Il avait pris les rênes de l’Alliance Française de Bangkok en pleine crise sanitaire. Quatre ans plus tard, Sylvain Bano passe le relais après avoir engagé des mutations d’avenir pour l’institution
Arrivé en poste en pleine crise du Covid-19, le directeur de l’Alliance Française de Bangkok, Sylvain Bano, arrive au terme de sa mission en Thailande après quatre années bien remplies, chargées de défis charnières pour l’institution centenaire.
Dès sa prise de fonction le 15 octobre 2020, il lui a fallu gérer les urgences de la crise sanitaire sous ses divers aspects (sécuritaire, social, économique, organisationnel), pour maintenir le bateau à flots pendant cette longue tempête sans précédent. Cela tout en opérant un certain nombre de mutations d’avenir nécessaires, comme la transformation digitale de l’enseignement du français ou encore renforcer la raison d’être d’un bâtiment perdu au milieu d’un chantier pharaonique pour faire qu’il en récolte la lumière in fine plutôt que l’ombre néfaste.
Sylvain Bano a consacré les deux dernières années de son mandat à la relance de l’activité autour du plan d’action ambitieux “Jeunesse, numérique et entreprise” défini par le nouveau président, Ariya Banomyong.
Il dresse pour Lepetitjournal.com Bangkok le bilan de ses quatre années avant de passer le relais à Jean Bourdin qui prendra ses fonctions début septembre.
J’ai voulu faire de l’Alliance une sorte de "mall culturel", alternative aux "shopping mall"
Lepetitjournal.com Bangkok : En prenant vos fonctions en 2020, vous avez dit souhaiter faire de l’Alliance Française de Bangkok un lieu de vie et de rencontres artistiques et professionnelles pour les communautés françaises, francophones et internationales. Quelles actions avez-vous mises en place durant votre mandat pour y parvenir ?
Sylvain Bano : Le lieu de vie est très important à mes yeux parce que l’Alliance est avant tout une association, et donc par définition un lieu de sociabilité. Cet espace est à la fois physique, le bâtiment de l’Alliance à Bangkok, et symbolique : tous les amis de l’Alliance en Thaïlande et dans le monde qui ont en partage l’amour de la culture française et francophone.
Lors de mon arrivée, l’architecture du bâtiment de l’Alliance m’apparaissait un peu comme un "mall". Or à Bangkok non seulement les "malls" sont très répandus mais ils sont surtout un lieu de sortie le week-end en famille ou entre amis. J’ai donc voulu faire de l’Alliance une sorte de "mall culturel", alternative aux "shopping mall", en créant des événements qui reprennent l’esprit des foires avec des thématiques populaires – gastronomie, tourisme, arts, jeune public, etc. - pour attirer des personnes qui n’auraient pas eu l’occasion de venir à l’Alliance avant. Certains de ces foires ont rassemblé jusqu’à 500 personnes sur la journée.
Tous ces événements contribuent à faire de l’Alliance un lieu de vie ouvert à tout le monde où l’on passe un moment agréable, en plus d’être un lieu d’apprentissage de la langue et de diffusion de la culture française, sa mission première.
Pendant deux ans, nos activités autour des rencontres artistiques et professionnelles ont été très limitées en raison des contraintes liées à la Covid, mais tout a pu reprendre en 2022 avec de nombreuses collaborations dans les domaines des arts graphiques, du théâtre, du cinéma ou de la littérature. Un des derniers projets que nous venons de mettre en place, avec la collaboration de TV5 Monde, est un programme de résidence pour promouvoir la création locale. Grâce à une bourse cofinancée par nos deux institutions, un ou plusieurs artistes francophone ou thaï pourront créer une œuvre originale en utilisant l’Alliance comme lieu de création.
L’emménagement récent de la Chambre de commerce Franco-Thaï devrait renforcer cette émulation autour du monde professionnel et de la francophonie.
