Après six semaines d’incertitude, le Parlement thaïlandais a finalement pu élire un Premier ministre en la personne de Srettha Thavisin, candidat du parti Pheu Thai, avec le soutien des pro-militaires
705 députés et sénateurs étaient présents au Parlement de Thaïlande, mardi, pour élire le chef du gouvernement, un peu plus de trois mois après la tenue des élections législatives du 14 mai.
C’est par une grande majorité qu’ils ont élu Srettha Thavisin, magnat de l'immobilier, pour devenir le 30e Premier ministre de Thaïlande.
Le candidat du parti Pheu Thai a obtenu 482 voix pour, soit plus des deux tiers des sièges participant au vote. 165 parlementaires ont voté contre lui et 81 se sont abstenus.
Cet homme d’affaires de 61 ans était avant les élections législatives le PDG du groupe immobilier Sansiri, deuxième plus gros acteur du secteur en Thaïlande. Même s’il n’occupe pas de siège de député, la loi thaïlandaise permettait à son parti, le Pheu Thai, de le présenter pour le poste.
Fils unique issu d’une famille sino-thaïlandaise de Bangkok, Srettha Thavisin a fait ses études aux Etats-Unis à partir du secondaire. Il a notamment obtenu une licence en économie à l'Université du Massachusetts et une maîtrise en management des affaires et finance à la Claremont Graduate School en Californie, rapporte le Bangkok Post.
Srettha Thavisin est connu pour ses liens avec les deux anciens Premiers ministres, Thaksin et Yingluck Shinawatra. Ses prises de position publiques pour dénoncer le mouvement de contestation pro-establishment en 2013 et 2014 qui avait débouché sur le coup d’Etat contre le gouvernement de Yingluck Shinawatra, lui avaient d’ailleurs valu un séjour dans les fameux camps de "réajustement d’attitude" mis en place par les putschistes après leur prise de pouvoir.
Compromission
Après avoir été nommé en mars dernier pour être l’un des principaux candidats du Pheu Thai au poste de Premier ministre, Srettha Thavisin avait promis à plusieurs reprises qu'il ne s'associerait jamais aux partis pro-militaires dirigés par les anciens putschistes.
Mais ces derniers, en adoptant une nouvelle Constitution en 2017, ont modifié à leur avantage le processus de formation du gouvernement en nommant les 250 sénateurs qui participent au vote parlementaire pour élire le Premier ministre aux côtés des 500 députés. Cela leur a permis de faire échouer une première séance de vote en juillet, lorsque le parti sorti vainqueur des élections législatives, le Move Forward, soutenu par sept autres partis dont le Pheu Thai, a présenté son candidat, Pita Limjaroenrat. Puis de bloquer par la suite toute nouvelle candidature de ce dernier.
Arrivé second lors du scrutin législatif avec 141 sièges, le Pheu Thai a donc décidé de former une nouvelle coalition en ouvrant la porte aux partis pro-militaires, sachant que sans leur soutien, rien ne serait possible.
Le Move Forward a fait savoir il y a quelques jours qu’il ne soutiendrait pas son ancien partenaire de coalition, soulignant qu’à travers leur vote le 14 mai dernier, les Thaïlandais avaient clairement exprimé leur désir d'en finir avec l'influence des militaires dans la politique.
Cité par la radio-télévision thaïlandaise Thai PBS, Srettha Thavisin a déclaré: "J'avais fait cette promesse pensant que le Pheu Thai remporterait une victoire écrasante, mais ce ne fut pas le cas et les calculs politiques ont donc changé en conséquence."
Cette alliance controversée permet le maintien au gouvernement des militaires malgré leur défaite électorale en échange d'un hypothétique pardon royal pour Thaksin Shinawatra, l'ancienne bête noire de l'armée.
Le milliardaire magnat des télécommunications, qui vivait à l’étranger depuis 2008 pour échapper à plusieurs condamnations prononcées par contumace, est arrivé mardi matin à bord d’un jet privé en provenance de Singapour à l'aéroport Don Mueang de Bangkok, où l'attendaient des centaines de supporters, ainsi que la police qui l’a conduit devant la justice avant de le placer en détention.
La scène politique thaïlandaise, qui a été marquée ces deux dernières décennies par de nombreux troubles retentissants, parfois sanglants, se retrouve ici dans configuration relativement explosive, avec d’un côté les vainqueurs des élections totalement dépossédés de leurs espoirs de changement par des élites vieillissantes incapables de gagner aux urnes, et de l’autre l’ancienne classe politique dominante vassalisée par ce même establishment contre un semblant de pouvoir et quelque promesse de passe-droit.
Move Forward et Pheu Thai avaient rassemblé à eux seuls plus de 66% des voix, le 14 mai, infligeant une humiliante défaite à ceux qui s’étaient imposés au pouvoir par un putsch neuf ans plus tôt. Dimanche, un sondage NIDA révélait que 64% des Thaïlandais étaient opposés à la présence de militaires dans la coalition réunie par le parti Pheu Thai.