Gilles Bernard, Franco-suisse installé en Thaïlande, décrypte dans son livre "Vivre et Travailler en Thaïlande" l’univers complexe des relations interpersonnelles en Thaïlande et le concept de "face"
Savoir parler thaïlandais est bien évidemment un avantage non négligeable pour qui veut vivre et travailler en Thaïlande. Mais cela ne fait pas tout, loin de là. Surtout quand il s’agit de dépasser le stade de la communication basique du quotidien en vue de construire de vraies relations sociales et/ou professionnelles avec des amis, de la famille, des collègues de travail, des clients ou encore des partenaires en affaires.
Il n’est d’ailleurs pas rare de voir des expatriés non thaïophones bâtir des relations plus solides et prospères avec des Thaïlandais que certains de leurs compatriotes qui, malgré leur meilleure maîtrise de la langue locale, se heurtent perpétuellement à des écueils qui demeurent incompréhensibles à leurs yeux. C’est parce que bien comprendre les codes, les principes et les mécanismes qui gouvernent les relations entre les personnes est crucial.
Installé depuis près de 15 ans en Thaïlande, Gilles Bernard, franco-suisse, titulaire d’un Phd, se penche dans son dernier livre Vivre et travailler en Thaïlande, paru en 2023, sur la problématique de la gestion de la face dans les interactions sociales avec les Thaïlandais.
Véritable guide de conseils et de gestion, il permet de changer de perspective et nous livre les clés indispensables pour vivre une relation harmonieuse, aussi bien dans la vie privée que professionnelle. Rencontre.
Lepetitjournal.com : Qu’est-ce qui a déclenché le projet d’un tel ouvrage ?
Gilles Bernard : Ce qui a déclenché l’écriture de cet ouvrage vient d'une frustration, suivie d'une curiosité, que j'avais par rapport au concept de "face", car en interrogeant des Thaïlandais ou des étrangers pour tenter de comprendre, j'obtenais à chaque fois une version différente.
Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées durant la genèse du livre ?
Ma principale difficulté a été de collecter les informations, de comprendre les sujets qui se superposaient, de classer les différentes notions et enfin de rassembler toute l’image du puzzle car le concept de la face n’est pas une voie unique ou un grand boulevard. Il y a plusieurs rues et même des impasses ! C’est un ouvrage qui m’a pris 9 mois, dont six mois de recherche et trois mois d’écriture.
Votre approche ne se limite pas à seulement fournir des éléments d’analyse sur la manière d’être thaïlandaise de façon isolée. Vous incluez dans l’équation l’interaction avec l’étranger, vous observez les interprétations, réactions et traits comportementaux de ce dernier qui interviennent dans la relation. Quelles ont été vos sources d’information sur cet aspect ?
J’ai utilisé trois sources de données.
La première source est constituée des publications académiques. J’ai cherché à obtenir un spectre très large, c’est pourquoi j’ai utilisé les publications en anglais provenant de chercheurs de diverses universités mondiales. J’ai également eu recours aux publications conjointes avec des professeurs thaïlandais et enfin aux publications en français, bien que très peu nombreuses, à ma plus grande surprise.
La seconde source provient des interviews d'expatriés que j’ai menées, en utilisant une méthodologie standardisée de recherche, auprès des entrepreneurs et des retraités dits "actifs", qui aident leur conjoint, et enfin des retraités "passifs" qui ne font qu'accepter leurs pensions.
La troisième source repose sur un questionnaire en thaï/anglais envoyé à une centaine de personnes de nationalité thaïlandaise.
Une erreur fréquente est par exemple de réprimander publiquement ses collaborateurs pour asseoir son autorité
Quelles sont selon vous les principales "fautes" caractéristiques généralement commises par les Européens dans leurs relations avec les Thaïlandais, notamment les francophones à qui nous nous adressons ici ?
L’erreur principale réside dans le comportement que nous adoptons en public ou en privé, que ce soit avec nos amis thaïlandais, notre conjoint thaïlandais(e), comme par exemple le fait de contredire publiquement mais surtout d'élever la voix, ce qui peut conduire à une perte de face.
Pour un(e) expatrié(e) arrivant à Bangkok avec ses diplômes et son expérience de manager, l'erreur la plus fréquente est, par exemple, de réprimander publiquement ses collaborateurs pour asseoir son autorité, ce qui pourrait entraîner une démission collective. En résumé, il faut un certain niveau de maturité pour s'abstenir de comportements inappropriés en public envers les Thaïlandais, ce qui n'est pas forcément facile.