En ce qui concerne les rencontres professionnelles et académiques, nous favorisons les liens entre Campus France, dont nous hébergeons un bureau, et les entreprises françaises pour montrer à la jeune génération qu’il existe des ponts entre l’apprentissage du français et le monde du travail. Nous avons ainsi organisé ou hébergé des salons sur les études et emplois autour de la France, des rencontres avec la French Tech, etc. L’emménagement récent de la Chambre de commerce Franco-Thaï devrait renforcer cette émulation autour du monde professionnel et de la francophonie.
Le président de l’Alliance Française, Ariya Banomyong a défini trois axes forts de développement que sont "Jeunesse, Numérique et Entreprise”. Comment cela se traduit concrètement ?
L’Alliance Française de Bangkok a beaucoup de chance de pouvoir compter sur un conseil d’administration très expérimenté, volontaire, dirigé par M. Ariya Banomyong qui a succédé en 2022 au Docteur Jingjai Hanchanlash. Les 3 axes de notre président ont permis de donner des orientations claires et renouvelé à notre institution centenaire.
La Thaïlande est un pays du numérique, efficace, qui fonctionne "sur un clic"
Pour la Jeunesse, en dehors de la période exceptionnelle de la Covid, notre part de jeune public est en constante progression et représente 25% à 30% de nos étudiants totaux. C’est un marché qui se développe naturellement parce que les parents cherchent à faire apprendre très tôt à leurs enfants les langues étrangères. Pour cette cible nous proposons des cours de français (FLE pour les enfants qui ne parlent pas le français, de français scolaire et de français langue maternelle) ainsi que des camps de vacances (enfants de 3-5 ans et de 7-10 ans) avec des initiations ou des cours avancés de français et des activités artistiques ou sportives.
Nous avons rebondi sur l’actualité des JO 2024 de Paris en organisant les "JO pour les enfants" en partenariat avec Décathlon qui a été un grand succès. Nous travaillons également avec les écoles thaïlandaises et accueillons ainsi chaque année une vingtaine d’écoles qui visitent l’alliance et participent à des activités.
Avec la Covid, le développement accéléré d’un éco-système numérique est devenu la grande avancée de l’Alliance Française
L’idée c’est de "semer des graines", faire en sorte que ces jeunes soient sensibilisés à un moment de leur enfance ou de leur adolescence à la langue française, à des activités culturelles et artistiques que leur environnement social ou familial ne leur aurait pas offert.
Avec la Covid, le développement accéléré d’un éco-système numérique est devenu la grande avancée de l’Alliance. Nous avons dû nous adapter en proposant des cours en ligne de qualité avec des outils performants afin de rendre l’expérience numérique aussi bonne que l’expérience physique. La Thaïlande est un pays du numérique, efficace, qui fonctionne "sur un clic" c’est pourquoi nous continuons à développer et à améliorer cette expérience avec la refonte de notre site internet, la récente mise en place du paiement en ligne ou un travail de modernisation du parcours client en ligne. Aujourd’hui encore, il faut savoir que plus de 40% de nos cours se déroulent en ligne et avec succès.
Nous avons également travaillé sur la captation et l’archivage de nos événements culturels - conférence, spectacles et salons - afin de les rendre accessibles et exploitables par tous les publics en Thaïlande, en France ou dans le monde francophone. Nous avons à ce jour près d’une centaine de vidéos disponibles à revoir sur notre chaîne Youtube.
Faire que le bâtiment de l’Alliance soit un écrin pour les initiatives françaises et francophones à Bangkok
Pour le volet entreprise il s’agit de créer plus de rencontres professionnelles au sein de l’Alliance en profitant notamment de l’emménagement de la Chambre de commerce en juin dernier et de son incubateur d’entreprises qui occupent le 6ème étage. Nous avons également lancé une nouvelle campagne de promotion des activités de l’Alliance à l’attention des entreprises qui propose une gamme de services diversifiés sur-mesure avec des cours de français et des journées de team building. Nous avons démarré avec les entreprises françaises et thaïes partenaires de notre base de données et nous élargissons progressivement notre offre à l’hôtellerie, la restauration et les métiers du luxe.
En juin 2023, l’Alliance Française inaugurait dans ses locaux le Bureau des Associations françaises puis en juin 2024 vous accueilliez la Chambre de Commerce avec pour ambition de devenir une sorte de "Maison de la France" au cœur de Bangkok. Où en est-on un an après et quelles perspectives voyez-vous à ce stade ?
