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New Nordic en Thaïlande, chronique d’une faillite annoncée

Plage de Phuket désertée par les touristes durant la crise du Covid-19 en ThailandePlage de Phuket désertée par les touristes durant la crise du Covid-19 en Thailande
REUTERS / Soe Zeya Tun / Archives – L’arrêt du tourisme dû au Covid-19 semble être le coupable idéal qui pourrait expliquer la déroute financière de New Nordic Development, mais certains en doutent
Écrit par Carol ISOUX
Publié le 2 avril 2021, mis à jour le 17 mars 2024

Le groupe immobilier dirigé par le norvégien Kurt Svendheim, connu pour plusieurs gigantesques projets couronnés de succès à Pattaya, vient de déposer une demande de mise en redressement judiciaire auprès du tribunal de Commerce. L’entreprise est en situation de cessation de paiement depuis plus d’un an, les chantiers à l’arrêt. Des pertes potentielles de plusieurs millions d’euros pour des milliers d’acheteurs, en majorité français : drame du Covid ou immense escroquerie ?

Jusqu’à l’année dernière, le nom de New Nordic évoquait en Thaïlande un succès fulgurant. Des immeubles qui poussaient comme des champignons, des fêtes somptueuses, l’argent qui coule à flot, des investisseurs ravis. Le tout dans un décor orange vif, la couleur fétiche du groupe. 

Il faut dire que les produits d’investissement locatif offerts par la compagnie défient toute concurrence. New Nordic, par le biais de plusieurs agences, (dont trois dirigées par des Français, TPP, TPG et Company Vauban) proposait d’acquérir un appartement ou une chambre d’hôtel dans une destination touristique. Parfois, le contrat incluait quelques semaines par an d’utilisation personnelle, pour d’éventuelles vacances. Le reste du temps, le promoteur s’engageait à louer le bien et à le gérer. Les appartements étaient destinés en priorité à des clients russes et chinois pour des locations de courte durée. 

Le modèle New Nordic

Grâce à ce modèle, New Nordic promet un taux de rentabilité locative très élevé, entre 6 et 10% par an. Prenons par exemple un appartement à 100.000 euros : l’acheteur est assuré de toucher entre 6 et 10.000 euros par an pendant un certain nombre d’années (en général, 5 à 10 ans). A cela s’ajoutait un système de "cashback", pour les appartements achetés sur plan, où l’acheteur accepte de payer la totalité d’un bien immobilier avant même sa construction : "les acheteurs jouent le rôle d’une banque, expliquent des agents familiers du système. Ils prêtent l’argent nécessaire à la construction de l’appartement, ensuite, le promoteur rembourse une partie de cet argent." Selon plusieurs experts indépendants, ce système n’est possible qu’avec un prix de vente bien au-dessus des prix du marché.

Enfin, New Nordic s’engageait à racheter le bien immobilier de 10 à 30% au-dessus de son prix d’achat au bout d’un certain nombre d’années. Une garantie "satisfait ou remboursé", en somme. "Dans tous les cas, vous récupérez votre capital", clament triomphalement les sites internet des différentes agences qui commercialisent le produit. Bref, un investissement juteux, sans aucun risque. Trop beau pour être vrai ? Sans doute. Mais pendant un temps, ça fonctionne. 

Le 28 janvier dernier, le couperet tombe : à cause de l’arrêt du secteur du tourisme, New Nordic Development est menacée de faillite et dépose le bilan, les investisseurs pourraient tout perdre. 

Depuis, les questions fusent : la pandémie est-elle seule responsable du fiasco ou, au contraire, a-t-elle été une aubaine pour New Nordic, permettant de suspendre les paiements en toute légalité et de gagner un temps précieux ? Y a-t-il eu mauvaise gestion, des abus de confiance, voire une escroquerie de grande ampleur avec préméditation, et qui était au courant ? Ou assiste-t-on tout simplement à la conclusion inévitable d’un business-model aux pratiques douteuses ? Pour écrire cet article, l’équipe de Lepetitjournal.com s’est entretenue avec plusieurs acheteurs. Nous avons formulé des demandes d’interview après de Kurt Svendheim et des trois agents français qui ont commercialisé ses produits. Seule une agence, TPG (Thai Property Group), a accepté de nous rencontrer. 

