Après deux années de tourisme à l’arrêt, de nombreux propriétaires d’éléphants en Thaïlande continuent de souffrir malgré un début de reprise ces derniers mois et sont repliés loin des sites touristiques, certains vivant tant bien que mal de dons collectés sur les réseaux sociaux.
Dans le village de Ban Ta Klang, dans le nord-est de la Thaïlande, Siriporn Sapmak commence sa journée en diffusant sur les réseaux sociaux des vidéos en direct de ses deux éléphants afin de collecter des fonds pour survivre.
La jeune femme de 23 ans, qui s'occupe d’eux depuis son enfance, pointe son téléphone vers les pachydermes tandis qu'elle leur donne des bananes à manger ou qu'ils se promènent derrière la maison familiale.
Siriporn dit pouvoir collecter environ 1.000 bahts (27,5€) de dons grâce avec quelques heures de direct sur TikTok et YouTube, ce qui permet à peine de nourrir ses deux éléphants pour une journée.
C’est une nouvelle - mais somme toute précaire - source de revenus pour la famille qui, avant la pandémie, gagnait sa vie en donnant des spectacles d'éléphants dans la station balnéaire de Pattaya, avec la vente de fruits pour assurer un complément.
Retour au pays le temps de la crise
Comme des milliers d'autres propriétaires d'éléphants à travers le pays, la famille Sapmak a dû retourner dans son village d'origine alors que la crise du Covid-19 décimait les camps d'éléphants, la pandémie de coronavirus et la politique sanitaire du gouvernement ayant mis un coup d’arrêt au tourisme international.
À peine un peu plus de 400.000 touristes étrangers sont venus en Thaïlande l'an dernier contre près de 40 millions en 2019.
Certains jours, Siriporn ne reçoit aucune donation et ses éléphants se retrouvent de fait sous-alimentés.
"Nous espérons que les touristes (reviendront). S'ils reviennent, nous ne ferons peut-être plus ces vidéos en direct", confie-t-elle. "Si nous pouvons retourner au travail, nous obtiendrons un revenu (stable) pour acheter de l'herbe pour les éléphants."
Pas assez de touristes pour un revenu convenable
Mais selon Edwin Wiek, fondateur de la Wildlife Friends Foundation Thailand, au moins un millier d'éléphants en Thaïlande vont devoir encore attendre que le flot de touristes se rétablisse davantage pour espérer avoir un "revenu convenable".
La Thaïlande abriterait entre 3.200 et 4.000 éléphants en captivité et environ 3.500 à l'état sauvage, selon les pouvoirs publics.
Edwin Wiek estime que les autorités compétentes devaient trouver "une sorte" de budget pour soutenir ces éléphants. "Sinon, je pense que cela va être difficile pour la plupart des familles de les garder en vie", dit-il.
Pas d’avenir sans les éléphants
Les familles de Ban Ta Klang, cœur du marché de l’éléphant en Thaïlande, situé dans la province de Surin, élèvent des pachydermes depuis des générations et entretiennent une relation étroite avec ces derniers.
Les spectacles et balades à dos d'éléphant font depuis longtemps partie des activités prisés par les touristes en Thaïlande. Mais les campagnes de sensibilisation de la part de certains groupes de défense des animaux sur la façon dont les mastodontes y sont traités ont donné lieu à un tourisme dit "responsable" davantage tourné vers les refuges.
"Nous sommes liés tous ensemble, comme les membres d’une famille", souligne Pensri Sapmak, la mère de Siriporn âgée de 60 ans. "Sans les éléphants, nous ne savons pas de quoi notre avenir sera fait", dit-elle.
"Un gros problème national"
Le gouvernement a distribué 500.000 kilos d'herbe dans plusieurs provinces depuis 2020 pour aider à nourrir les éléphants, selon le département de l'Élevage, qui supervise les éléphants en captivité. Emblème national de la Thaïlande, l’éléphant mange de 150 à 200 kg par jour, selon la Wildlife Conservation Society.
Toujours est-il que Siriporn et sa mère disent n’avoir pas encore reçu le moindre soutien de la part de l’État.
"C'est un gros problème national", déplore Sorawit Thanito, directeur général du Département de l'Élevage. Le fonctionnaire affirme que le gouvernement prévoit d'aider les éléphants et leurs gardiens et que "des mesures accompagnées d'un budget seront proposées au cabinet". Mais il ne donne toutefois aucun calendrier.
La pression des naissances
Alors que les autorités espèrent voir la fréquentation touristique en Thaïlande atteindre les 10 millions de touristes étrangers cette année -un quart du chiffre de 2019- d’aucuns estiment que cela sera insuffisant pour faire revenir les propriétaires d'éléphants vers les principales destinations touristiques, compte tenu des coûts que cela implique. Cela d’autant que les touristes chinois, parmi les meilleurs clients des spectacles d'éléphants, sont les grands absents de la reprise post COVID-19 en raison de la prolongation de la politique sanitaire stricte dans leur propre pays.
"Qui a l'argent, à l’heure actuelle, pour affréter des camions (…), et quelle assurance ont-ils de voir l’activité vraiment reprendre s’ils reviennent ?", s’interroge Edwin Wiek.
Il souligne aussi qu’un plus grand nombre d'éléphants devraient naître en captivité au cours de l'année prochaine, exacerbant la pression sur les propriétaires.
"Certains jours, nous gagnons de l'argent, d'autres pas, ce qui signifie qu'il y aura moins de nourriture sur la table", s’inquiète Pensri Sapmak. "Je ne vois pas de lumière au bout du tunnel."