L’idée principale, c’est que le bâtiment de l’Alliance soit un écrin pour les initiatives françaises et francophones à Bangkok. C’est l’esprit qui préside aux décisions immobilières de ces deux dernières années : la création d’un bureau des associations, l’emménagement de la Chambre de commerce franco-thaï, le réaménagement de la médiathèque en Pôle Livre et multimédias avec la librairie Carnets d’Asie au sein d’un même espace et l’ouverture en octobre de notre nouveau café-restaurant "Bonjour, Bonsoir" qui va succéder au "Café Mademoiselle". L’identité de chacun doit être préservée, et ce qui compte, c’est que de nouvelles dynamiques se créent et que le public continue de grandir.
Il nous faut sans cesse trouver un bon équilibre entre la mission originelle de l'Alliance, l’adaptation à la réalité de terrain et à l’évolution du monde
Il est important de rappeler que la mission première de l’Alliance Française est de promouvoir la langue française et les cultures francophones mais aussi d’encourager la diversité culturelle et de favoriser la coopération locale, c’est-à-dire de "faire les choses ensemble".
L’Alliance est une initiative locale, une association thaïlandaise, qui conjugue à la fois l’influence de la France et l’image que les Thaïlandais en ont et qu’ils ont envie de promouvoir dans leur propre pays. Il nous faut sans cesse trouver un bon équilibre entre la mission originelle, l’adaptation à la réalité de terrain, notamment économique, et à l’évolution du monde.
Une chose est sûre, nous avons de la chance d’être dans un bâtiment comme le nôtre, modulable et dont nous sommes propriétaires. Dans ces circonstances, il faut être prêt à tenter de nouvelles choses et cette évolution immobilière, à travers l’accueil de nouvelles structures, en est une.
Si on parvient à capter ne serait-ce qu'1% du public de One Bangkok, cela représenterait 1.500 personnes par jour
L’Alliance Française est située à la lisière d'un des plus grands projets immobiliers d’Asie du Sud-Est, One Bangkok, qui ouvre cette année. Comment compte-elle tirer parti de cet emplacement privilégié ?
Pendant 90 ans, le site historique de l’Alliance de Bangkok était sur l’avenue Sathorn avant de déménager dans le quartier Lumpini en 2013 puis dans les locaux actuels en 2018 quand le projet One Bangkok a été annoncé.
Au fond c’est une opportunité parce que One Bangkok annonce 150 à 200.000 visiteurs par jour entre les travailleurs, les résidents, les clients des hôtels, ceux qui achètent et consomment. Comme le dit notre président Arya Banomyong, si on parvient à capter ne serait-ce qu'1% de ce public, cela représenterait 1.500 personnes par jour.
Pour cela, il va nous falloir travailler sur la signalétique au niveau de One Bangkok pour faire en sorte que l’Alliance soit visible depuis l’intérieur. Il faudra également créer une synergie à travers l’offre de services qui soit une alternative culturelle à ce que proposera One Bangkok, on en revient à cette idée de "mall culturel" évoquée plus haut. Mais ce sera surtout la tâche de mon successeur, M. Jean Bourdin, qui arrive du Brésil, où celui-ci dirigeait l’Alliance Française de Rio de Janeiro, et à qui je souhaite le meilleur succès.
Il faut rendre un hommage appuyé aux professeurs thaïlandais de français des écoles publiques, privées et des universités, qui jouent un rôle décisif dans l’éveil à la langue française
En Thaïlande, l'Alliance Française est présente à Bangkok, Chiang Maï, Chiang Rai et Phuket. Cependant, certains changements sont intervenus ces dernières années dans les relations entre Bangkok et les alliances en province. Pouvez-vous revenir sur ces nouveautés ?
Les Alliances de province étaient auparavant des annexes de l’Alliance Française de Bangkok. Entre les années 70 et 90 différentes antennes se sont ouvertes, dont les Alliances de Chiang Mai, Chiang Rai et Phuket, qui étaient juridiquement et administrativement l’émanation de Bangkok.