Plus généralement, une autre erreur réside aussi dans le fait de ne pas saisir que le puzzle inclut en réalité quatre verbes : "perdre, sauver, donner et renforcer". Nous sommes sensibilisés aux deux premiers, aux notions de "perdre et sauver la face", mais moins aux verbes "donner et renforcer", car nous ne les considérons pas à leur juste valeur, étant exclus de notre référentiel culturel.
Donner et renforcer la face sont des éléments subtils dans nos interactions avec les Thaïlandais
Donner la face en Thaïlande signifie que l'ego est la valeur sociétale centrale de la culture thaïlandaise. Pour un Occidental, cela pourrait être culturellement contradictoire, peut-être justifié et assimilé à un "lèche-bottes", tout en ignorant ce que nous appelons parfois en Occident à un simple "retour d'ascenseur". Ainsi, nous avons ces barrières culturelles qui nous empêchent d'accorder plus d’importance à quelqu’un, sachant que nous sommes tous égaux de facto. Cela est dommageable, car dès lors que nous évitons de donner la face, ce qui est crucial à mes yeux, nous oblitérons nos chances de renforcer la nôtre. Donner et renforcer sont des éléments subtils dans nos interactions avec les Thaïlandais.
On comprend à travers la lecture de votre livre que la double interaction de donner et renforcer la face sont vitales et liées à la tête statutaire et la tête miroir. Pouvez-vous nous expliquer ce point ?
La tête miroir est celle qui se reflète chaque matin dans... le miroir, tandis que la tête statutaire est quant à elle invisible : pour les Thaïlandais, la tête statutaire est la plus importante.
Il faut souligner que la tête statutaire comporte des valeurs contradictoires par rapport à notre culture et nos origines, ce qui a constitué la complexité à laquelle j'ai été confronté lors de la tentative d'assemblage des différentes pièces du puzzle. La tête statutaire thaïlandaise englobe l'ego, le pouvoir, la classe sociale, le prestige, l’honneur (qui "engendre" le pardon), et enfin le karma ; le dernier étant absent de notre culture. Ces deux têtes, miroir et statutaire, sont constamment en discussion, et c'est sur les critères énoncés précédemment que nous devons nous concentrer en tant qu'expatriés.
Le "mai pen rai" permet de désamorcer des situations lorsque nous sommes dans un volcan émotionnel et de réduire les excès
En quoi "mai pen rai" (ce n'est pas grave, pas de problème), expression très courante en Thaïlande, a-t-elle une portée comportementale et sociale forte, selon vous ?
Le "mai pen rai" n'est pas forcément différent de ce que nous avons en Europe avec le "pas de problème, c'est sans importance". Cependant, sur le plan comportemental, le "mai pan rai" est utilisé pour éliminer toute tension immédiate. Il permet de désamorcer des situations lorsque nous sommes dans un volcan émotionnel et de réduire les excès. C'est également une manière de tourner rapidement la page pour maintenir une relation harmonieuse. L'exemple du plagiat que je donne dans mon livre l'illustre parfaitement.
Combien de temps, selon vous, faut-il à un expat pour acquérir des bases suffisantes à cet égard ?
J'ai été surpris dans mes interviews. Une personne vivant en Thaïlande depuis seulement 3 ans avait complètement assimilé le concept, en particulier celui de donner et renforcer, tandis qu'une autre, après 35 ans de vie dans le royaume, le connaissait vaguement sans l'avoir pleinement intégré. Ainsi, ce n'est pas tant une question d'années passées en Thaïlande, argument souvent utilisé lors des discussions, mais plutôt une question de curiosité, et surtout, le plus important à mes yeux, de l'acceptation des normes culturelles thaïlandaises.
Quel conseil donneriez-vous à nos lecteurs sur la gestion de face ?
Je les encourage à s'informer à travers la lecture pour pouvoir s'adapter rapidement dans leur processus d'intégration, car en conclusion, en ce qui concerne la gestion de la face, il vaut mieux l'accompagner plutôt que de la subir.
Vivre et Travailler en Thaïlande
Version française
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Version anglaise "To live and work in Thailand"
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