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Après 24 ans à la tête de Gavroche, Philippe Plénacoste passe la main

Philippe Plenacoste Gavroche magazinePhilippe Plenacoste Gavroche magazine
Écrit par Régis LEVY
Publié le 5 octobre 2018, mis à jour le 9 septembre 2019

Témoin d’un quart de siècle d’histoire de la Thaïlande, le créateur du magazine Gavroche bien connu des Francophones a décidé de passer le relais. Il revient avec lepetitjournal.com sur cette aventure

Créé le 8 juin 1994 le mensuel d’information Gavroche est devenu un organe de presse fédérateur de la communauté francophone de Thaïlande et même un peu au-delà. Après avoir passé plus de 24 ans à sa tête et publié 287 numéros, son créateur et rédacteur en chef Philippe Plénacoste a décidé de laisser son magazine vivre sa vie pour partir de son côté vers de nouvelles aventures. L’occasion pour lepetitjournal.com de revenir avec lui sur son expérience avec ce média qui aura marqué -et continuera certainement de le faire nous l’espérons- plusieurs générations d’expatriés mais aussi de Thaïlandais.

Fondateur magazine Gavroche
Lepetitjournal.com: Philippe Plénacoste, comment est né Gavroche ?

Philippe Plénacoste: Après une jeunesse à Paris, puis une expérience de guide de safari en Afrique, j’ai décidé de m’installer à Bangkok, qui me fascinait et me faisait peur en même temps, parce que trop grande, trop bruyante, trop vivante. 

J’ai créé Gavroche avec un partenaire en juin 1994. Nous cherchions comment entrer dans une communauté qui, à l’époque, ne comptait que 1.500 personnes environ, essentiellement des chefs d’entreprise ou des restaurateurs. Et nous sommes partis sur cette idée d’un magazine parce que j’avais toujours eu depuis mes études des affinités pour la rédaction et l’écriture, sans pour autant avoir une formation de journaliste. Mon partenaire avait lui une formation commerciale, ce qui permettait de constituer un binôme complémentaire. 

Notre intention était d’utiliser ce qui à l’époque n’était encore qu’une gazette bimensuelle baptisée Hexagone pour nous ouvrir des opportunités d’affaires. Ayant découvert la veille de sa sortie qu’un restaurant français portait déjà le même nom, nous avons réalisé la confusion que cela pouvait engendrer. Dans la nuit, nous avons dû changer d’appellation et, après avoir passé quelques heures au bar, nous avons couché une liste de noms. Il y avait notamment "Le canard laqué", "Le Petit Journal" et… "Le Gavroche". 

Nous avons choisi Le Gavroche pour son côté un peu espiègle et parisien, facile à retenir. Le succès fut assez rapide et de là nous l’avons vite développé pour en faire un magazine avec des couvertures en couleur et un papier de meilleure qualité. 

Ces changements ont plu et nous ont permis de nous étendre rapidement dans tout le pays grâce à un réseau de partenaires locaux qui nous représentaient, de Chiang Mai à Samui en passant par Pattaya ou Phuket, mais également au Cambodge. Il y avait une certaine émulation, une énergie. On parlait des fameux "Tigres d’Asie" avec une croissance économique à deux chiffres.

Croissance qui n’a pas duré…

Tout cela s’est arrêté brusquement en 1997 avec une double peine : la crise financière qui a arrêté toute l’activité et le coup d’état contre Hun Sen qui a conduit à notre expulsion du Cambodge. Au bord de fermer, nous avons été rejoints par un François Tourane, un journaliste professionnel lui aussi évincé du Cambodge pour monter avec lui une édition davantage tournée vers l’idée qu’on se faisait d’un hebdomadaire en France, mais en mensuel, avec des articles de fond.  

Un modèle économique fut rapidement trouvé avec des annonceurs qui sont revenus rapidement et nous ont suivis, car Gavroche était reconnu pour la qualité du contenu, son aspect dynamique, critique, sa pertinence. 

Philippe Plenacoste Gavroche
Le Premier Gavroche (Photo Pierrre Queffélec)

Le pays a connu plusieurs autres crises et catastrophes naturelles, quel en fut l’impact?

Le 11 septembre 2001 a de nouveau freiné l’activité et le tsunami en 2004 fut une expérience très forte sur le plan émotionnel, mais aussi journalistique. Nous avons été parmi les premiers à consacrer un numéro spécial dès le mois suivant sur ce tragique événement.

