King Power, en situation de monopole dans les aéroports du pays.
Vichai a lancé King Power en 1989 avec un magasin duty-free dans le centre-ville de Bangkok. Cette simple boutique s'est démultipliée pour former un immense empire du duty-free, l'entreprise obtenant des concessions dans les principaux aéroports thaïlandais de Bangkok, Phuket et Chiang Mai, haut-lieux touristiques du royaume devenu l’un des pays les plus visités au monde.
Dès les années 90, King Power traverse les frontières, obtenant une licence pour exploiter un magasin situé sur la Grande Muraille de Chine et une boutique duty-free à l'aéroport Kai Tak de Hong Kong.
Mais la grande percée de Vichai aura lieu en 2006, lorsque King Power obtient une concession exclusive pour gérer des zones hors taxes dans quatre grands aéroports, dont celui de Bangkok, Suvarnabhumi, qui voit passer chaque année des millions de voyageurs. Le monopole génère alors rapidement d’énormes sommes d’argent pour le groupe, permettant à son patron d’investir dans son quartier général près du Monument de la Victoire à Bangkok, qui comprend un complexe de bureaux et un centre commercial principalement destiné aux touristes chinois.
"C'est un homme d'affaires prospère, qui s'est battu pour obtenir ce qu'il possède", déclarait en 2016 à l'AFP son fils Aiyawatt, dit "Top". Accusé dans son pays pour fraude fiscale à hauteur de 375 millions d’euros, le groupe King Power a obtenu un non-lieu en septembre pour vice de forme.
Club des miracles
En 2010, l’homme d'affaires rachète Leicester, avant de faire du petit club des Midlands six ans plus tard le plus improbable champion de Premier League de tous les temps.
La victoire de Leicester en 2016, défiant tous les pronostics - le club était donné gagnant du championnat à 5.000 contre un par les bookmakers au début de la saison -, comble les rêves de gloire de supporters, habitués à languir en deuxième division. C'est la première fois que Leicester City décroche ce titre depuis la création du club en 1884. Même si les Renards - le surnom des joueurs du club - ont terminé en milieu de classement les saisons suivantes, ils sont désormais solidement implantés dans la première division anglaise.
Contrairement à d'autres propriétaires étrangers de clubs anglais, Vichai Srivaddhanaprabha était très populaire auprès des fans de son équipe. Il faut dire qu'il savait les soigner: les supporters de Leicester avaient ainsi eu droit à une bière gratuite et à des beignets pour célébrer son soixantième anniversaire, avant un match contre Newcastle en avril de cette année. Et le prix des abonnements avait été gelé ces quatre dernières saisons, tandis que Vichai avait fait don de 2 millions de livres sterling (2,5 millions de dollars) pour aider à construire un hôpital pour enfants.
L'ex-entraîneur italien de Leicester, Claudio Ranieri a déclaré lundi sur Sky Sport Italia être "terriblement secoué" par sa mort. "J'ai été terriblement secoué par cette nouvelle", a déclaré Ranieri, 66 ans, qui a exprimé sa profonde tristesse. Ranieri avait été choisi en 2015 par Vichai Srivaddhanaprabha pour être l'entraîneur de Leicester, qu'il avait mené au titre de champion d'Angleterre au terme de sa première saison à la tête de l'équipe. "C'était un homme bon, qui avait toujours une parole positive pour chacun", a ajouté l'entraîneur, sans club depuis son départ du FC Nantes en fin de saison dernière. "Il venait dans le vestiaire uniquement pour dispenser des gentillesses, jamais pour vous reprocher quoique ce soit (...) C'était un homme touché par la grâce, toujours joyeux, avec un éternel sourire qui éclairait son visage, et il rendait meilleur tous ceux qu'il approchait", a-t-il encore affirmé.
Malgré sa popularité, le Thaïlandais aux petites lunettes rondes était un personnage peu connu, qui a préféré laisser son fils Aiyawatt, vice-président de Leicester City, jouer les premiers rôles.
Seul signe d'extravagance, il avait l'habitude d'arriver et de repartir du stade en hélicoptère, se posant sur le rond central du terrain lorsque Leicester jouait à domicile. C'est d'ailleurs dans ces circonstances qu'est survenu l'accident dans lequel il a perdu la vie samedi.
Cercles royalistes thaïlandais
En Thaïlande, Vichai Srivaddhanaprabha était un familier des puissants, au premier rang desquels la famille royale. Son nom, Srivaddhanaprabha ("Lumière de gloire en marche"), lui a d'ailleurs été attribué en 2013 par le roi de Thaïlande d'alors, Bhumibol Adulyadej. "Vichai est souvent vu aux côtés de célébrités ou des membres de la famille royale, thaïlandais et internationaux", rappelle Pavida Pananond, professeur à l'Université Thammasat de Bangkok.
Fervent bouddhiste, il avait fait venir à plusieurs reprises à Leicester des moines thaïlandais chargés de bénir les joueurs, ou le stade.
Et, tout en injectant des dizaines de millions de livres dans l'équipe et les infrastructures du club, il l'a fait sans grand coup d'éclat, en privilégiant le repérage de jeunes talents à l'achat de vedettes confirmées. C'est ainsi que Leicester a recruté l'attaquant vedette Jamie Vardy, qui jouait en cinquième division anglaise, ou le Français N'Golo Kante - vainqueur de la Coupe du Monde 2018 - et l'Algérien Riyad Mahrez, qui évoluaient en deuxième division française. La revente de ces deux derniers joueurs a assuré de grosses rentrées financières.
Vichai Srivaddhanaprabha était également le président du club belge de D1B d'Oud-Heverlee Louvain, qu'il a racheté en mai 2017 via son groupe King Power.
Mais son premier amour en sport était le polo, dont il était un joueur accompli, membre du Ham Polo Club de Londres, fréquenté par la famille royale britannique.
Comme à son habitude, samedi, le président de Leicester a quitté le stade à bord de son hélicoptère qui a décollé du terrain, à l'issue du match de l'équipe de Leicester face à West Ham. Mais l'engin s'est écrasé peu après, sur un parking à proximité immédiate du stade pour des raisons encore inexpliquées.
Les agents du bureau d'enquête britannique sur les accidents aériens, l'Air Accident Investigation Branch (AAIB), ont annoncé lundi commencer à étudier les enregistrements des conversations et des données du vol. Le groupe aéronautique italien Leonardo, fabriquant du l'hélicoptère AW169 utilisé, s'est dit "prêt à accompagner l'AAIB" dans son enquête "pour déterminer les causes de l'accident". La société a précisé qu'il s'agissait du "tout premier" accident impliquant ce modèle.