Le mystérieux Kurt Svendheim

A l’origine de l’aventure New Nordic, il y a un homme, le charismatique Kurt Svendheim, un homme d’affaire norvégien spécialisé dans la construction et les investissements immobiliers. Une recherche internet un peu approfondie permet assez rapidement de savoir qu’il a déjà été impliqué dans une faillite immobilière de grande ampleur : en 2008, après avoir obtenu des financements à hauteur de dizaines de millions d’euros de la part d’une banque norvégienne pour des projets en Bulgarie et au Brésil, il se déclare en faillite. La faute à la "crise" de 2008, déclare-t-il alors. 

Alors que tout s’écroule en Norvège et que l’employé de banque qui lui a accordé ces fonds est mis en examen, Kurt prend part poser ses valises en Thaïlande. Un an plus tard, il commence l’aventure New Nordic. "Il est un peu arrivé de nulle part", admet Gregers L., un membre de la communauté d’affaires scandinave à Bangkok. "Personne ne le connaissait, il s’est mis à faire les choses en grand, il avait les fonds", se souvient-il.

De 2012 à 2016, l’aventure New Nordic connaît son âge d’or. L’une des clés du succès réside dans les commissions avantageuses accordées aux agents, autour de 15% : plus du double d’une commission immobilière traditionnelle. Des intermédiaires établis en France métropolitaine ou dans les pays d’outre-mer prennent une commission supplémentaire, les appartements sont vendus en moyenne 30% au-dessus des prix du marché, mais la plupart des acheteurs habitant à l’étranger ne connaissent pas les prix ou sont prêts à fermer les yeux en échange de garanties alléchantes.

Seule une enquête approfondie permettra de déterminer si, comme beaucoup le soupçonnent, l’entreprise fonctionnait selon le principe de Ponzi, où les nouveaux entrants paient les bénéfices des plus anciens. Des fêtes, des séminaires dans des grands hôtels ont lieu pour rencontrer et convaincre les potentiels clients. Kurt est très présent, très proche de ses vendeurs et même des clients.

A partir de 2016, on note un certain emballement dans les acquisitions de terrains, notamment à l’étranger : des opérations se montent à Bali, aux Philippines, Hong-Kong, Cambodge…. New Nordic se présente triomphalement dans la presse spécialisée comme "le groupe immobilier à la plus forte croissance en Asie du Sud Est". Kurt Svendheim serait aujourd’hui à Dubaï, d’où il vend des placements similaires en Afrique. 

Une procédure judiciaire qui offre peu de perspectives aux investisseurs

Après quelques années où promoteur, agents et investisseurs gagnent beaucoup d’argent, survient la crise sanitaire et financière, qui a mis à terre de nombreux secteurs d’activité en Thaïlande, et tout particulièrement le tourisme. A compter d’avril 2020, la compagnie suspend les revenus locatifs et diminue fortement ou supprime les "cashbacks". "A ce moment-là on ne s’est pas méfié, on a trouvé ça normal, on comprenait la situation de l’arrêt du tourisme qui mettait la compagnie en difficulté", se souvient Christelle J, acheteuse à Samui. 

Mais la situation dure et les acheteurs remarquent que les chantiers de construction sont à l’arrêt. Vérifications faites, l’arrêt des chantiers date de bien avant la crise du Covid. Certains, à Koh Samui ou à Phuket, par exemple, se sont arrêtés dès octobre 2019.  "A l’époque, on nous a dit qu’il s’agissait d’un problème avec le constructeur", se souvient Christelle. 