Vinrent ensuite le coup d’État de 2006 et les manifestations de 2008 contre Thaksin, avec la paralysie, sans précédent dans le monde, des deux aéroports internationaux de Bangkok. Je me souviens avoir passé à Survanabhumi plusieurs nuits à attendre de voir si l’assaut allait être donné pour faire évacuer l’aéroport pour finalement voir la crise se terminer par un coup d’État parlementaire. Ce type d’épilogue est très spécifique au pays, à sa politique et à son système. Il a conduit aux contre-manifestations de 2009 à Pattaya et à celles de 2010 qui nous ont placés dans une situation incroyable. 

Il y a eu [en 2010] pendant une semaine une véritable zone de guerre au centre de Bangkok, avant l’assaut final. Cette époque correspond à l’avènement de l’Internet. Me trouvant au cœur des manifestations où j’ai essuyé des tirs de balles à deux reprises durant l’assaut final, je pouvais envoyer via notre site des informations en direct à nos lecteurs, pratiquement heure par heure. Ça permet de comprendre la dose d’adrénaline reçue par les reporters de guerre et la façon dont ce métier peut être à la fois dangereux… et addictif, avec cette sensation de vivre l’histoire.

Il y eut ensuite les terribles inondations de 2011 avec les conséquences que l’on sait, nous plongeant à nouveau dans un moment de ralenti qui a énormément impacté la presse écrite. Il nous a fallu comprendre qu’il allait être désormais difficile de ne vivre que sur le magazine papier.

Gavroche a donc dû faire sa révolution…

Cette situation (le développement de l'Internet combiné à la crise économique mondiale) nous a fait changer de modèle économique, nous amenant à nous recentrer sur le multimédia et les réseaux sociaux jusqu’à aujourd’hui. Il fallait évoluer et trouver de nouvelles sources de revenus. Cela a impliqué des investissements et plus de travail. Aujourd’hui, vendre de la publicité pour un magazine papier n’est plus simple du tout parce qu’il faut inclure différents médias pour des budgets moindres. Ça a vraiment impacté l’économie de Gavroche, comme celle de tous les médias dans le monde entier. 

On a malgré tout continué à résister parce qu’on conservait la confiance des annonceurs grâce à de bons retours en termes de lectorat. Le magazine continuait à s’étendre, l’arrivée d’Internet et l’édition PDF permettant de toucher davantage de lecteurs en France. Gavroche fédère la communauté française qui s’intéresse à la Thaïlande, qu’elle y vive ou non. 

Puis est arrivé en 2014 un nouveau coup d’État militaire qui a entrainé une restriction de la liberté de la presse et de la liberté d’expression tout court…

Philippe Plenacoste Gavroche
Philippe Plénacoste (droite) lors des manifestations antigouvernementales de 2008 en compagnie d'autres journalistes francophones couvrant les événements (Pierre Queffélec) 

Ces astreintes ont-elles modifié le ton du magazine ?

La population est muselée et semble résignée. Je pense qu’on a ici une autre approche de la démocratie et une autre approche des droits de l’homme. Les Thaïlandais sont des gens qui restent libres dans leur esprit et conservent un attachement à une culture et une tradition fortes, pour laquelle nous ne restons que des observateurs. J’ai toujours défendu qu’être un observateur n’empêche pas de donner son opinion, de façon à la fois subtile vu le contexte, et peut-être plus renseignée. Et nous ne venons pas ici pour faire une révolution, mais pour aider des gens qui n’ont pas toutes les clés pour comprendre le système et son fonctionnement, avec ses bons et mauvais côtés. 

Cela a permis de garder une certaine crédibilité vis-à-vis des autorités thaïlandaises. Je pense qu’il faut remettre Gavroche dans son contexte de magazine communautaire qui n’a pas d’impact en termes d’influence si on le compare aux grands quotidiens nationaux ou même le Bangkok Post. On n’inquiète personne.

Après 25 ans d’existence, je pense que l’on peut dire que Gavroche reste un étendard non négligeable de la culture francophone, d’une certaine façon d’approcher les choses, de les voir, de les analyser, de les rendre et de les propager. Il me semble qu’on a eu très peu de reconnaissance sur ce point, si ce n’est du côté de l’Organisation Internationale de la Francophonie à qui il faut rendre hommage, car elle nous a soutenus, même quand la Thaïlande a été suspendue financièrement de l’OIF en 2014. Cela a représenté un souffle, à défaut d’un sauvetage. 

