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La contestation thaïlandaise appelle l’Allemagne à enquêter sur le roi

Manifestation devant l'ambassade d'Allemagne a BangkokManifestation devant l'ambassade d'Allemagne a Bangkok
REUTERS / Soe Zeya Tun - Les manifestants pro-démocratie se rassemblent près de l'ambassade d'Allemagne à Bangkok, le 26 octobre 2020
Écrit par Lepetitjournal.com Bangkok avec Reuters
Publié le 27 octobre 2020, mis à jour le 27 octobre 2020

La pression de la rue ne cesse de monter contre l’establishment en Thaïlande et la focale initialement centrée sur le Premier ministre se tourne de plus en plus vers le roi, avec l’Allemagne impliquée

Plusieurs milliers de manifestants thaïlandais se sont rendus à l'ambassade d'Allemagne à Bangkok lundi, pour faire pression sur le roi Maha Vajiralongkorn dont ils entendent réduire, par des reformes, les pouvoirs récemment étendus.

Le monarque passe le plus clair de son temps en Allemagne où est d’ailleurs scolarisé son fils, le prince Dipangkorn Rasmijoti.

Et l'Allemagne a déclaré plus tôt ce mois-ci qu'il serait inacceptable que le roi Maha Vajiralongkorn, 68 ans, gère la politique de son pays depuis la Bavière où se trouve sa résidence. S’adressant au Bundestag, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, avait assuré que les autorités restaient attentives à ses agissements pendant ses séjours en Bavière.

Les manifestations anti-gouvernementales menées principalement par des étudiants depuis juillet avaient commencé en appelant à la destitution du Premier ministre et ancien putschiste Prayuth Chan-O-Cha. Mais en août, les revendications se sont élargies à la monarchie qui, selon la Constitution thaïlandaise, doit être vénérée et est censée se placer au-dessus de la politique. Depuis, les slogans et gestes d’opposition se multiplient dans la rue et sur les réseaux sociaux.

Une telle contestation à l’encontre de la royauté est totalement inédite depuis l’abolition en 1932 de la monarchie absolue.

Le palais n'a fait aucun commentaire officiel depuis le début des manifestations. Les porte-paroles du gouvernement sont restés silencieux lundi sur la manifestation de la journée.

Demande d'enquête

A l'ambassade d'Allemagne, une déclaration "du peuple" a été lue accusant le roi de s'ingérer dans la politique thaïlandaise. Le texte dit notamment que, n'ayant pas réussi à obtenir une écoute de la part de "la marionnette royale" - faisant référence à Prayuth Chan-O-Cha – les manifestants sont venus voir "le propriétaire de la marionnette".

"L'ère du changement est arrivée. Le courant de la démocratie ne peut être stoppé", dit la déclaration. "A bas la féodalité, Vive le peuple."

Une autre lettre demande à l'Allemagne d'enquêter:

* Pour déterminer si le roi dirige les affaires de l'État depuis l’Allemagne ;

* Pour déterminer s’il doit ou non y payer des droits de succession après le décès en 2016 de son père le roi Bhumibol Adulyadej ;

* Sur des accusations de violations des droits de l'homme ;

* Sur son mode de vie sur le territoire allemand.

La lettre était signé: "Meilleures salutations de la part des êtres humains, pas de la poussière" - faisant référence à une formule thaïlandaise selon laquelle les gens du peuple ne sont rien de plus que de la poussière sous les pieds du roi.

Critiquer la monarchie peut être puni d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à 15 ans de prison pour chaque chef d’accusation avec des conditions d’incarcération souvent particulièrement difficiles. Mais les manifestants ont balayé un vieux tabou en osant pour la première fois depuis des décennies évoquer sur la place publique la question du statut de la monarchie, un sujet qui ne dépassait jamais jusque-là le cadre familial ou les discussions entre amis proches. En juin, le Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha avait fait savoir le roi avait demandé que la loi de lese-majesté ne plus invoquée jusqu'à nouvel ordre.

Revenir à une "véritable monarchie constitutionnelle"

Les manifestants accusent la monarchie de permettre la domination des militaires depuis des décennies. Ils pointent également les dépenses royales en Europe alors que l’économie du royaume est durement frappée par la crise du coronavirus.

"Cette demande vise à ramener la Thaïlande à une véritable monarchie constitutionnelle", indiquait un communiqué lu dimanche annonçant la démarche auprès de l’ambassade d'Allemagne. La Thaïlande est officiellement une monarchie constitutionnelle mais un certain nombre d’experts de la politique du royaume estiment que les derniers développements, notamment depuis le coup d’Etat de 2014, ont tendance à la ramener vers une monarchie absolue et à l'éloigner de la démocratie.

La crise politique thaïlandaise s’intensifiant, la présence prolongée du roi en Allemagne est devenue pour les autorités là-bas de plus en plus délicate politiquement et diplomatiquement. "Nous surveillons cela de façon régulière, pas seulement depuis ces dernières semaines", a assuré lundi Heiko Maas. "Il y aura des conséquences immédiates s’il se produit des choses que nous jugeons illégales."

Le roi est actuellement en Thaïlande où il est arrivé le 10 octobre, son plus long séjour cette année.

Lors d'une session extraordinaire au Parlement thaïlandais sur la crise, les opposants à Prayuth Chan-O-Cha ont exhorté ce dernier à démissionner et à cesser d'utiliser la monarchie pour justifier son emprise sur le pouvoir.

Le parti d'opposition Move Forward a évoqué l’incident du cortège de la reine Suthida qui a servi de prétexte pour justifier l’imposition le 15 octobre de mesures d'urgence contre les manifestations. Les mesures, désormais levées, se sont retournées contre le gouvernement, ulcérant une bonne partie de la population et poussant des dizaines de milliers de personnes à descendre dans la rue.

"C'est le rôle du gouvernement de protéger la monarchie"

Le Premier ministre Prayuth Chan-O-Cha a rejeté la demande de démission des manifestants et a déclaré la semaine dernière que c'était le rôle de son gouvernement de protéger la monarchie.

"Je suis convaincu qu'aujourd'hui, quelles que soient nos opinions politiques, tout le monde aime toujours le pays", a-t-il déclaré au Parlement.

Cet ancien chef de l’armée a pris le pouvoir lors d'un coup d'État en 2014 et les manifestants clament qu'il a mis les cinq années de régime militaire à profit pour soigneusement préparer les élections de l'année dernière afin de s'assurer le contrôle à long terme du pouvoir. Lui estime que le scrutin était équitable et conforme.

Les manifestants veulent que le statut et le pouvoir du roi soient encadrés par la Constitution. Ils souhaitent également revenir sur certains changements intervenus ces dernières années ayant permis au souverain de prendre personnellement le contrôle des biens de la couronne et de certaines unités de l'armée.

Ils ont affirmé que l'ambassade d'Allemagne s'était montrée attentive.

"Puisque nous ne pouvons pas demander cette clarté à notre gouvernement, nous espérons sérieusement que le gouvernement allemand pourra faire cela pour nous", a déclaré à la foule Patsaravalee 'Mind' Tanakitvibulpon, l’une des figures du mouvement, âgée de 25 ans seulement.

Patsaravalee fait partie des dizaines de manifestants qui ont été arrêtés dans le cadre de mesures d'urgence entre le 15 et le 22 octobre. Elle a été libérée sous caution, mais plusieurs leaders sont toujours en détention.

Avant que les manifestants n'atteignent l'ambassade allemande, quelques dizaines de partisans royalistes s'y étaient rassemblés scandant: "Vive le roi. Nous le protégerons avec nos vies."

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