En 2020 il a été décidé de rendre ces Alliances autonomes par une gestion locale et un statut d’association de droit local. C’est ce que préconisait la Fondation des Alliances Françaises parce que c’est l’initiative locale qui préside dans l’esprit d’une Alliance Française.
L’Alliance française de Bangkok est autofinancée à 97% et les cours représentent 80% de nos recettes, c'est un défi permanent
Cela n’empêche pas que l’on soit amené à travailler ensemble, comme en 2022 avec l’exposition sur les 110 ans de l’Alliance ou celles des JO 2024 du bureau de l’AFP à Bangkok que l’on a fait tourner dans les trois Alliances de province.
Comment percevez-vous l'évolution de l'intérêt des Thaïlandais pour la langue et la culture française ?
Notre public est composé à 80% d’apprenants thaïlandais, 15% d’étrangers et environ 5% de Français ou bi-nationaux. C’est un public plutôt féminin, CSP+, qui apprend le français avec un intérêt familial, professionnel, d’études ou simplement pour le plaisir.
Il nous faut en outre rendre un hommage appuyé aux professeurs thaïlandais de français des écoles publiques, privées et des universités, qui jouent un rôle décisif dans l’éveil à la langue française auprès des jeunes thaïlandais. C’est leur dynamisme qui porte la francophonie et la francophilie. Il est donc important de continuer de travailler avec eux et de les accompagner et c’est ce que fait l’Ambassade de France, notre partenaire privilégié, et avec le ministère de l’éducation nationale thaïlandais à travers des programmes de formation continue.
Face au développement dans le milieu éducatif des langues comme le coréen ou le mandarin, maintenir l’intérêt de la langue française est capital. Car au-delà de l’importance liée à notre mission, il faut savoir que les cours représentent 80% de nos recettes et que l’Alliance Française de Bangkok est autofinancée à 97%, un défi permanent. Il faut donc continuer à travailler avec les enseignants thaïlandais qui sont nos prescripteurs pour que le goût de la langue française se développe.
Parallèlement il faut proposer des formations de qualité. Enfin il faut, en partenariat avec Campus France, faire un travail auprès des jeunes en les informant sur les débouchés des études en France avec ou sans la maîtrise de la langue française. C’est un travail au long cours qui ne peut être fait seul, et à ce titre la collaboration avec le service culturel de l’ambassade de France est essentielle, mais aussi celle avec les associations locales comme celle des Professeurs de français en Thaïlande (ATPF) ou les Association des anciens étudiants thaïs en France (AAEF) ou tous nos partenaires à qui je souhaite adresser mes remerciements pour leur confiance et leur fidélité.
Quels sont les défis que l’Alliance Française de Bangkok va devoir relever dans les prochains mois/années ?
Ils se résument dans les trois objectifs cités par notre président Arya :
- Poursuivre la transformation numérique de l’Alliance avec le développement de l’offre de cours en ligne et sur site, pour permettre de rassembler un public encore plus vaste.
- Continuer la conquête de nouveaux publics en coopération avec l’ambassade de France et la partie thaïlandaise, en capitalisant sur le public de One Bangkok et en renforçant l’écosystème France au sein du bâtiment.
- Enfin, plus pratiquement, finaliser les travaux du café-restaurant "Bonjour, Bonsoir" dans un espace agrandi et réaménagé qui proposera également un coin épicerie de produits français. Il sera géré par les propriétaires et managers du restaurant CALM et du café chocolaterie Kad Kokoa. La date d’ouverture est prévue début octobre.
L’ALLIANCE FRANÇAISE EN CHIFFRES EN 2023
> 109.564 heures de cours
> 2.239 élèves
> 41% des cours dispensés en ligne
> 173 événements culturels
> 18.000 spectateurs aux événements culturels
> 207 inscriptions aux camps de vacances
> 12 écoles en sortie scolaire à l’Alliance Française
> Autofinancement à hauteur de 97% répartis comme suit :
- Cours 80%
- Traduction 6%
- Activités culturelles 7%
- Location d’espaces 5%
Le site Internet de l’Alliance Française de Bangkok https://afthailande.org/fr/