Philippe Plenacoste Royal Enfield
Philippe Plénacoste lors d'un reportage dans le Ladakh (photo courtoisie Gavroche)

De grandes plumes et photographes ont contribué à cette reconnaissance…

Le premier d’entre eux est Richard Werly, correspondant à Paris du quotidien suisse Le Temps, qui a toujours été très attaché au magazine et qui reprend aujourd’hui sa coordination éditoriale. On a également vu passer des grands professionnels qui avaient de la sympathie pour le Gavroche. Il est difficile de tous les citer tant la liste est longue. Mais on peut évoquer Roland Neveu, dont les photos prises lors de l’entrée des Khmers rouges dans Phnom Penh en 1975 ont fait le tour du monde, Patrick Aventurier, un photographe de Gamma ou Philippe Decaux, qui a été reporter cameraman pour TF1. Sans oublier Thierry Falise, collaborateur de l’Express, Arnaud Dubus longtemps correspondant de RFI et de Libération à Bangkok ou Alain Lebas qui a écrit de nombreux articles pour ce quotidien. Tous ont publié articles et photos dans le magazine, comme presque tous les correspondants de presse un jour où l’autre. Et bien sûr Stephff qui y a fait ses premières armes [en tant que cartooniste] avant de devenir le dessinateur attitré de The Nation, et un certain Pierre Queffelec, repéré pour ses articles dans Gavroche pour devenir rédacteur en chef de lepetitjournal.com à Bangkok. 

De nombreux érudits sont également venus apporter leur culture, leur connaissance approfondie de certains sujets, comme François Doré ou Jean Marcel. Et des spécialistes ont éclairé les lecteurs de leur expertise dans leurs domaines respectifs, comme le docteur Gérard Lalande, Eugénie Mérieau pour le droit et la politique ou Orianne Bosson, grande connaisseuse de la culture thaïlandaise. Enfin comment ne pas rendre hommage à Martine Helen, mon assistante et compagnon de route pendant plus de quinze ans qui a tant fait pour Gavroche et nous a malheureusement quittés il y a deux ans. Tous ont contribué à faire ce que Gavroche est aujourd’hui. 

Et le réseau de journalistes qui ont contribué au magazine m’a permis de créer la section thaïlandaise de l’UPF, l’Union Internationale de la Presse francophone, qui regroupe une quinzaine de correspondants, journalistes, cameramen et photographes. Cette association a pour principaux objectifs de défendre les principes de la liberté d’expression et de de veiller à la promotion de la langue française et de la francophonie.

Philippe Plenacoste Chulalongkorn
Philippe Plénacoste à l’université de Chulalongkorn en 2007 et sa classe de journalistes francophones en herbe qui publiait "l’Amateur" (Photo Caroline Tronche pour lepetitjournal.com)

Quels autres grands souvenirs garderez-vous de cette aventure ?

À titre personnel, les grands voyages et reportages que j’ai pu effectuer à travers l’Asie et même au-delà, notamment un reportage au Ladakh sur une moto Royal Enfield, ou le voyage Bangkok – Singapour à bord de l’Oriental Express. La découverte du Yunnan a comporté de belles révélations.

Ce fut un immense plaisir de pouvoir faire du grand reportage dans toutes ces contrées qu’on connaissait mal et qui furent des révélations. 

Parmi les meilleurs souvenirs, il y a aussi les anniversaires comme les dix ans du magazine. Nous avions organisé un raid aventure sur une île que nous avions privatisée au large de Bang Saphan qui s’appelle Koh Talu. On avait fait venir une centaine de personnes avec la presse locale, dont le quotidien the Nation qui avait fait une pleine page sur l’événement.

La notoriété de Gavroche m’a également permis de donner des cours de journalisme à l’université de Chulalongkorn et d’y publier "l’Amateur", le seul magazine fait par des étudiants francophones sous la supervision d’un professionnel. Cela restera un grand souvenir pour moi, avec cette idée de transmettre. 

Sur ce plan, Gavroche a aussi été le point de départ de nombreux élèves en journalisme venus de filières universitaires francophones et qui cherchaient une première expérience avant de poursuivre leurs études en France, Suisse ou ailleurs. Je garde un très bon contact avec certains d’entre eux. Pendant 25 ans, nous avons accueilli des dizaines de stagiaires. Certains sont passés professionnels et Gavroche a été pour eux une bonne formation qui leur a permis de s’aguerrir sur le terrain. L’une de nos stagiaires Aude Genet, est passée chef de poste à l’AFP, une autre, Marie Normand est devenue journaliste à RFI et présentatrice télé à France 24 et d’autres. C’est un autre motif de satisfaction.

Quelles sont les raisons qui vous ont amené à mettre personnellement un terme à cette aventure ?

J’ai mis durant toutes ces années toute mon âme et tout mon cœur au service de Gavroche, jusqu’à un moment où notre secteur, qui connait des difficultés, a besoin de nouvelles perspectives. Et je ne me sentais pas d’aller plus loin que ce que j’ai fait, ce qui m’a donné l’envie de passer le relais.

Pour conclure, si vous deviez choisir un seul mot pour définir ces 24 ans à la tête de Gavroche, quel serait-il ? 

Bonheur !

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