L’annonce du 28 janvier dernier vient confirmer ce que beaucoup craignaient déjà : l’entreprise New Nordic Développement (l’une des nombreuses compagnies immobilières fondées par Kurt Svendheim en Thaïlande) n’est plus en mesure de payer ses créanciers. Une vingtaine de projets développés sous la bannière NND sont concernés par cette demande de mise en réhabilitation, répartis sur une dizaine d’immeubles à Pattaya (déjà tous construits, sauf Castle I et II) et un énorme projet à Petchaburi, -sans doute le dossier plus problématique de cette affaire. Les autres compagnies du norvégien (VIP Developer Phuket, Chumphon, Samui et les projets à l’étranger) ne sont pas concernées par la réhabilitation. Pour ces derniers projets, aucune information n’est donnée aux milliers d’investisseurs quant à la reprise des paiements ou des chantiers. Plusieurs actions en justice individuelles sont en cours. 

Lors d’une audience prévue pour le 31 mai prochain, le juge devra examiner si l’entreprise est bien dans l’impossibilité de payer ses créanciers, à quelle hauteur et si elle a présenté son bilan de bonne foi, avant de se prononcer sur un redressement. Si la réponse est négative, l’entreprise doit trouver un moyen d’honorer ses contrats, ou bien se déclarer en faillite. Si le juge accepte la mise en réhabilitation, un plan de redressement sera présenté, sur lequel les créanciers seront appelés à voter. Les petits créanciers ont intérêt à se fédérer pour obtenir un droit de vote. Dans tous les cas, tous les créanciers doivent s’être déclarés auprès du tribunal un mois après l’acceptation de la réhabilitation, sous peine de tout perdre. Plusieurs cabinets d’avocats proposent ce service d’enregistrement. Le bilan financier présenté dans le document destiné à la cour laisse entrevoir une situation financière désastreuse, le procédé prendra des années, les chances de récupérer 100% d’un investissement sont quasi-nulles, mais "c’est ça ou la faillite", avance un agent immobilier. Si le plan est refusé, deux autres propositions peuvent être formulées avant la procédure de faillite.

L’épineuse question des responsabilités

Cette faillite annoncée laisse des centaines d’acheteurs français, dont près de 350 résidents de la Polynésie française, désemparés : à presque 50 ans, Christelle J et son mari repartent vivre en France, chez leurs parents, avec leur fille 11 ans, faute de pouvoir désormais payer l’école internationale. La majorité des créanciers déclarés sont des petits investisseurs, souvent à la retraite ou sur le point de l’être, qui envisageaient cette rente locative comme "un plan de fin de vie".

"Notre confiance venait du fait que pendant dix ans, ils ont payé rubis sur l’ongle", se défend un agent immobilier. Martine C, résidente à Singapour, confirme : "J’avais un appartement à Pattaya qui marchait très bien, je ne me suis pas méfiée, on en a acheté un autre, j’ai même embarqué mon frère dans cette affaire", se désole-t-elle. Le deuxième appartement est acquis dans le projet pharaonique de Petchaburi : 5.000 unités prévues initialement, un parc aquatique, des espaces verts, des hôtels, des restaurants…

Mais aujourd’hui, les autorités thaïlandaises affirment que le terrain se situe sur un emplacement naturel protégé et qu’il est non constructible. Les agents français se défendent d’avoir entendu parler du moindre problème jusqu’à récemment : "il était clair dans les échanges avec Kurt, qu’il avait acquis la propriété du terrain et qu’il était constructible", assurent-ils, disant "regretter le manque de clarté de la part du développeur auquel nous demandons régulièrement des clarifications. '

Une enquête est en cours auprès du Department of Special Investigation (DSI), qui invite toutes les victimes potentielles à se faire connaître.

Sur le groupe Facebook Justice NewNordicGroup, des centaines de victimes présumées de l’opération New Nordic se rassemblent. Macaire Dejardin, investisseur à Phuket et résident à Nice, souhaite monter une association : "cela nous permettrait d’avoir une entité qui puisse assumer une action en justice collective" (un site Internet https://justice-newnordicgroup.com/ a également été mis en place, ndlr).

Mais la question reste de savoir contre qui : les agents français pour négligence ou défaut de diligence, ou alors, plus intéressant financièrement, une filiale solvable de New Nordic ? Une seule chose certaine : la procédure prendra des années.

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