Entre faune sauvage et animaux domestiqués, les restrictions pour lutter contre l’épidémie de coronavirus ont des effets contrastés en Thaïlande. Quand l’une reprend ses droits et s’épanouit, l’autre meurt de faim et d’attention
Avec la fermeture des parcs nationaux, l’absence des touristes et la désertion des plages, la vie sauvage reprend ses droits en Thaïlande. Mi-avril, l’Office du Tourisme en Thaïlande annonçait que 4 dugongs, 4 dauphins et 8 tortues marines avaient été observées au large du parc marin de Hat Chao Mai dans la province de Trang. Depuis novembre dernier, 11 nids de tortues ont été découverts, le plus grand nombre jamais relevé en 20 ans et 84 tortues luth sont nées dans la province de Phang Nga au mois de mars tandis qu’un ours malais a été vu en train de traverser une route dans le parc de Khao Yai. Depuis le 25 mars, ce sont 133 parcs nationaux qui ont été fermés aux visiteurs.
“Suite à la fermeture des parcs nationaux et des parcs marins en Thaïlande, nous assistons à un retour de la faune et à un rétablissement de l’environnement naturel”, explique Tara Buakamsri, directeur pour la Thaïlande de Greenpeace SEA Foundation. “Le fait qu’il y ait moins de déplacements de personne réduit également le stress sur l’écosystème. Si nous assistons à un certain changement de comportement et d’état d’esprit dans la société, il est pour autant incertain que les bienfaits acquis continueront avec l’assouplissement des mesures de confinement et la réouverture du pays” ajoute-t-il.
Pour aider à la régénération de la faune et de la flore, le ministre des Ressources naturelles et de l’Environnement, Varawut Silpa-archa souhaite proposer la fermeture de l’ensemble des parcs de Thaïlande pour une période de trois mois tous les ans, une mesure déjà en application pour certains parcs marins comme Maya Bay ou les îles Similan.
“Je ne pourrais être plus en accord sur le principe avec la proposition de fermer les parcs terrestres et marins pour une période annuelle de trois mois, mais nous devons également nous attaquer à la racine du problème. Nous devons revoir la manière dont nous gérons les parcs nationaux pour que cela profite à l’ensemble de la société et non à quelques groupes de personnes puissantes”, commente Tara Buakamsri. “C’est le bon moment pour en faire une priorité. Nous devons tirer les leçons de cette pandémie vers une compréhension plus globale de notre place dans la nature.”
Des animaux au chômage
Si la baisse du nombre de voyageurs offre un peu de répit à la nature, pour les animaux utilisés dans l’industrie du tourisme, les prochains mois s’annoncent particulièrement difficiles. Depuis mi-mars, les sanctuaires d’éléphants et parcs animaliers sont fermés aux visiteurs et ont vu l’arrêt de leurs revenus. La Thaïlande compte près de 3.800 éléphants domestiques, qu’il est impossible de relâcher dans la nature. Un pachyderme adulte mange jusqu’à 300 kilos d’herbes et boit 200 litres d’eau. Selon les estimations, pour nourrir l’animal et son mahout, il faut compter entre 1.000 et 2.000 bahts par jour.
Pour apporter un supplément de nourriture au refuge de Mae Wang où se trouvent les éléphants avec lesquels travaille Chi Jungle Man, un appel aux dons a été lancé sur Internet.
“La propriétaire du refuge continue de payer pour la nourriture des éléphants ainsi que le salaire des mahouts mais les quantités sont moindres qu’avant et les mahouts ne peuvent plus bénéficier des commissions et pourboires des touristes. L’inconnue est de savoir combien de temps la propriétaire continuera d’avancer l’argent pour nourrir les pachydermes” explique Marie-Anne, responsable marketing de l’agence éthique Chi Jungle Man.
De son côté, la fondatrice du Elephant Nature Park, Lek Chailert a également lancé une campagne de don. Sous la bannière de “Save Elephant Foundation”, 1476 éléphants ont été enregistrés pour recevoir une aide de 5.000 bahts par éléphant pour un mois. Une somme insuffisante, mais qui permet de soutenir les propriétaires de ces pachydermes en attendant le retour des touristes.
Save Elephant Foundation accueille également les chats et les chiens abandonnés. Avant la crise, elle comptait environ 1.000 félins et canidés. Depuis l’apparition du Covid-19 et la fermeture des bars à chats, entre autres, leur nombre a doublé, autant d’animaux supplémentaires qu’il faut nourrir. D’autres refuges dans la région de Chiang Mai tel qu’Adopt Meow connaissent la même situation et cherchent des nouveaux propriétaires ou des familles d’accueil le temps que la crise passe pour limiter un tant soit peu les coûts pour nourrir ces animaux de compagnie.
À la croisée des chemins
Face à des situations relativement opposées, d’un côté une nature qui revit en l’absence de l’activité humaine et de l’autre des animaux domestiqués qui en dépendent terriblement, la Thaïlande se trouve à un tournant pour réimaginer le tourisme de demain.
“Nous sommes à un moment décisif pour définir une nouvelle aube et construire notre résilience aux côtés de la nature. Je ne pense pas que nous puissions nous permettre un tourisme de masse vert. Je conseillerais un tourisme plus respectueux de l’environnement en cinq phases. 1) Nous devons placer la nature en priorité. 2) Une gestion zéro-déchet/zéro plastique dans toutes les zones touristiques pour limiter notre impact sur la nature. 3) Soutenir les communautés et les économies locales respectueuses de la nature. 4) Décentraliser les parcs nationaux et la gestion des aires protégées au niveau provincial ou local. 5) Assurer un suivi régulier des résultats du tourisme écologique et les mettre à disposition du public”, propose Tara Buakamsri.